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Féminisme de gouvernement

Plus de femmes à l’armée. L’émancipation en marche ? 

A l'occasion du 8 mars, tous les représentants de la bourgeoisie y vont de leur petite attention pour paraître s’inquiéter, au moins une fois l’an, de l’égalité. Les ministres n’échappent pas à la règle et aujourd’hui c’est Florence Parly, ministre des Armées, qui propose un plan mixité pour augmenter le nombre de femmes dans l’armée. Ce qui permet de poser la question : le droit des femmes à devenir soldate fait-il avancer la cause de toutes les femmes ?

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Le 8 mars trouve son origine dans l’histoire du mouvement ouvrier et dans une lutte indissociable contre le patriarcat et contre le capitalisme, un système qui maintient, fait perdurer les mécanismes d’oppression de genre et s’en nourrit. Aujourd’hui le 8 mars, dans son acception courante a été fortement cooptée par la bourgeoisie. Ainsi, il peut prendre des airs de grand jour d’expiation : après une année où quotidiennement le système capitaliste opprime les femmes, la bourgeoisie et ses représentants semblent combattre activement et s’alarmer des inégalités entre les hommes et les femmes. Aujourd’hui, c’est la ministre des Armées, Florence Parly, énarque et dirigeante d’entreprise (SNCF, Air France, Altran), qui propose un « plan mixité » pour augmenter les effectifs féminins dans l’armée. Est-ce une avancée pour la cause des femmes et qu’est-ce que cela dit d’un féminisme bourgeois ?

Une institution traditionaliste et réactionnaire

L’armée française se fait une fierté de rappeler qu’elle est une des armées les plus féminisées du monde avec 15,5 % des effectifs qui sont des femmes. Pourtant, la Grande muette conserve encore un certain nombre de vestiges du passé comme l’interdiction pour les femmes de faire partie de certains corps d’armée (comme la Légion étrangère) ou leur autorisation à titre expérimental très récente dans les sous-marins ou dans la gendarmerie mobile. L’actuel chef d’Etat-major, François Lecointre issu d’une vieille famille de militaires et d’aristocrates et catholique pratiquant est aussi le visage d’une armée dont le commandement et le fonctionnement est encore empreint d’un fort traditionalisme. Ainsi, derrière ce chiffre de 15,5 % de personnels féminins dans l’armée, il faut préciser que les femmes représentent moins de 8 % des officiers. Pourtant, elles constituent 60 % des services de santé. Il est clair que cet état de fait est motivé par des a priori sexistes : les femmes doivent être douces, les hommes bagarreurs, il y a le sexe fort et le sexe faible. Ainsi, c’est bien dans l’Armée de Terre que les femmes sont le moins nombreuses, confirmant que ces clichés subsistent.

L’objectif de Parly avec son plan mixité est d’augmenter de 10 % le nombre de femmes dans l’armée, notamment en autorisant les temps partiels (interdits dans l’armée) lors du congé parental, afin que les femmes restent dans l’armée quand elles ont un enfant : une mesure qui en dit long aussi sur les tâches qui incombent aux femmes dans la famille et ne semblent pas toucher les soldats hommes, à savoir élever les enfants à côté ou malgré son travail.

Mais, la question se pose, doit-on encourager l’accession des femmes aux rangs de l’armée et de la gendarmerie ? 

L’armée française est le moyen d’action de l’impérialisme français à l’internationale pour opprimer des peuples et permettre l’exploitation de pays colonisés ou anciennement colonisés par les capitalistes français. De même, la gendarmerie est un outil de maintien de l’ordre, de nombreuses compagnies de gendarmerie venant suppléer la police lors des manifestations du samedi, pour prendre des exemples récents mais aussi hors de la métropole comme on l’a vu à la Réunion lors des révoltes qui ont secoué l’île aux mois de novembre et de décembre. Ainsi nous arrivons rapidement à une contradiction : est-il progressiste que plus de femmes soient appelées à réprimer les mouvements sociaux, y compris lorsqu’il s’agit de luttes pour les droits des femmes ? Ou encore qu’ont à gagner les femmes syriennes de savoir que leurs villages ont été bombardés par des femmes ?

Le genre nous unit, la classe nous divise

Comme l’écrit Andrea d’Atri, figure du féminisme en Argentine et fondatrice du collectif Pan Y Rosas, dans son livre Du Pain et des Roses, récemment traduit en français :

« L’oppression des femmes se manifeste de différentes façons dans toutes les classes sociales. Mais la moitié de l’humanité ne se répartit pas de manière équivalente entre les classes : les femmes sont majoritaires parmi les exploité·e·s et les pauvres de ce monde, tandis qu’une infime minorité quasi-inexistante de femmes appartient au groupe des puissant·e·s propriétaires des multinationales qui nous condamnent à cette exploitation et à cette pauvreté. C’est un fait catégorique que, même si les femmes représentent un peu plus de 50 % de la population mondiale, elles constituent 70 % des 1,3 milliards de pauvres de la planète, alors que de l’autre côté, seul 1 % de la propriété privée mondiale est aux mains de femmes. Cependant, montrer les doubles, triples, multiples chaînes qui assujettissent les femmes travailleuses – qu’elles soient ouvrières, salariées, travailleuses rurales ou chômeuses – ne peut pas être un argument pour masquer l’oppression dont souffre la moitié de l’humanité, quelle que soit la classe à laquelle elle appartient. Au contraire, si nous insistons sur une perspective de classe, c’est parce que nous considérons que l’oppression de l’ensemble des femmes trouve sa « légitimité » dans un système basé sur l’exploitation de l’énorme majorité de l’humanité par une petite minorité de parasites capitalistes, ainsi que sur la perpétuation des hiérarchies et des inégalités. De multiples divisions et fragmentations qui permettent de justifier la plus abjecte des hiérarchisations : celle qui établit que des millions de personnes sont condamnées à vendre leur force de travail pour que quelques-un·e·s puissent étancher leur soif de profits toujours plus exorbitants.
Si l’appartenance de classe ne conditionnait pas les différents modes de l’oppression de genre, comment pourrait-on expliquer que, pendant que quelques femmes accèdent au classement des multimillionnaires de la revue Forbes ou que certaines occupent la présidence ou d’autres charges publiques importantes dans différents pays, plus de soixante millions de jeunes filles n’ont pas accès à l’éducation ?
Le XXe siècle a vu des femmes présidentes, premières ministres, membres de cabinet de gouvernement, soldates, scientifiques, artistes, sportives, femmes d’affaires et professionnelles accomplies. Il a aussi été l’époque de la pilule contraceptive, de la mini-jupe et des pantalons larges, de la mode unisexe et des appareils électroménagers. Mais il ne faut pas oublier que cette même époque a aussi été témoin des 20 millions d’avortements clandestins pratiqués chaque année dans le monde, des milliers de femmes violées et assassinées par des politiques de « nettoyage ethnique », ou des millions de femmes au chômage vivant sous le seuil de pauvreté. Ainsi, quand une femme de 30 ans, en toute « égalité » avec les hommes, peut « exercer son droit » à appartenir aux forces de l’OTAN qui bombardent des pays semi-coloniaux, ou au contraire à mourir dans un village africain des suites du SIDA, il est paradoxal, pour ne pas dire cynique, de parler d’un progrès pour les femmes en général. Ne doit-on pas parler de différentes femmes ? Les vies des femmes d’affaires, des ouvrières, des femmes des pays impérialistes et de celles des semi-colonies, des femmes blanches et des femmes noires, des immigrées et des réfugiées sont-elles égales ? Supposer que, parce qu’elles sont femmes, il y aurait quelque chose qui lierait la reine d’Angleterre à une chômeuse anglaise, la présidente argentine à une employée domestique, les chanteuses et les femmes d’affaires internationales latino aux ouvrières des usines mexicaines, c’est, en dernière instance, tomber dans le réductionnisme biologique de l’idéologie patriarcale dominante, que les féministes ont durement critiqué. Parler de genre de cette manière, c’est en faire une catégorie abstraite, vide de sens et incapable de mener à la transformation que nous voulons.
 »

Parly, Schiappa, Merkel, Parisot, Le pen : autant de femmes ennemies de la cause des femmes travailleuses

De la même manière que l’ouverture des rangs de l’armée aux femmes ne constitue pas une avancée pour les femmes travailleuses, le fait qu’une femme soit au pouvoir, dans un régime bourgeois, ne signifie pas que toutes les femmes y gagnent. Pensons aux politiques néo-libérales et conservatrices menées par Merkel en Allemagne, par Dilma Roussef au Brésil qui s’est toujours opposée à l’avortement, à Christine Lagarde qui en appliquant les plans du FMI a attaqué les conditions de vie de nombreuses femmes, toujours les premières face à la précarité (salaires plus bas, plus de contrats précaires, en grande majorité chargées d’élever les enfants et d’assurer les tâches reproductives dans la famille etc.).
Face à un féminisme bourgeois qui veut améliorer les conditions de vie des femmes dans les limites d’un système capitaliste qui opprime autant qu’il exploite et qui entretient des rapports de division et de domination sexiste, racial et impérialiste, il faut revendiquer et construire un féminisme résolument de lutte de classe. C’est pour cette lutte universelle que les femmes prendront les armes, pas pour défendre un ordre qui les opprime et qui ferait de la victime un bourreau ! Une lutte qu’ont déjà mené de nombreuses figures féministes révolutionnaires en France en 1792 et lors de la Commune en 1871, en Russie en 1917, en Espagne en 1936, et dans bien d’autres pays !


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