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Chroniques d’outre-espace

Que peut-on attendre d’un Star Wars ?

A l’occasion de la sortie du deuxième film de la troisième trilogie Star Wars, les réactions au film ont été très diverses, de l’apologie d’un grand film à spectacle à la déception de certains fans. Au delà de la critique esthétique du film, que nous ne ferons pas ici, on peut aborder les choses d’une autre façon, en se demandant ce que l’on peut attendre d’un film de la célébrissime saga.

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Comment aborder la réflexion autour d’une œuvre artistique ? Si l’histoire de l’art a souvent privilégié l’étude des formes artistiques (par exemple pour le cinéma l’étude des rythmes, des scénarios, de la mise en scène) ou encore l’étude des genres (qu’est ce qui définit par exemple, un film noir ?), d’autres approches permettent d’aborder autrement une œuvre artistique, et ici, un film. Voir un film suppose une certaine dualité, entre d’une part, le film, voué à rester fixe, durable (même si les versions modifiées des œuvres remettent en cause cette idée), et d’autre part l’expérience du spectateur, qui est par définition éphémère, plurielle, personnelle. Cette dualité souligne le fait que face à une même œuvre, dont on pourra toujours critiquer la forme, la réception de celle-ci est par essence quelque chose de personnel, qui changera suivant le spectateur et son histoire. En entrant dans une salle de cinéma, il n’y a pas que le film projeté qui compte : ce que le spectateur en attend est tout aussi important. Le rapport entre l’œuvre en elle même et sa réception est largement influencé par ce que les philosophes de la réception appellent « l’horizon d’attente ». Ce concept a été forgé par Robert Jauss, dans les années 1990, pour remettre le lecteur au centre de l’histoire littéraire. Pour lui, l’horizon d’attente dépend de trois facteurs : l’expérience du public du genre dont relève l’œuvre, la forme et les thématiques que mobilisent l’œuvre ainsi que l’opposition entre le langage artistique et le langage pratique.

Dans cette idée, regarder Star Wars, The Last Jedi, n’est pas une expérience en soi : chaque spectateur, en entrant dans la salle, ne s’attend pas à la même chose. D’un côté, le néophyte qui n’a jamais rien vu de l’univers Star Wars, de l’autre celui qui a vu seulement les sept premiers films, ou encore le fan qui connaît sur le bout des doigts tout l’univers étendu : chacun attendra du film différentes choses du dernier Star Wars, parce que leurs expériences préalables sont différentes. Dans cette même idée, il faut ajouter que la question n’est pas seulement la connaissance des précédents films qui comptent, mais aussi la façon dont ils ont été reçus : si, enfant, vous avez été traumatisé par Jabba le Hutt, il est fort probable que vous n’attendiez pas la même chose du film que vous êtes sur le point de voir.

Star Wars n’est pas un film de science-fiction

De plus, il faut s’interroger sur le genre de Star Wars : est-ce de la science-fiction ? Un film fantastique ? Le créateur de Star Wars réfute chacune de ces deux classification. A juste titre d’ailleurs. Sans rentrer dans une définition complexe de la science-fiction, une des bases du genre est d’interroger notre futur, d’interroger ce qui pourrait advenir : que ce soit le post-apo type Mad Max (1979) où le futur est un retour à l’âge de pierre, ou le space-opera type StarTrek, la question de ce qui adviendra de notre monde est omniprésent. Dans Star Wars, là n’est pas la question : l’aventure se déroule « il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine ». A bien des égards, Star Wars est le conte d’un fermier qui se croit orphelin, destiné à sauver le monde. Mais y a-t-il beaucoup de contes qui se déroulent dans le vide spatial ? Star Wars n’a pas de genre, même s’il emprunte beaucoup à certains grands genre de la cinématographie ; c’est un genre en soi. C’est un genre au même titre que le Western, le film de gangster ou le péplum. Un genre avec ses propres codes : la force et les Jedi, les vaisseaux qui font du bruit dans l’espace, la vitesse-lumière, etc. Dire cela, c’est aussi supposer une chose : on ne peut pas attendre de Star Wars d’être un bon film de science-fiction, au sens où il n’a jamais appartenu à ce genre ; aller voir le dernier film de la saga en se demandant quelle est la vision du futur de Rian Johnson, c’est un non-sens. C’est pourquoi l’expérience qu’on peut avoir de Star Wars dépend pratiquement uniquement de l’expérience qu’on a de l’univers étendu de la Saga. Finalement, l’horizon d’attente d’une saga qui est un genre à elle-seule est assez réduit, étant donné que chaque film définit, de manière particulièrement puissante, un genre qui est composé d’assez peu d’œuvres.

Horizon d’attente et culture de masse

Là où le concept d’horizon d’attente est souvent mobilisé pour des œuvres diffusées à petites ou moyenne échelle dans la littérature, Star Wars se range dans une toute autre catégorie, celle de la culture de masse. En France, en une semaine, le film avait engrangé 2,510 million d’entrées, tandis que ses recettes mondiales, à peine deux semaines après sa sortie, sont estimées à 630 millions d’euros. Des chiffres colossaux qui montrent une chose : l’échelle de diffusion de Star Wars est non seulement une échelle de masse, mais aussi une échelle planétaire. Star Wars, The Force Awakens avait rapporté 2,068 milliards de dollars à la même échelle. Sachant que les coûts de production des deux derniers films, même s’ils sont tenus secrets, sont estimés à 200 millions de dollars, il faut voir que toute prise de risque n’est pas une prise de risque artistique, dans laquelle le metteur en scène se positionnerait dans un champ artistique, mais une prise de risque industrielle. Dès lors, il faut voir que les logiques qui guident chaque prise de risque sont, en définitive, calculées pour permettre à Disney, qui a racheté les licences de Lucasfilm pour 4 milliards de dollars, de rentabiliser son investissement, en équilibrant la balance entre renouvellement de l’histoire et stricte continuité entre les épisodes précédents. Rêver d’un Star Wars qui s’affranchisse de ces règles est donc totalement idéaliste.


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Arthur Nicola

Journaliste pour Révolution Permanente.
Suivi des grèves, des luttes contre les licenciements et les plans sociaux et des occupations d’usine.
Twitter : @ArthurNicola_

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