“Le courage intellectuel de la vérité et la pratique politique sont deux choses inconciliables en Italie”

Né le 5 mars 1922, il a vécu dans plusieurs villes d’Italie. À sept ans il écrivait déjà des poèmes et il publiera pour la première fois à l’âge de 19 ans. Il fait ses études à l’Université de Bologne, où il deviendra le capitaine de l’équipe de foot (une de ses autres passions) de la faculté de Philosophie et Lettres.

Il a fait partie du Parti Communiste italien, et en 1948, il en a été expulsé, accusé “d’indignité morale et politique”, en raison de ses « influences de courants idéologiques et philosophiques comme celles de Gide et de Sartre”. Ça sera aussi le cas d’autres poètes et écrivains, considérés comme réactionnaires par le PCI.

Il a écrit quelques articles au journal Corriere della sera remettant en question le régime politique italien, et en particulier, la démocratie chrétienne et les partis soi-disant progressistes de l’époque. C’est ainsi qu’il a commencé à se faire une poignée d’ennemis qui ne feront que grandir avec le temps.

Les concepts les plus récurrents dans l’œuvre de Pasolini seront « la force suprême du sexe », ainsi que le caractère archaïque des relations humaines, l’aspect vital de l’existence, l’innocence et sa relation avec la violence de la société. Marqués par un érotisme profond, ses récits, les premiers plans de ses films, mettent en scène le drame et la réalité des marginaux, des pauvres, des exploité-e-s et des opprimé-e-s plongés dans les pulsions animales de vie, pleines de passions, mélangeant plaisirs humains et contradictions sexuelles. Se placer contre l’autoritarisme institutionnel, la société de consommation et la décadence fruit d’une culture de masse dictée par les valeurs bourgeoises et la chosification des personnes dans le système capitaliste, ainsi que tous ces facteurs qui rendent la vie misérable, sont l’un des éléments fondateurs du monde poétique de Pasolini.

En 1957, il publie un de ses livres les plus célèbres, Les cendres de Gramsci, pour lequel il a été lauréat du prix Viarregio de littérature italienne. Dans son hommage théorico-marxiste, rempli d’une narration très poétique, il retrace le drame historique de l’Italie et du monde occidental, portraits de la profonde désillusion qu’il vivait. Pasolini dialogue avec la tombe de Gramsci, qui l’a influencé pendant ses premières années de formation et qui l’interpelle par la suite dans ses questionnements plus mûrs, contre la perte de la mémoire, sur la décadence sociale et culturelle découlant de la consommation sans freins et de l’influence négative des moyens de communication dans la société italienne.

(Fragment) Cendres de Gramsci :

Jeune alors, en ce mois de mai où faire
erreur signifiait encore vivre, un mai italien
qui ajoutait, du moins, à la vie, la ferveur,

(…) esquissait l’idéal qui donne sa lumière
(…) au silence.

Les romans Ragazzi di vita (1955) et Una vita violenta (1959) décrivent les milieux marginaux de l’Italie. Les prostituées, les voleurs et les déshérités de fortunes familiales deviennent aussi les visages de son premier film Accattone (1961).

En 1960 il publie les essais Passione e ideologia, et en 1961 un nouveau recueil de poèmes, La religione del mio tempo. C’est à ce moment qu’il fait ses films les plus connus, et qu’il commence à affirmer plus fermement ses idées, à polémiquer publiquement avec la néo-avant-garde et le structuralisme français qui, d’après lui, étaient complètement vidés de vitalité et de perspective révolutionnaire.

L’Évangile selon Saint Mathieu (1964) est un documentaire sur le martyre de Jésus, Œdipe roi (1967) et Medea (1969) recréent d’anciens mythes depuis une perspective contemporaine. Teorema (1967), d’un autre côté, sera une dure critique de la famille et des valeurs bourgeoises.

Quelques années plus tard, il tournera la Trilogie de la vie, avec un regard particulièrement centré sur l’érotisme, la violence et la dépravation humaine. Il réalisera ainsi : Le Decameron (1971), Les contes de Canterbury (1972) et Les mille et une nuits (1974). Ces trois films ont rendu encore plus vifs les scandales et les frictions avec l’Église catholique, puisqu’ils mettaient en relief les aspects les plus conservateurs et réactionnaires de la société italienne. Une attaque directe à l’ordre moral.

C’est en 1975 qu’apparaît sur les écrans le film qui va révolutionner le cinéma mondial et scandaliser l’ensemble de la société italienne. Cette décision lui causera d’innombrables menaces de mort, la censure et des pressions politiques. Il s’agit de Salò ou les 120 jours de Sodomme, adaptation du livre Les 120 jours de Sodomme du marquis de Sade. Le film a par ailleurs été tourné dans la région de Saló, qui avait été occupée par le fascisme allemand, et où Pasolini lui même est témoin de la persécution, et harcèlement de la part de l’armée. Son dernier film est sans doute une œuvre viscérale, un portrait expressionniste et cru de la dégradation humaine, mélangeant pornographie et sadomasochisme. Muni d’un symbolisme et de métaphores très directes, il réussit à briser par ce biais les limites cinématographiques en faisant exploser ses formes, en cherchant à perturber un public qui se sentira identifié à quelques instants, et éprouvera un rejet profond à d’autres, tout au long de ce chef d’œuvre.

Salò ou les 120 jours de Sodome

Un assassinat politique

Quelques jours avant son assassinat, Pasolini travaillait sur son dernier roman, Pétrole. Le directeur Abel Ferrara a présenté l’année dernière “Pasolini”, un film incarné par Willem Dafoe, où il recrée les dernières heures de l’écrivain révolutionnaire et choisit de montrer des passages du roman qui restera inachevé.

(Fragment) “À la mort”

Je reviens à toi, comme un émigré

revient à son pays et le redécouvre :
j’ai fait fortune (dans l’intellect)
et je suis heureux, tout
comme je l’étais un temps, rejeté de la norme.
Une noire rage de poésie au cœur.
Une folle vieillesse d’adolescent.
Autrefois ta joie se confondait
à la terreur, c’est vrai, et maintenant
presque à une autre joie,
blême, desséchée, ma passion déçue.

Maintenant, tu me fais vraiment peur,
parce que tu m’es vraiment proche, incluse
dans mon état de rage, de faim
obscure, d’angoisse presque de nouvelle créature.

La religione del mio tempo (1961)

Pasolini est retrouvé sans vie dans la ville d’Ostie, dans la banlieue de Rome. D’après les dernières enquêtes, trois hommes l’auraient frappé brutalement. Son assassinat a été déclaré comme un « crime passionnel », et pourtant, les rumeurs laissaient déjà entendre l’existence de raisons politiques ayant motivé celui-ci. Giuseppe Pelosi, (qui se prostituait et maintenait une relation avec Pasolini) est condamné à 9 ans de prison, en tant qu’auteur matériel de son assassinat. Trente ans plus tard, en 2005, d’après ses propres déclarations, Pelosi admettra que trois hommes seraient sortis de nulle part dans la scène du crime et auraient brutalement frappé Pasolini sous les cris de “communiste, pédé, cochon…” jusqu’à le tuer.

Pendant ces jours-ci, différents hommages sont en train d’être rendus dans différents pays comme la France, l’Etat espagnol, le Chili, le Mexique, et son Italie natale, pour le quarantième anniversaire de sa mort.