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Leurs profits, nos morts. Hommage à Édouard Postal

« On a des patrons formés à lutter contre les travailleurs et les syndicalistes » Retour sur le live de Révolution Permanente !

À l'occasion du triste anniversaire de la mort d'Edouard Postal, cheminot syndicaliste qui a mis fin à ses jours le 10 mars 2017 après l'acharnement de sa direction, Révolution Permanente proposait jeudi soir un live-débat animé par Eric Bezou, avec plusieurs invités, acteurs de luttes ou victimes de répression syndicale, mais aussi spécialistes des diverses questions comme la souffrance au travail. Retour sur cette émission.

Petra Lou

10 avril 2021

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« Leur objectif c’est d’être rentable » : c’est sur une chronique d’Audrey Vernon sur France Inter que commence le live de Révolution Permanente ce jeudi soir, animé par Eric Bezou, ex-cheminot licencié, et militant au NPA - RP, « Leurs profits, nos morts. Hommage à Edouard Postal », avec plusieurs invités pour discuter répression syndicale, souffrance au travail et réponse collective. Plusieurs invités ont pris la parole, d’abord Ahmed Berrahal, travailleur à la RATP, syndicaliste aujourd’hui victime d’un acharnement de la direction à son encontre, Françoise François, psychologue du travail, Vincent Fournier, postier militant CGT FATP qui sort de trois mois de mise à pied, ainsi qu’Elsa Marcel, élève-avocate, et deux raffineurs, Adrien Cornet et Benjamin Tange, respectivement militants CGT Total à la raffinerie de Grandpuits et de Flandres.

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Un hommage à Edouard Postal

Dans un premier temps, Eric Bezou a rendu hommage à Edouard Postal, cheminot syndicaliste qui a mis fin à ses jours le 10 mars 2017 à 23H30, après avoir été victime d’un acharnement de la part de la direction de la SNCF. Le cheminot, militant SUD Rail, est longuement revenu sur l’histoire d’Edouard qu’il a rencontré en 2010. Edouard était déjà attaqué par la Direction, alors qu’il travaillait au chantier de Gare Saint Lazare, où la situation était très difficile tous les jours, une situation de stress intense pour tous les salariés du chantier qu’il a dénoncé au CHSCT. Après une mesure conservatoire pendant deux mois, « parce que la direction estimait que ça devenait dangereux pour l’encadrement de garder quelqu’un qui dénonçait cette situation  », il subit en 2011 une agression et est sur-agressé par la direction qui cherche à le faire taire, son premier accident de travail.

Un conflit qui ne fait que s’amorcer, en 2013, en 2015, avec des techniques managériales et mécanismes systématiques et conscients pour rendre responsables des travailleurs syndicalistes, jusqu’en 2017, avec 4 accidents de travail déclarés contre Edouard Postal. Après plusieurs procès, qu’il gagne d’abord en 2014 puis de nouveau face à l’appel de la direction aux Prudhommes, où la Cour d’appel déclare qu’il s’agissait d’harcèlement moral, la direction continue ses attaques, avec la Médecine du travail, en disant à ses collègues de ne pas le fréquenter, et autres mécanismes pour continuer l’acharnement. Suite à une enquête d’éthique et déontologie de la part de la direction, à l’encontre d’Eric, comme il le raconte, et Edouard Postal, qu’il avait soutenu, un conseil de discipline est enclenché contre ce dernier pour le muter à la gare de Boutigny, le 13 mars 2017. Il se suicide le vendredi 10 mars 2017 à 23H30.

À l’origine, Edouard Postal n’était pas un militant syndical. « C’était juste un agent qui voulait des conditions de travail correctes et qui était travailleur handicapé. On voit là toute la pression que peut mettre une direction qui recherche la productivité à tout prix, sur les travailleurs handicapés, et sur tous ceux qui réclament justice, qui réclament de meilleures conditions de travail. Par la suite il s’était engagé dans le syndicat pour essayer de contre-attaquer sur ce qu’il subissait et de plus être victime de tout ça » raconte Eric Bezou.

« On veut me faire taire une fois pour toutes » Ahmed Berrahal, de nouveau dans le viseur de la RATP

En réaction à l’hommage à Edouard Postal, c’est Ahmed Berrahal, délégué CGT RATP et militant très engagé notamment pour la défense des femmes contre le harcèlement sexiste et sexuel dans l’entreprise, qui était reçu pour revenir sur la répression dont il fait l’objet. La direction de la RATP cherche à évincer ce travailleur et militant, en maintenant une pression à son encontre dans le cadre disciplinaire.

Il lui est notamment reproché d’avoir harcelé moralement un chef… sous prétexte d’avoir transféré à la direction des mails pointant le fait que celui-ci avait commis une agression sexuelle. Déjà dans le viseur de la RATP suite à la grève contre la réforme des retraites, où il a essuyé plusieurs conseils de discipline menaçant de le licencier pour des faits de grève, cette nouvelle menace qui pèse sur lui représente la continuité d’un acharnement de la part de la direction : « Je suis élu pour dénoncer à la direction ces harcèlements. […] La direction a décidé de me faire taire une fois pour toutes »

Face à la répression syndicale, Ahmed et Eric ont rappelé la nécessité d’une réponse d’ensemble, des syndicats, agents, pour refuser ce type de mascarades qui mettent la pression sur les syndicalistes combatifs : «  Le travail de terrain que je fais, ils sont dépassés. Ils veulent me faire taire à tout prix ». Ce mercredi, une vidéo de 31 femmes de la RATP a été publiée pour soutenir Ahmed, belle incarnation de la solidarité ouvrière. Après ce témoignage, la première table ronde a porté sur la souffrance au travail.

Souffrance au travail : « les patrons sont formés à lutter contre les syndicalistes et contre les collègues »

Lors de la première table-ronde, c’est Françoise François, psychologue du travail, et fondatrice de la Maison de Souffrance et Travail à Poissy depuis 2013, qui prend d’abord la travail. « La première année, on a eu 800 passages, aujourd’hui on gravite autour de 7000 passages annuels, ce qui en dit long sur la souffrance au travail, nous rencontrons des gens qui vivent le harcèlement au travail, ou qui souffrent des organisations délétères dans le cadre du travail, mais dans les deux cas, on est face à un syndrome anxio-dépressif professionnel plus ou moins sévère, avec passage à l’acte, hospitalisation en psychiatrie, soins spécifiques, mise sous traitements, et arrêts longs, de plus en plus longs d’ailleurs ».

Comme le souligne Eric, beaucoup d’agents SNCF y sont allés en consultation, mais comme le précise la psychologue invitée, ce sont tous les métiers qui viennent consulter. Pour l’invitée, les réorganisations de travail, comme c’est le cas à la SNCF, causent beaucoup de souffrance au travail, comme on a pu le voir avec le suicide d’Edouard Postal. « Il y avait ce déni face à la souffrance des salariés » dit-elle, en racontant que le collectif a réussi à chercher à faire reconnaître les maladies professionnelles : « Pour moi l’enjeu était de montrer les liens de causalité entre la santé dégradée des agents, et les conditions de travail délétères ».

Si tous les métiers sont touchés, elle explique qu’aujourd’hui on voit une hausse de consultations dans les métiers du soin, les métiers hospitaliers, en souffrance face à une situation de souffrance dans le contexte de la gestion catastrophique de la crise sanitaire. « Des situations de souffrance au travail qui se sont majorées, plus complexes, avec des gens qui sont mis à pieds conservatoire  » explique-t-elle.

Comme le rappelle Eric Bezou, en dépit du drame France Télécom la souffrance au travail continue selon les mêmes mécanismes. « Avec le procès France Telecom, qui était une entreprise publique, on a eu le constat par la justice qu’il y avait des comportements fautifs et criminels de la part des employeurs [...] en poussant les salariés à démissionner, etc. C’est ce qu’il se passe aujourd’hui dans les entreprises publiques, à la SNCF avec la réforme ferroviaire de 2018, il y a une culpabilisation des salariés de la SNCF par tout un tas de mécanismes, dans la presse, ensuite la Cours des Comptes qui explique que les cheminots coûtent trop cher […] La même dynamique est en train d’être lancée à la RATP. Ce sont des techniques qui sont prouvées et connues pour dénigrer les salariés de l’entreprise, et dans l’entreprise avoir des méthodes coercitives ».

Dans la même logique, c’est au tour de Vincent Fournier, postier et militant CGT FATP d’intervenir pour raconter son expérience, alors qu’il sort à peine de trois mois de mise à pieds. « La Poste c’est une entreprise de combat. On a vraiment des patrons qui sont formés à lutter contre les syndicalistes sous toutes les formes qu’ils peuvent et contre les collègues » Du harcèlement de la part des chefs, par exemple récemment sur les questions de chômage partiel. Il revient sur plusieurs cas de répression, dont celui emblématique de Gaël Quirante, postier syndicaliste dans le 92 et militant au NPA, qui a été licencié après de multiples attaques de la part de la direction, même s’il a réussi à continuer ses activités syndicales. La campagne pour sa réintégration continue. De son côté Vincent Fournier raconte : « ils veulent se débarrasser de moi par tous les moyens », après 5 conseils de discipline, dont 3 mois de mise à pieds cette fin d’année pour des faits de grève contre la réforme des retraites. Une répression féroce, dont les mécanismes patronaux, encore une fois, sont très impressionnants à La Poste. Il donne rendez-vous le 10 avril à la gare des Yvelines, pour le soutenir face à la menace de licenciement.

« Les crises économiques, les suppressions de postes, PSE et APC sont source de souffrance au travail, mais aussi de souffrance au chômage »

La deuxième table-ronde porte sur la situation dans le privé. Elsa Marcel, élève-avocate, revient d’abord sur les « techniques très conscientes » du patronat « pour pourrir la vie des gens », pour écarter des salariés. Les techniques managériales et patronales sont des mécanismes conscients, qu’on apprend dans les écoles de commerce, qui sont pro-patronales, mais aussi au travers d’outils politiques : « Les politiques gouvernementales et patronales, qui ont des implications directes dans la souffrance au travail ».
Évoquant la période récente, elle décrit les nouveaux outils dont le patronat s’est doté pour faciliter ses attaques après les contestations radicales survenues suite à la crise de 2008. « Les APC, les PSE, sont des outils parmi d’autres que le patronat a fabriqué peu à peu car il a appris à anticiper les phénomènes de confrontation radicale, c’est ce qu’ils craignent le plus. Aujourd’hui ils sont en train de tester les outils qu’ils ont élaboré depuis 2008 : comment licencier sans jamais être confronté à de la révolte et de la colère ». Elle conclue sur le rôle des avocats, des juristes, qui pour elle doivent, de la même manière que le patronat le fait pour lui, s’organiser et mettre ses compétences au service des salariés, et des phénomènes de contestation, car le rapport de forces reste le terrain privilégié de la réponse aux attaques patronales. « Les travailleurs aussi ont appris depuis 2008 » conclue-t-elle.

Benjamin Tange, délégué CGT Total du site de Flandres, revient pour sa part sur la fermeture du site de Total à Flandres, où les patrons « nous ont juré la main sur le cœur, qu’on arrêtait conjoncturellement les activités  ». Ce fut finalement un arrêt définitif. Il raconte les conséquences graves que celui-ci a eu pour l’ensemble des salariés : « beaucoup de souffrances, avec parfois des drames, des suicides, des familles détruites  ». Il raconte que cette fermeture n’avait pas de justification, ni sur le plan économique, ni sur le plan énergétique, puisque selon la consommation énergétique et l’importation, la production de Flandres était nécessaire. Pour lui, c’est surtout l’objectif de « délocaliser les normes de pollution ».

Une situation qui rappelle évidemment celle de Grandpuits, qui a été le théâtre d’une grève des raffineurs pour l’emploi face aux attaques de Total. Celle-ci a fait le lien avec des associations écolos pour lutter contre la délocalisation et le greenwashing du géant pétrolier français. C’est sur quoi revient en profondeur Adrien Cornet, qui a été l’un des principaux acteurs de cette grève, avec des revendications offensives sur l’emploi face aux attaques patronales, mais aussi sur la question de l’écologie : « La volonté derrière le greenwahing c’était juste de casser de l’emploi ». Pour lui, « Finalement quand on délocalise la production, la direction s’affranchit des risques de pollution ». Un constat dont il tire une conclusion nette : « La transition énergétique n’est possible qu’entre les mains des travailleurs qui ne se soucient pas que du profit. Il faut leur reprendre les moyens de production ! »

En dernière instance, ce live était l’occasion non seulement de revenir sur la mémoire d’Edouard Postal, comme exemple tragique de l’acharnement patronal envers les syndicalistes et en général les salariés dans des entreprises publiques, mais aussi, plus en général, sur la souffrance au travail et ses multiples causes, telles que les attaques patronales pour toujours plus de profits, dont la fermeture du site de Total à Flandres en est un tragique exemple, condamnant des centaines de familles à la perte de l’emploi et parfois à des drames comme les suicides. Face à ces attaques, la répression syndicale est un élément fondamental pour le patronat, afin d’écarter et museler les voix qui s’élèveraient un peu trop.

Pour toutes ces raisons, alors que ces mécanismes sont de plus en plus systématisés et utilisés à l’heure de crises économiques pour faire payer les pots cassés au monde du travail, et contre toute individualisation de ces problématiques qui sont généralisées, c’est par la riposte collective qu’il faudra faire face. Faire changer la peur de camp, en luttant contre la répression syndicale, et contre la souffrance au travail, phénomène largement répandu et banalisé dans le système capitaliste, par un combat d’ensemble.


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