Du confinement au faciès

Peaux noires, masques blancs et zones grises à l’ère du Covid-19

Alimaj Tacsam

Peaux noires, masques blancs et zones grises à l’ère du Covid-19

Alimaj Tacsam

La pandémie nous a appris que le Covid-19 et les forces de police ont quelque chose en commun, la capacité de tuer par asphyxie.

L’écrivaine indienne Arundhati Roy publiait début avril dans le Financial Times un article devenu viral en l’espace de quelques jours par temps de confinement global et dont le titre – « The pandemic is a portal » [« La pandémie est un portail »] – avait le mérite d’évoquer l’horizon d’un recommencement dans l’après Covid-19, au moment même où dans plusieurs pays européens le nombre de contagions et de décès continuait à augmenter exponentiellement. Roy invitait ainsi à se préparer à franchir ce seuil vers l’avenir bâti par la pandémie en oubliant les carcasses du vieux monde pour en ré-imaginer un nouveau. Et si la pandémie, dans l’immédiat et sur le long terme, laisse bien entrevoir des scénarios inédits, et surtout inquiétants, force est de constater que l’ouragan épidémique n’a pas simplement ouvert la voie à l’imagination de futurs possibles mais a également confirmé, à bien des égards, une cruelle déferlante de maux sociaux d’un passé qui ne cesse d’être présent. Non seulement, le virus n’a pas été le « grand égalisateur » tel que Andrew Cuomo, le gouverneur de l’Etat de New York, le prédisait, ou tel que cela pouvait le sembler au moment où, au tout début de la contagion en Europe, faute de tests disponibles à l’exception de quelques VIP, nous avons pu avoir l’illusion, rapidement dissipée, que face au Covid-19, nous serions tous et toutes égaux.
Bien au contraire, la loi du Covid, à l’image de la loi des tribunaux qui se proclame égale pour tous et ne l’est pas, se montre sensible aux inégalités : les plus pauvres et les plus vulnérables en sont les premières victimes.

Un virus révélateur

En ce sens, sous forme de crise globale et totale (sanitaire, certes, mais tout aussi profondément économique et politique), la pandémie n’a cessé de jouer un rôle brutalement clivant, catalyseur de disparités et d’injustices sociales. Parallèlement, la vague virale qui a condamné à mort en l’espace de quelques semaines plus de 383 000 personnes – si l’on tient compte des seuls chiffres officiels communiqués par les agences sanitaires de chaque pays et, très probablement, largement sous-évalués – a fait en sorte que les vérités de ceux d’en bas finissent néanmoins par crever les yeux de ceux d’en haut. C’est ainsi que la pandémie a révélé à quel point les revendications et les dénonciations exprimées encore très récemment dans les mouvements de contestation, en France et ailleurs, apparaissent une fois de plus comme incontestables.

La pandémie a rétabli en toute évidence que « nos vies valent plus que leur profits », car le profit n’est que le résultat de notre travail et sans travail il n’y a plus de profits pour ceux qui ont l’habitude d’en profiter. Elle a réaffirmé, au passage, que le travail n’est pas que du télétravail. Elle a démontré qu’il n’y a pas de production sans reproduction et soin de la vie sous toutes ces formes, comme il n’y a pas de reproduction sans production de biens fondamentaux. Elle a lancé un cri d’alerte sur les conséquences humaines, trop humaines, de la destruction permanente des écosystèmes de la planète par les biotechnologies d’un mode de production insoutenable. Elle a tristement pointé du doigt la place des femmes doublement frappées par l’urgence sanitaire, car exploitées toujours au travail, telles que ces travailleuses encensées à plusieurs reprises dans les allocutions d’Emmanuel Macron qui semble les avoir découvertes à cette occasion, et souvent condamnées à un ménage domestique oppressif voire même violent.

La crise a également montré les visages de celles et ceux dont la force de travail est fondamentale pour le plein déroulement des activités, essentielles ou non, et qui pendant le confinement se pressaient dans le peu de transports publics en circulation pour se rendre au boulot. Enfin, elle a mis en lumière l’énorme fossé entre bobos et prolos, entre la France qui se lève (un peu plus) tard et celle qui se lève (très) tôt, entre les confinés à la campagne et les enfermés dans les cités, sans oublier les sans-papiers, les sans-abri, les détenus, les réfugiés, tous ségrégués, une fois de plus, aux marges de la société. Et, sans surprise, la pandémie a aussi reconfirmé une gestion répressive et scandaleusement violente de « l’ordre public » de la part des forces de police dans les quartiers populaires où réside majoritairement ce vaste peuple des travailleurs et travailleuses qui ont été impitoyablement confrontés à la nécessité de se protéger, en même temps, et du virus, et des flics.

Covid et barbarie

L’état d’exception instauré dans une majorité de pays par le Covid-19 a connu à son tour des exceptions. Si le virus n’épargne personne, pourquoi les Africains-américains aux Etats-Unis ont-ils été frappés de manière si disproportionnée par la maladie, avec 24 000 décès sur un total de plus de 110 000 morts ? Ou, pourquoi encore, la Seine-Saint-Denis, l’un des départements plus pauvres de France et le plus peuplé de la région parisienne avec 1,6 millions d’habitants, a-t-elle connu une surmortalité beaucoup plus élevée que d’autres départements ainsi qu’un taux de verbalisation pour non-respect des règles de confinement de 17 %, trois fois supérieure à la moyenne nationale ?

Les nombreuses analyses socio-médicales qui ont réfléchi à la surreprésentation des minorités ethno-raciales dans l’exposition à la contagion et dans les taux de décès ont permis de mettre en lumière l’impact des inégalités ethno-raciales sur les effets ponctuels de la pandémie. Le dernier numéro de la revue De facto est consacré à l’étude comparative d’un tel phénomène à échelle internationale et se propose ainsi d’interroger non seulement « comment l’épidémie affecte et renforce les inégalités ethno-raciales, mais également comment ces dernières ont elles-mêmes des effets sur la gestion, sanitaire et politique, de la pandémie ». Si les habitants des quartiers populaires, souvent mais pas exclusivement issus des minorités, en France comme aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, font face à un risque de contagion plus élevé, c’est pour de nombreuses raisons – forte concentration démographique, constante exposition au travail, même en période de confinement, recours plus important aux transports publics, présence de facteurs de comorbidité associés au Covid-19 et d’obstacles dans l’accès aux soins, dégradation de l’hôpital public – qui dressent le tableau d’un apartheid spatial et socio-racial ayant des conséquences similaires dans des contextes pourtant très différents, ne serait-ce que par rapport au fonctionnement des systèmes de santé et de couvertures sociales respectifs dans ces trois pays. Dans la mesure où il est impossible de soupçonner le coronavirus de ciblage raciste, ces études obligent néanmoins à constater à quel point le socio-racisme structurel qui gouverne nos sociétés est responsable des effets très inégaux de la pandémie.

Les quartiers populaires, ennemis principaux

A cela s’ajoute l’énième exception qui a été la règle partout, à savoir l’application coercitive et brutale de mesures issues de l’état d’urgence sanitaire, exercice dans lequel la France vante, à son tour, des prérogatives tout à fait exceptionnelles.
Mi-avril le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, rappelait aux pays qui avaient adopté des mesures spéciales dans la lutte contre la pandémie que l’ennemi à viser était précisément « le virus et pas les gens en tant que tels », avec l’invitation à veiller à ce que la crise sanitaire ne soit pas, en dernière instance, instrumentalisée à des fin répressives. Peu après, la Haute Commissaire aux Droits de Homme, Michelle Bachelet alertait quant au danger d’un état d’exception généralisé qui aurait pu légitimer les gouvernements à se servir de leurs pouvoirs spéciaux pour brider toute expression de dissension et exercer davantage de contrôle sur les populations. Dans certains cas, soulignait Bachelet, « les personnes meurent à cause de l’application inappropriée de mesures qui étaient censées être mises en place pour les sauver ». Les propos de Georgette Gagnon, Directrice des opérations sur le terrain du Haut Commissariat de l’ONU aux Droits de l’Homme, allaient dans le même sens, regrettant la manière dont plusieurs pays appliquant des dispositifs sécuritaires « lourds » ou « hautement militarisés » inauguraient « une culture toxique du confinement ». Néanmoins aucun des reproches contenus dans les discours des fonctionnaires onusiens ne s’adressaient explicitement aux « pays du premier monde ». Parmi les quatre-vingt Etats ayant établi des mesures exceptionnelles de distanciation sociale pour faire face à la pandémie, les quinze blacklistés par les Nations Unies étaient, notamment, le Nigeria, le Kenya, l’Afrique du Sud – trois pays dans lesquels plusieurs dizaines de décès ont été recensés à la suite d’opérations de police dans le cadre du confinement – les Philippines – où les mesures de confinement ont conduit à l’arrestation de pas moins de 120 000 personnes, alors que le président Duterte, fidèle allié de Trump, donnait l’ordre tirer à vue contre celles et ceux qui auraient transgressé les règles – le Sri Lanka – avec des dizaine de milliers de détentions – ou encore le Salvador, la République Dominicaine, le Honduras, le Pérou, la Jordanie, le Maroc, le Cambodge, l’Ouzbékistan, l’Iran ainsi que la Hongrie, seul pays membre de l’Union Européenne épinglé. Selon les rapports publiés par les Nations Unies à ce sujet, les forces de police dans chacun de ces Etats alternant, en fonction des besoins, viols et meurtres, canon à eau et gaz, taser et balles en caoutchouc, ont eu recours à un usage « disproportionné » de la violence dans la gestion de l’ordre public.

La liste des violences néanmoins est loin d’être exhaustive : aux Etats-Unis le confinement a été l’occasion de donner encore plus de marge de manœuvre à des forces de police racistes et criminelles qui peuvent se vanter, néanmoins, d’une longue tradition d’impunité. Le meurtre, le 25 mai, de George Floyd, bien que non directement lié au « respect » du confinement, en est l’énième tragique illustration.
En Roumanie, les associations de défense des droits des Rom ont dénoncé les « méthodes de cowboy » mises en œuvre par la police au nom de l’urgence sanitaire avec un acharnement tout particulier contre les populations Rom. Elles ont d’ailleurs publiquement interpellé le président Klaus Iohannis pour exiger la démission de son ministre de l’Intérieur ainsi que de son cabinet à la suite de la publication d’images montrant des policiers frappant des hommes Rom allongés au sol, le tout rythmé par des insultes racistes. Et on pourrait multiplier les exemples dans d’autres pays dans la mesure où, du Brésil à l’Inde en passant par l’Etat Espagnol, les dispositifs exceptionnels introduits par la crise sanitaire ont été partout l’occasion de normaliser davantage la violence institutionnelle préexistante et son corrélat de barbarie.

L’école française de la répression

Mais si la France ne fait pas exception à cette tendance lourde, elle s’y distingue pour avoir été le pays d’Europe où le contrôle et le « management » policiers des quartiers populaires est allé le plus loin – si l’on fait abstraction de la Hongrie dirigée par le premier ministre d’extrême-droite Victor Orban qui, le 30 mars s’était octroyé les pleins pouvoirs, révoqués fin mai, pour « faire face à l’épidémie ». Le « cas français » de gestion répressive du confinement a déclenché en avril une nouvelle saison de révoltes de banlieues après « l’incident » du 18 avril, lorsque qu’un homme de trente ans en moto a été grièvement blessé à la jambe à la suite d’une « collision » provoquée par l’ouverture d’une portière d’un véhicule de police à Villeneuve-la-Garenne.

Ironie du sort, Edouard Philippe justifiant début mai les premiers pas vers le déconfinement avait repris à son compte la dénonciation de la toxicité de ce même confinement : « Le Covid-19 est toxique, mais les huis clos aussi. Le Covid-19 est toxique, mais le décrochage social et scolaire l’est tout autant ». Ce faisant, il oubliait de mentionner le côté férocement et tragiquement toxique de la répression policière, phénomène qui, depuis quelques années, a cessé d’être perçu comme quelque chose d’exceptionnel par une bonne partie de l’opinion publique, en France. Non pas que l’histoire des violences policières en France soit récente – les populations des quartiers pourraient témoigner de sa longue et de sa prestigieuse tradition. Néanmoins, ce n’est que depuis 2016, fondamentalement, lors du mouvement contre la loi Travail, quand la jeunesse non-issue des quartiers a commencé à être confrontée à des méthodes répressives jusque-là inédites, et jamais expérimentées à leur égard et à cette échelle de la part des forces de police, que « tout le monde » disait détester la police. Plus récemment, la consécration s’est produite avec le soulèvement des Gilets jaunes qui a enregistré une inquiétante montée en puissance des violences policières avec, au bas mot, 2 500 blessés et mutilés dans les rangs des manifestants en quelques mois. Il ne s’agit aucunement de dire qu’en l’espace de quatre ans les « bavures » auraient gagné le statut de « violences » auprès de l’opinion publique et des réseaux sociaux, terme qui est par ailleurs toujours obstinément rejeté par Christophe Castaner et la Place Beauvau. Il s’agit simplement de souligner que « grâce » à l’exposition de plus vastes couches de la population à la répression, les personnes qui, comme Camélia Jordana – même ayant les cheveux défrisés – ne se sentent « pas en sécurité face a un flic » sont de plus en plus nombreuses à le reconnaître, y compris publiquement. Rien d’étonnant à cela, sauf, comme le dit l’essayiste David Dufresne le fait que l’on puisse s’en étonner

Si le travail sur le terrain mené par des associations et des collectifs militants – tel que le Comité Adama ou Urgence notre police assassine – sur la question des violences et de l’impunité policières a gagné de plus en plus de visibilité dans le débat politique et médiatique, l’historique des rapports annuels d’Amnesty International témoigne également d’un « constat alarmant » en matière de « violations des droits humains commises par des responsables de l’application des lois en France, notamment des homicides illégaux et des cas de torture et d’autres traitements cruels, inhumains et dégradants ». En janvier 2020, Amnesty tirait à nouveau la sonnette d’alarme en republiant un rapport de 2011 – « France. ‘Notre vie est en suspens’. Les familles des personnes mortes aux mains de la police attendent que justice soit faite » – prenant acte, à près de dix ans de distance, d’une situation inchangée, voire ayant empiré. Cette enquête faisait suite à une autre étude de 2009 au titre également emblématique, « France. Des policiers au-dessus des lois » qui à son tour avait été précédée par un rapport de 2005, « France. Pour une véritable justice », qui diagnostiquait « l’existence d’un phénomène d’impunité de fait » pour les officiers responsables de violations dans l’exercice de leur métier « dans un contexte où la police, le ministère public et les juges se montrent peu enclins à enquêter de manière approfondie sur ces atteintes et à en poursuivre les auteurs présumés ».

Début mai une nouvelle enquête de l’ONG portant sur l’authentification et l’analyse de quinze vidéos témoignant de violences policières survenues pendant la période de confinement pointait encore une fois un usage illégitime de la force sur fond d’insultes racistes et homophobes. Ce « best of » de civisme républicain qui recense quelques épisodes marquants des pratiques policières en temps d’urgence sanitaire inclut l’arrestation le 7 avril d’un homme à Villeneuve-Saint-Georges, contrôlé, plaqué au sol et tasé alors qu’il était sorti réparer sa voiture ; l’interpellation du journaliste Taha Bouhafs le 19 avril, à Villeneuve-la-Garenne, alors qu’il couvrait, avec d’autres collègues, l’intervention de forces de l’ordre en direction des jeunes qui manifestaient, ou encore le 26 avril le cas d’un agent de police à l’Île-Saint-Denis, qui se s’adressait à une personne récupérée dans la Seine en la traitant de « bicot » et notant au passage « qu’il aurait fallu lui accrocher un boulet au pied ».

Le florilège d’images sélectionnées et authentifiées par Amnesty dévoile donc une géographie de la ségrégation bien particulière en temps de confinement : Torcy, l’Île-Saint-Denis, Les Ulis, Villeneuve-Saint-Georges, Villeneuve-la-Garenne, recoupant la plupart des banlieues de la petite et de la grande couronne parisienne. Sans oublier l’une des premières images choc du confinement datant du 18 mars lorsqu’à Château Rouge, dans le dix-huitième arrondissement parisien, une jeune femme de 17 ans se retrouve plaquée au sol au prétexte qu’elle n’a pas d’attestation de sortie, puis interpellée pour « pour outrage et rébellion » et par la suite placée en garde-à-vue. La période s’annonçait donc prometteuse et, néanmoins, ce n’était qu’un début. La situation et l’enchaînement de cas a néanmoins contraint Castaner à parler, fin avril, d’une « indignation légitime » devant le déroulement de certaines interventions des forces de l’ordre et à préciser que « le racisme n’a pas sa place dans la police républicaine » même si la réalité tend à infirmer ses propos.

En ce sens, le confinement a été l’occasion pour les forces de l’ordre de renouer une fois de plus avec les bonnes vieilles pratiques coloniales et de s’en prendre aux populations racisées des quartiers. Le volume collectif Polices d’empires. XVIIIe-XIXe siècles (2012) dirigé par V. Denis et C. Denys, en retraçant une histoire comparative des forces de l’ordre dans les domaines coloniaux européens, illustre comment les « périphéries » des empires – de l’Inde britannique aux Indes néerlandaises en passant par l’Afrique occidentale française – ont représenté de véritables laboratoires de la terreur policière moderne destinée ensuite à être importée en « métropole ». Mais tout en soulignant la manière dont cette modernité policière est d’abord expérimentée dans « l’ailleurs » colonial pour revenir par la suite en Europe, l’ouvrage souligne en conclusion combien « le principe de la “différence coloniale”, fondé sur la “nature des indigènes” et notamment leurs penchants criminels, permettait [...] que soient appliquées aux colonies des règles et des pratiques d’exception [et] de rendre compte de l’emploi de certaines techniques policières qui étaient considérées comme illégitimes ailleurs ».

Aujourd’hui, si les uniformes et les armes ne sont plus les mêmes, le principe d’apartheid demeure inchangé. « Le monde colonial », écrivait Frantz Fanon dans Les damnés de la Terre, dressant le portrait de la ville coloniale, « est un monde compartimenté [où] la zone habitée par les colonisés n’est pas complémentaire de la zone habitée par les colons. Ces deux zones s’opposent [et] obéissent à un principe de l’exclusion réciproque ». A l’intérieur même du territoire dit métropolitain, on retrouve les mêmes « lignes de partage de la couleur » qui, tout en traçant des frontières sociales bien visibles, restent perméables aux « passages » de dizaines de milliers de travailleurs et travailleuses résidant en banlieue et se reversant quotidiennement sur la ville pour assurer la continuité de la vie de tous et de toutes : autant de peaux brunes en masques blancs jetables qui, sans être recensées par des statistiques ethniques, inexistantes en France, étaient encore plus visibles dans les transports bondés au petit matin et dans les rues désertes pendant le confinement. Ce sont ces mêmes personnes qui ont payé le prix le plus élevé de l’état d’urgence sanitaire, faisant face à une routine périlleuse de métro-boulot-contagion en même temps qu’à l’acharnement des forces de police qui ont profité de tous les moyens mis à leur disposition pour faire régner la peur, au nom du maintien de l’ordre public et de la protection de l’hygiène sociale, dans les périphéries franciliennes et d’ailleurs.

Dans ces territoires depuis longtemps assignés au statut de zones grises de non-droit, vouées aux exceptions et en proie à tous les excès, le Covid-19 et les agent de police ont finalement démontré qu’ils ont un point commun : les deux peuvent tuer leurs victimes par asphyxie. Toujours Fanon, rappelant le caractère total, totalitaire et totalement destructeur de la colonisation – « c’est le pays global, son histoire, sa pulsation quotidienne qui sont contestés, défigurés, dans l’espoir d’un définitif anéantissement » – dans L’an V de la révolution algérienne (1959) revenait sur la spécificité du souffle des populations indigènes. « Dans ces conditions, remarquait-il, la respiration de l’individu est une respiration observée, occupée. C’est une respiration de combat », un souffle qui de par sa seule existence vitale résiste à l’oppression d’une domination mortifère, tel que le souffle coupé de George Floyd et son « I can’t breathe », un cri étouffé qui avait été déjà celui d’Eric Garner et qui aurait pu être celui d’Adama Traoré et de tant d’autres assassiné.es par les forces de police. Ce sont leurs meurtres au bout du souffle qui ne cessent d’insuffler un air de révolte dans le monde entier contre les atrocités d’un capitalisme racial de plus en plus irrespirable.

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