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Etats-Unis

Plan Biden : aider les pauvres pour que les grands capitalistes puissent continuer à gagner

Joe Biden et les démocrates ont adopté l'une des plus grandes lois de dépenses de l'histoire. Beaucoup considèrent cette loi comme la loi anti-pauvreté de notre génération, mais la vérité est plus compliquée.

Sybil Davis

16 mars 2021

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Le président américain Joe Biden et ses alliés démocrates du gouvernement ont réussi à faire passer leur plan de relance phare au Congrès. Malgré les nombreuses concessions faites en cours de route à l’aile droite du parti démocrate, ce plan reste l’un des plus chers de l’histoire du pays, avec 1 900 milliards de dollars. Alors que la pandémie entre dans sa deuxième année et que l’économie est encore loin d’être rétablie, les démocrates ont adopté (sans une seule voix républicaine) un plan de relance qui double la taille de celui d’Obama en terme de pourcentage du PIB. Ce qui pourrait annoncer un changement majeur de la gestion de la crise économique par le gouvernement. Si les détracteurs et les partisans de cette mesure affirment qu’il s’agit d’un plan de lutte contre l’inégalité ; c’est en réalité plus complexe. C’est vrai que ce plan contient en effet des concessions significatives pour la classe ouvrière.. Mais le problème, c’est que la plupart des mesures les plus progressistes ont été retirées du projet de loi avant son adoption, et beaucoup des concessions accordées ne sont que temporaires.

Le plan de Biden comprend une augmentation de 300 dollars par semaine des allocations chômage jusqu’en septembre, des aides pouvant atteindre 1 400 dollars par personne, 350 milliards de dollars d’aide aux états, une augmentation des crédits d’impôt pour les enfants et une augmentation de 15 % de l’aide alimentaire jusqu’en septembre. De plus, le projet de loi prévoit également un soutien de 50 milliards de dollars aux petites entreprises, étend le programme de santé "Obamacare" en élargissant le nombre de personnes pouvant y bénéficier, notamment les personnes handicapées, les étudiants et les familles ayant un statut d’immigration mixte. Toutefois, le plan de relance ne prévoit pas l’augmentation du salaire minimum de 15 dollars qui était promise. Il n’inclut pas non plus l’annulation de tout type de dette.

Un nouveau Roosevelt ?

Cette stratégie de relance a créée une controverse avec certains économistes qui craignent que cela "surchauffe" l’économie, en réduisant le chômage en dessous du taux "souhaité" ce qui augmenterait l’inflation. L’existence d’un taux de chômage souhaité est une des nombreuses obscénités du système capitaliste. Le capitalisme a besoin de cette "armée de réserve" de travailleurs sans emploi, pour maintenir les salaires bas en créant une peur du chômage et une demande limitée de main d’œuvre. De plus, la droite craint qu’en améliorant les allocations de chômage, le projet de loi dissuade les chômeurs de chercher du travail, ce qui pourrait freiner la croissance économique. D’autres craintes de la droite sont liées aux niveaux d’endettement, aux déficits publics et à "l’irresponsabilité fiscale". Les cercles de droite critiquent vivement le fait que Biden et les démocrates utilisent le plan de relance pour mettre en œuvre des "stratégies politiques" et "combattre les inégalités au lieu de lutter contre la pandémie".

Laissons de côté les discussions théoriques sur l’impact du plan de relance sur la dette, et penchons nous sur quelles conséquences aura-t-il vraiment sur la précarité de la classe ouvrière. Selon le New York Times le projet de loi était "le plus grand effort de lutte contre la pauvreté de toute une génération". Le magazine Jacobin, plus modéré, comprend que le projet de loi est "bon, mais pas assez bon", mais dit aussi que "le parti démocrate est enfin prêt - au moins pour un moment - à ouvrir le tuyau de l’argent et à le diriger pour une fois non pas vers les magnats de Wall Street, mais vers la pauvreté et le désespoir qui détruit les pauvres et la classe moyenne". Le Wall Street Journal, plus à droite, a comparé le projet de loi de manière défavorable aux célèbres (ou infâmes) programmes de la Grande Société que Lyndon Johnson a fait passer dans les années 1960.

Mais les mesures les plus progressistes du projet de loi, qui auraient pu aider les travailleurs à moyen et long terme, ont été supprimées. Ce qui donne finalement un plan de relancement qui constitue davantage un coup de pouce temporaire à l’économie, qu’une réelle aide aux plus pauvres. Par exemple, la plupart des mesures (telles que la prolongation du chômage et la réforme des crédits d’impôt) expireront au bout d’un an maximum. Toutes ces mesures de soutien apportées au travailleurs, sont vouées à disparaître quand les capitalistes estimeront que l’économie est de nouveau sur pied.

En mettant une partie du paquet directement dans les poches des Américains, Biden espère que leurs dépenses relanceront l’économie sans trop de séquelles. C’est ignorer la véritable ampleur de la crise actuelle. Depuis des décennies, l’inégalité des richesses est en hausse, et les États-Unis présentent le niveau d’inégalité le plus élevé de tous les pays du G7. De plus, la classe ouvrière ne s’est jamais complètement remise de la récession économique de 2008, qui est la cause de la crise économique à laquelle on assiste actuellement.

Par exemple, avant même le début de la pandémie, de nombreux travailleurs avaient du mal à payer leur loyer, et la pandémie n’a fait qu’aggraver la situation. Bien que Biden ait mit en place une aide au logement ; le projet de loi ne prévoit pas de mesures de contrôle des loyers, ni d’augmentation des salaires. Le projet de loi ne prolonge pas non plus le moratoire sur les expulsions, qui doit expirer le 31 mars. On voit alors que les concessions du plan de relance sont juste un pansement pour faire patienter les travailleurs pendant quelques mois, jusqu’à ce que la pandémie soit résolue et que tout redevienne comme avant.

La suppression du salaire minimum à 15 dollars est le parfait exemple. Même si 15 dollars de l’heure sont insuffisants pour vivre dignement, ils auraient tout de même été une augmentation significative des revenus pour les travailleurs précaires.

Si on ne peut pas dire que Biden mène une politique contre les inégalités, il s’agit tout de même d’une concession aux travailleurs bien plus importante que ce que nous avons vu depuis des décennies.

Par exemple, le plan réduit les impôts des travailleurs, mais pour un an seulement. Ce changement est notable et il représente une hausse relativement importante de l’aide sociale" pour les familles. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle les démocrates ont eu droit à une pluie d’éloge pour avoir soi-disant sorti la moitié des enfants pauvres de la pauvreté. Mais puisque ces aides disparaissent au bout d’un an, personne ne sortira réellement de la pauvreté. De plus, comme l’a écrit Matt Bruenig pour Jacobin : " le nouveau régime fiscal continue d’exclure les enfants les plus pauvres de la plupart des avantages... les enfants les
plus pauvres ne recevront que 3 000 dollars du système de crédit d’impôt, tandis que les enfants dont les revenus sont proches du seuil de pauvreté recevront plus du double de ce montant, soit 6 618 dollars. " Pour en revenir aux débats plus théoriques entre économistes, voici le point central : l’économie américaine est fondamentalement instable, et Biden doit prendre des mesures de plus en plus désespérées pour la stabiliser. La manière dont il devrait s’y prendre fait l’objet d’un débat entre les économistes bourgeois. Mais tous s’accordent à dire qu’un excès dans l’une ou l’autre direction (dépenses ou austérité) pourrait plonger l’économie dans une instabilité encore plus grande. Cela nous amène à un autre fait : les
capitalistes n’ont pas de solutions à la crise à laquelle ils sont confrontés. Ils proposent donc des demi-mesures et des aides ponctuelles dans l’espoir qu’une injection de capitaux dans l’économie accélérera artificiellement la reprise.

En ce sens, ce plan n’est guère une renaissance de Roosevelt et du New Deal. Malgré tous ses défauts, le New Deal a créé des programmes sociaux durables qui sont beaucoup plus difficiles à défaire que telle ou telle disposition temporaire. Dans l’ensemble, il s’agissait d’une concession beaucoup plus importante, car Roosevelt a pu convaincre les capitalistes de renoncer à une partie de leur profit, dans le but d’éviter une potentielle explosion de la lutte des classes (et éventuellement de la révolution). En ce sens, nous ne pouvons pas considérer que le plan de relance de Biden, aussi large soit-il, soit comparable au New Deal. Il s’agit plutôt d’une injection ponctuelle de vitamines dans les foyers de la classe ouvrière et des pauvres dans l’espoir de relancer l’économie.

Comment se gagnent les concessions ?

Biden a contribué à faire adopter le plan de relance d’Obama, qui consistait principalement à renflouer les poches de Wall Street. Ce projet de loi est différent, puisqu’il s’adresse principalement à la classe ouvrière. Pourquoi ce changement de politique de la part du nouveau président américain ?

Biden a été élu avec un large soutien, allant de Wall Street et d’une grande partie de l’administration Bush au mouvement Black Lives Matter. Cette coalition instable et laisse Biden dans une position très complexe en tant que président. Il doit à la fois être un serviteur du capital, qui a financé son élection, et garder derrière lui les éléments les plus progressistes du parti démocrate. À cela s’ajoute le fait que la polarisation entre la gauche et la droite n’a fait que s’accentuer en raison de la crise économique. Biden a été élu pour des raisons très différentes : Wall Street veut suffisamment de stabilité pour revenir à la normale, les néoconservateurs de l’ère Bush veulent rétablir l’hégémonie américaine à l’étranger, et Black Lives Matter et les progressistes ont soutenu Biden pour en finir avec Trump et l’extrême droite.

La présidence de Biden revêt donc un caractère très contradictoire, mêlant certaines réformes progressistes à une politique capitaliste. Un jour, il adhère aux accords de Paris sur le climat et le lendemain, il bombarde la Syrie. Un jour, il met fin à l’interdiction faite aux personnes transgenres de servir dans l’armée, le lendemain, il décide de maintenir ouverts les camps de concentration à la frontière mexicaine. En d’autres termes, Biden veut faire passer un énorme plan de relance pour pouvoir dire qu’il est l’ami des travailleurs, tout en se mettant dans la poche certains secteurs du capital qui pensent que cela permettra de faire remonter les dépenses de consommation, ce qui relancera l’économie. Les concessions offertes ne sont qu’une tentative de garantir les profits des capitalistes.

Il faut aussi préciser que, si ce plan de relance semble progressiste, c’est en grande partie en prévention d’une menace imminente de lutte des classes. Comme Roosevelt et d’autres avant lui, Biden offre quelques concessions à la classe ouvrière à un moment de crise, afin de tuer tout potentiel de lutte de classe qui pourrait exiger des revendications plus larges. Inversement, s’il y avait plus de lutte des classes aujourd’hui, les concessions faites par Biden seraient surement plus fortes.

Biden essaie d’apaiser la classe ouvrière en lui jetant des miettes, pour qu’elle soit plus discrète le jour où il devra appliquer des mesures austéritaires.

De plus, le processus d’adoption de projet de loi a été totalement antidémocratique. Une grande partie de celui-ci été conçu pour obtenir le soutien d’un seul sénateur (le démocrate de droite Joe Manchin), ce qui lui permet d’exercer un droit de veto presque total sur le contenu. Cela montre les défaillances de la démocratie bourgeoise. C’est une honte de voir ces personnes aux salaires à six chiffres se disputer à la télévision pour savoir si nous méritons de gagner plus que 7,25 dollars de l’heure. C’est une honte, tout comme le débat sur la question de savoir si le fait de donner plus d’argent aux chômeurs pendant une pandémie et une crise économique les découragera de chercher du travail.

Ce dont nous avons besoin

Les travailleurs peuvent arracher des revendications au gouvernement Biden (tout comme ils pourraient en obtenir de Trump, Obama ou Bush), mais tout en sachant qu’il ne les offrira jamais de bon gré. Nous devons nous battre, et nous ne pouvons pas compter sur les membres des partis capitalistes - même progressistes comme Ocasio-Cortez ou Sanders - pour se battre pour nous. Nos luttes constituent une
menace pour l’ordre capitaliste, de sorte que les capitalistes, leurs politiciens et leurs alliés dans les bureaucraties syndicales et du mouvement social font tout pour s’assurer que la lutte des classes ne se développe jamais. Cela peut passer par une répression brutale, et parfois en faisant des concessions dans l’espoir que nous nous en contenterons. Biden et d’autres essaient d’acheter la passivité de la classe travailleuse pour 1400 $ et 300 $ de plus par semaine.

Au lieu de cela, nous devons exiger des revendications pour la classe ouvrière qui vont réellement dans le sens de la résolution de la crise. Nous n’avons pas seulement besoin d’aides ponctuelles ; nous avons besoin d’un salaire mensuel versé à tous les travailleurs qui ne peuvent pas retourner au travail à cause de la pandémie. Nous n’avons pas seulement besoin de plus d’argent pour les tests de dépistage ; nous avons besoin de soins de santé publics gérés par les travailleurs de la santé et les patients, et non par des hommes d’affaires qui veulent s’enrichir sur notre santé. Il y a de l’argent pour cela ; en fait, l’argent que les milliardaires ont gagné depuis le début de la pandémie pourrait à lui seul payer les deux tiers de l’ensemble du plan de relance. Mais pour obtenir ces mesures, nous devrons nous battre. Nous ne pouvons pas compter sur Biden et ses complices capitalistes pour nous les donner.


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