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Autoritarisme sanitaire

Pass vaccinal. Macron fait des non vaccinés les boucs émissaires de la crise sanitaire

Adopté à l’assemblée nationale dans la nuit de mercredi à jeudi, le passe vaccinal devrait à l’issue de la navette parlementaire et de son passage au Sénat vraisemblablement incarner un pas en avant dans la gestion autoritaire du gouvernement assez inédit. Illimitation dans le temps, renforcement des contrôles, multiplication des « contrôleurs » et judiciarisation accrue : retour sur un projet de loi ô combien problématique et ce quoiqu’on pense à propos de la nécessité d’une vaccination de masse.

Nathan Deas

7 janvier 2022

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Crédit photo : AFP

Mis à l’examen des députés lundi dernier, le passe vaccinal a fini par être adopté en première lecture tard dans la nuit de mercredi à jeudi par la première des deux chambres parlementaires. Pas encore examiné par le Sénat, la ratification totale du texte et son inscription dans le droit n’en reste pas moins une question de jours.

Une mesure discriminatoire et inégalitaire à l’efficacité plus politique que sanitaire

Comme nous l’écrivions dans nos colonnes au lendemain de sa validation par l’assemblée nationale, « dans la continuité du pass sanitaire, ce dispositif toujours plus autoritaire […] vise [d’abord] à interdire l’accès à un certain nombre de lieux (trains, bars, restaurants, cinémas, et désormais même les centres commerciaux) [aux] personnes non-vaccinées, ou [aux] personnes n’ayant pas réalisé leur dose de rappel dans les délais ». En réalité, toutes les activités de loisirs ou presque sont concernées mais aussi les foires, séminaires et salons professionnels et transports interrégionaux (avions, trains, cars), etc. et autres lieux dont l’article 1 fait l’énumération.

Dans la droite lignée du pass sanitaire, à nouveau, l’objectif est de rendre l’accès aux espaces essentiels – jusque aux centres commerciaux sur décision du préfet- discriminant selon que l’on soit vacciné ou non, moyennant la coercition et la répression. Une différenciation préparée de longue date avec le déremboursement des tests PCR et antigéniques pour les non-vaccinés mais désormais uniquement vaccinale, dès lors que la présentation d’un test négatif est définitivement évacuée de l’équation. Et qui se charge rapidement d’offensive anti-sociale, quand à l’échelle nationale on observe toujours une correspondance entre faible niveau de vie et faible taux de vaccination, en raison d’une combinaison de plusieurs facteurs et notamment la question structurelle de l’accès au soin et de l’information – et corrélativement de l’absence de moyens injectés par l’Etat pour convaincre de la vaccination.

De façon générale ce que permet le pass sanitaire c’est bien de contrôler pour exclure de certains emplois, transports ou lieux toutes les personnes ne correspondant pas aux critères établis par l’Etat. Par là le pass sanitaire finir par consolider la constitution de citoyens de seconde zone. Les récents propos d’Emmanuel Macron sur sa volonté « d’emmerder les non vaccinés » ne trompent pas : l’enjeu pour la macronie est avant tout de stigmatiser les populations non vaccinées et par là d’activer et intensifier les clivages et la frustration qui peuvent exister au sein de la population, pour mieux masquer sa responsabilité fondamentale dans la vague actuelle de prolifération épidémique comme dans le niveau de vaccination.

Une stratégie qui pourrait s’avérer d’un certain efficace politique comme le note le Monde : « Convaincu que la campagne se fera essentiellement sur le thème de la gestion de la crise liée au Covid-19, M. Macron cherche à se présenter comme le chef de file des provaccins pour faire apparaître ses opposants comme davantage ambigus sur le sujet. « A la différence de Pécresse, lui a une ligne claire », répètent ses fidèles, qui applaudissent la manœuvre présidentielle visant autant à « radicaliser » le débat qu’à le « clarifier ». Les macronistes font le pari que la plupart des Français partagent sa ligne provaccination. Et que capitaliser sur le ras-le-bol ambiant contre les antivax lui permettra de solidifier son socle électoral, tout en étant le seul à pouvoir revendiquer le totem de la « responsabilité » dans le domaine sanitaire. ».

Mais qui sur le plan sanitaire paraît face à l’épreuve du réel stérile. Dans la durée, la méthode autoritaire montre son manque d’efficacité. Comme l’annonce du pass sanitaire en juillet, celle du pass vaccinal en décembre a pu dynamiser pendant un certain temps les prises de rendez-vous, mais pas à long terme. A rebours cette stratégie de la division et du « choc » d’Emmanuel Macron s’avère contre-productive alors qu’il s’agit de contraindre les récalcitrants, jusqu’à faire accroître l’opposition d’une partie de la population vis-à-vis de la vaccination, et criminelle sur le terrain sanitaire. Inscrit dans le cadre de la gestion made in MEDEF du gouvernement, le dispositif vise à imposer par la force la vaccination, tout en construisant la « fraction » des non-vaccinés pour les pointer comme les boucs-émissaires de la crise. Devenus les premiers responsables de la persistance de l’épidémie, du manque de lit dans les hôpitaux publics, et du manque de stratégie sanitaire du gouvernement ; une réalité subsiste : jamais les indicateurs et chiffres de contamination n’ont été aussi hauts.

Un dispositif qui marque un saut autoritaire et sécuritaire

Non seulement ce dispositif n’offre aucune réponse sérieuse à la réalité épidémique mais constitue en outre sur le terrain de nos libertés une offensive d’ampleur. A propos du pass sanitaire déjà, le juriste Bastien le Querrec de l’association la Quadrature du Net notait des risques de « banalisation des contrôles d’identité » : « Le passe sanitaire va arriver dans tous les moments de la vie d’une société . On a tous les ingrédients pour une catastrophe en termes de vie privée ».

Le pass vaccinal constitue sur ce terrain un nouvel approfondissement. Un amendement du gouvernement pourrait en ce sens « favoriser les contrôles au faciès » comme s’en inquiète Marianne. Ainsi le texte laisse la possibilité aux restaurateurs de contrôler eux-mêmes l’identité de leurs clients, en plus de leur pass vaccinal, « lorsqu’il existe des raisons de penser qu’il n’est pas authentique ». Ceux-ci pourront désormais exiger un document d’identité avec photo. Selon l’avocat Alexandre Archambault cet amendement pourrait ouvrir la voie à de nouvelles pratiques discriminantes. « Le gouvernement refuse le terme de contrôle et lui préfère celui de « vérification de concordance documentaire ». Une nuance sémantique « très ténue », juge l’avocat Alexandre Archambault » explique-t-il chez Marianne. Même son de cloche chez Jean Terlon, vice-président de l’Union des métiers et des industries et de l’hôtellerie, « si on commence à le faire sur le rapport entre le prénom et l’origine du client, c’est de la discrimination. ».

Les inquiétudes concernent également le long terme. Jeudi 6 janvier, le premier ministre déclarait qu’il n’était pas prévu « à ce stade » que le pass vaccinal soit limité dans le temps contrairement à l’avis rendu par la Cnil le 21 juillet dernier, avant le vote et l’extension du pass sanitaire, qui soulignait que« l’impératif de nécessité implique que le dispositif soit limité dans le temps, ce qui est bien prévu dans le projet de loi ». Le risque étant que des mesures temporelles ou exceptionnelles puissent une nouvelle fois devenir banales. De là à faire du pass vaccinal une instauration du contrôle social pour l’avenir il y a un pas qu’il faudrait encore franchir, mais rappelons à cet égard que le « pass sanitaire » imposé l’été dernier devait être « temporel » et « provisoire », de même que l’état d’urgence.

Une chose est sûre, à nouveau c’est la police qui constitue le sujet central de la méthode macronienne. L’appareil policier comme depuis le début de la crise sanitaire sera la clef pour faire appliquer la concrétisation de l’autoritarisme sanitaire macronien. Parallèlement les sanctions pour les contrevenants sont renforcées. Une utilisation frauduleuse d’un pass sanitaire appartenant à autrui et le fait de transmettre son passe à autrui en vue de son utilisation frauduleuse seront punis dès le premier manquement d’une amende forfaitaire de 1000 euros, contre 135 euros précédemment. La détention d’un faux pass sanitaire est elle susceptible d’une peine allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Et Darmanin d’annoncer depuis deux semaines un « renforcement des contrôles » ainsi que des « ouvertures d’enquête ».

Pour cela le gouvernement pourra se targuer d’avoir réussi à multiplier ses capacités « policières » sans même avoir eu à injecter le moindre centime. Outre la police, les gérants des lieux et activités soumis au pass pourront donc également réaliser des contrôles d’identité et pourraient s’ils ne le faisaient pas risquer jusqu’à une amende de 1000 euros dès le premier manquement constaté. De quoi permettre un contrôle accru partout dans l’espace public.

L’urgence d’une autre stratégie sanitaire

La généralisation de la vaccination est assurément l’une des clefs de résolution de la situation épidémique et le fait qu’une partie de la population soit toujours récalcitrante à la vaccination constitue un élément légitime de préoccupation. On peut en ce sens déplorer que la confiance en la parole scientifique et la vaccination ait été altérée. Mais dans ces mesures, qui cherchent à diviser les travailleurs- quand il ne s’agit pas de les licencier jusque dans des secteurs essentiels comme la santé- en faisant porter la responsabilité des rebonds épidémiques sur les non-vaccinés et qui par là-même occultent la responsabilité gouvernementale dans l’échec de la stratégie sanitaire, il n’y a aucune porte de sortie.

A rebours, il nous faut exiger une campagne de vaccination par en bas entre les mains des soignants et du mouvement ouvrier pour aller convaincre ceux qui refusent toujours de se faire vacciner mais également pour exiger des moyens pour l’hôpital public et des protocoles sanitaires pour briser les chaines de contamination. Contre la gestion made in MEDEF et autoritaire de la crise sanitaire par le gouvernement qui entretient la défiance vis-à-vis de la vaccination, les organisations se revendiquant du mouvement ouvrier et de la jeunesse doivent à la fois refuser l’offensive discriminatoire contre les non-vaccinés ainsi que les discours confus anti-vaccination, et défendre une stratégie sanitaire par en bas, fondée sur la pédagogie plutôt que la contrainte.

Une stratégie qui porterait en son cœur la nécessité de la vaccination et de la troisième dose, outil essentiel à la sortie de la crise sanitaire. Mais au-delà de la vaccination, il s’agit également de revendiquer la gratuité et la distribution de masques FFP2, bien plus efficaces contre la contamination que les masques chirurgicaux ou en tissu, ainsi que la gratuité des tests pour toutes et tous. Mais une telle stratégie ne peut être imposée que par en bas et doit s’allier à la mise en place de protocoles sanitaires sur tous les lieux de travail qui soient réfléchis par les salariés à la base.


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