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Accord Merkel-Rutte

Plan de relance : 750 milliards pour redonner un souffle à l’Europe néolibérale

Ce mardi, après 4 jours de négociations musclées, les dirigeants des 27 États-membres de l’Union Européenne ont signé un accord prévoyant un « plan de relance » de 750 milliards d’euros. Ce montant sera réparti entre les différents États, principalement sous la forme de prêts mais aussi par des subventions levées par un emprunt communautaire qui devront avoir pour contrepartie des « réformes structurelles ». Des milliards aux grands patrons mais surtout la tentative de relancer la dynamique néo-libérale qui s’accompagnera de l’austérité dans une Europe en crise.

Damien Bernard


et Gabriella Manouchki

22 juillet 2020

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Crédit photo : AFP

Un plan de relance européen pour faire face à la crise de l’UE

À l’issue de négociations dures entre les dirigeants des différents États membres de l’Union Européenne (UE), prolongées en raison d’importants désaccords, un plan de relance sans précédent vient d’être adopté avec pour objectif de faire face à la crise économique mondiale, mais aussi et surtout de sortir l’UE d’une crise au long cours qui s’est approfondie et accélérée avec la pandémie qui a accru le clivage entre les pays du Sud et ceux du Nord du continent. En effet, la crise sanitaire a d’une part mis en exergue les contradictions saillantes entre les différents États européens qui, bien loin d’une de toute cohésion internationale, se battaient sur le marché des masques, des tests ou encore de la recherche pour le vaccin. D’autre part, elle a frappé plus durement les pays du Sud qui subissent aujourd’hui une deuxième vague : celle de la crise économique.

Un plan de relance néo-libéral

L’accord signé prévoit un plan de relance de 750 milliards d’euros, qui seront répartis parmi les États les plus en difficulté suite à la crise du Covid. Les négociations ont principalement tourné autour de la nature de ces versements et des conditions auxquelles ils seront soumis. Ces « aides » seront donc principalement allouées sur la base d’un emprunt commun aux banques, que chaque État devra dûment rembourser et, dans une moindre mesure, des subventions aux États les plus en crise. Dans tous les cas, ces versements seront soumis à des conditions qui n’ont pas été pour l’heure précisées mais dont les contours sont clairs : pour en bénéficier, chaque État devra présenter un plan de réformes conforme aux critères de la Commission : « Afin de pouvoir prétendre à cette aide, les Etats vont préparer des plans de relance qui décrivent les réformes et les investissements souhaités pour la période 2021-2023. La Commission devra statuer dans les deux mois et va se fonder sur des critères qui valorisent la croissance, la création d’emplois et la résilience sociale des Etats. », peut-on lire dans les Echos.

Au vu de la situation avec une crise de l’ampleur de celle de 1929 qui commence à se faire sentir avec une grande violence dans certains secteurs, à l’instar de l’aéronautique, ce plan permet donc aux dirigeants de l’UE d’obliger les États qui ont le plus besoin d’aide à accélérer la mise en place de réformes néolibérales avec des politiques d’austérité particulièrement violentes à l’encontre des travailleurs. Il a d’ores et déjà été acté que les principaux bénéficiaires des subventions seront l’Italie (60 milliards), l’Espagne (60 milliards) et la France (40 milliards), toujours d’après les Echos.

Ainsi, l’allocation des 750 milliards d’euros restent subordonnés à la mise en place de "plans de relance" déclinés à l’échelle nationale, qui permettront aux gouvernements de chaque État de distribuer l’aide selon des critères de croissance économique. Or, pour faire un maximum de profit, ce ne sont pas les services publics qui vont être soutenus. Bien au contraire, l’aide ira tout droit dans les poches du patronat des secteurs les plus stratégiques, comme ce fut le cas avec le "plan de relance" de l’aéronautique en France qui n’a pas empêché des plans de licenciements massifs dans ce secteur. Il est par exemple déjà décidé que les 40 milliards qui s’ajoutent au plan de relance français financeront notamment "la baisse des impôts de production pour le soutien aux entreprises".

Un accord révélateur du rapport de force au sein de l’Union Européenne

Plus qu’un accord Macron-Merkel vendu par le président français, il s’agit en réalité d’un accord Merkel-Rutte du nom du premier ministre néerlandais chef de file des Etats du Nord, auto-proclamés « frugaux » (Pays-Bas, Autriche, Suède et Danemark et leur allié finlandais) . En effet, ces derniers, réfractaires au plan de mutualisation de la dette, ont imposé un certain nombre de concessions, notamment à Macron.

S’ils ont finalement donné leur accord au plan, c’est qu’ils ont obtenus d’importantes concessions, notamment sur leur contribution au budget de l’UE ainsi que sur la nature et les conditions d’allocation des aides, baissant le niveau des subventions au profit des prêts : « Au final, la part des subventions dans le plan est ainsi ramenée de 500 milliards à 390 milliards d’euros, le reste étant constitué de prêts plus classiques aux Etats, à rembourser par chacun. […] Emmenés par le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, les frugaux ont obtenu une forme de droit de regard sur l’utilisation que feront des subventions leurs bénéficiaires, un point qui a longtemps bloqué avec l’Espagne et l’Italie, soucieuses de ne pas se voir mises sous tutelle comme la Grèce lors de la crise de l’euro. », rapportent Les Echos. Par ailleurs, les pays riches du Nord de l’Europe ont obtenu qu’une partie des subventions comprises dans ce plan soit coupée dans les subventions allant au budget de l’UE, rognant sur le domaine de la santé ou encore sur le programme Erasmus.

Ainsi, si les leaders de l’Europe ne cessent de se féliciter de la conclusion d’un accord « historique », c’est essentiellement parce que les écarts entre les pays du Nord et ceux du Sud de l’Europe, qui ont été frappé bien plus durement par la crise pandémique, pourraient bien devenir insoutenables à terme pour l’UE. Comme l’affirmait Juan Chingo, « le fossé Nord-Sud est le plus profond du continent et il a aujourd’hui l’Italie comme maillon faible ce qui, de par le poids de ce pays, met en péril tout l’édifice européen construit à ce jour. Comme l’a déclaré le Premier ministre italien et ancien commissaire européen Mario Monti : ‘Il ne s’agit pas d’une question de "dolce vita" [en allusion au caractère trop dépensier, selon certains pays du Nord de l’Europe, d’une Italie extrêmement endettée]. Mais d’une question de vie ou de mort [pour l’UE]. »

La nécessité d’une réponse internationale des travailleurs

Loin des salons feutrés des négociations, ce sont les masses travailleuses qui sont les premières concernées par ces décisions inter-étatiques. Et nous avons notre mot à dire sur cet accord signant un endettement qui sera payé au prix fort par un approfondissement de l’exploitation au travers de politiques d’austérité.

Pourtant, les organisations du mouvement ouvrier se contentent d’apporter un « soutien critique » à cet accord, comme s’il aurait pu aller dans l’intérêt des travailleurs si le montant ou la part des subventions avaient été plus élevés. C’est dans ce sens qu’allait la tribune lancée par la DGB allemande et les cinq centrales syndicales françaises au moment de l’annonce du projet de relance porté par Merkel et Macron. C’est également la position défendue par la gauche tels que la France Insoumise en France, partisane de « l’approfondissement d’une Europe sociale », comme le montre l’intervention du député LFI Adrien Quatennens sur le plateau de LCI ce mardi matin dénonçant un accord où la France serait perdante face aux « frugaux » sans jamais pointer que ces subventions iront quoiqu’ils en soit à destination des grands patrons. Comme nous l’écrivions déjà en mars : « Ces déclinaisons à diverses échelles du réformisme et de la conciliation de classe confortent l’idée qu’il y aurait une possible unité d’intérêts entre les grandes multinationales, au profit desquelles gouverne l’UE, et le monde du travail. »

Alors que la crise risque de mettre plus d’un tiers des salariés à la porte selon l’OIT, alors qu’elle commence à peine à s’exprimer et frappe déjà par sa grande violence avec des plans de licenciements massifs dans des secteurs centraux de l’économie, alors que les grands patrons bénéficient d’aides massives de la part de l’État sans qu’un centime de leurs profits soit mis à contribution, ce n’est pas d’un « plan de relance européen » dont nous avons besoin mais bien d’une réponse de classe.

Comme nous l’écrivions à propos de l’UE : « Il s’agit d’une structure qui n’est aucunement progressiste et qui ne peut en aucun cas être réformée. En d’autres termes, il est impossible d’améliorer l’Union Européenne sans changer radicalement son contenu de classe. Cela impliquerait, de concert, de liquider le caractère impérialiste de l’UE, dont souffrent les pays d’Europe centrale et orientale, qui ont été intégrés au giron de Bruxelles à la façon de semi-colonies à la suite de la désintégration de l’ancien Bloc soviétique, mais que subissent également les peuples de la périphérie capitaliste qui sont contraints à une émigration forcée, du fait de la politique de spoliation pratiquée par les différents impérialismes européens, et qui se retrouvent, une fois aux frontières de l’UE, face à « l’Europe forteresse »  ».

Il n’y a, face aux plans de la classe dirigeante au niveau de l’UE comme au niveau national, d’autre réponse que l’organisation des salarié-es des différents États contre les plans de misère qui leur sont imposés. Cela passe non seulement par une opposition claire aux plans d’État et du patronat, mais aussi par une lutte contre les directions syndicales qui sont habilement utilisées par ces derniers pour faire passer la pilule sur les lieux de travail.

Un mot d’ordre radical à avancer collectivement et internationalement contre ce « plan de relance » qui va mettre nos vies directement sous la tutelle des banques n’est autre que l’expropriation du secteur bancaire, qui ne pourra être imposée qu’au moyen de la lutte résolue des salarié-es dans les années à venir. Nous écrivions en mars dernier : « Une campagne pour l’expropriation du secteur bancaire de la part des forces qui se revendiquent de l’extrême gauche permettrait de consolider une position indépendante, tout à la fois contre la bourgeoisie et ses partis dont le but est de maintenir l’actuel système de domination de la finance et du grand capital, comme en témoigne l’accord Merkel-Macron, mais également contre les nationalistes qui se contentent d’accuser Bruxelles pour suivre, en dernière instance et dans le pire des cas, exactement la même politique néo-libérale, comme a pu le faire Matteo Salvini, lorsque la Ligue était au gouvernement, en Italie - mais aussi contre ceux qui, à gauche, se réclament de la « souveraineté française » contre Berlin, ce qui revient à défendre les capitalistes hexagonaux comme si ces derniers ne tiraient pas profit de la situation et ne participaient pas à l’exploitation des peuples et à la spoliation des colonies et des semi-colonies. Une campagne de ce type, qui pourrait être conduite, dans le cas français, par le Nouveau Parti Anticapitaliste et par Lutte Ouvrière, renforcerait au sein du monde du travail l’idée que seul un gouvernement des travailleurs et des travailleuses peut offrir une solution face à la situation catastrophique qui s’approche à grands pas, face aux différents accords et plans issus des sommets européens entre gouvernements capitalistes qui s’apprêtent à redoubler leur offensive, au cours de la période à venir. ».


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