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TOURNANT AUTORITAIRE

Offensive sécuritaire contre la drogue. Contre la répression, légalisons le cannabis !

Pour justifier son offensive répressive et policière, Macron exploite le filon de la lutte contre la drogue. Le tout-répressif de l’Etat cache mal la volonté de contrôle social et policier dans les quartiers populaires, bien loin de toute considération sanitaire.

Joël Malo

22 avril 2021

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Interview sécuritaire dans le Figaro, déplacement sur le même thème à Montpellier, le message est passé. Le Président des riches tient à rappeler qu’il est aussi le président des flics qui les protègent. Boosté par la vague raciste et islamophobe issue du jeu de ping-pong entre l’extrême-droite médiatique et les prises de position de ses ministres, Macron se pose en sauveur de la « vie paisible » : il nous faut plus de flics, plus de cellules de prison, et par milliers s’il-vous-plaît !

Triste parallèle avec les manques criants dans les hôpitaux, dans les écoles et dans les facs. Alors qu’à la Pitié-Salpétrière, on change le self en salle de réanimation pour faire face à l’afflux de malades chroniques, qu’il n’a pas été possible faute de moyens de réaliser une chose aussi élémentaire que le dédoublement des salles dans les établissements scolaires, Macron promet 8000 places en prison d’ici la fin de son quinquennat, et 4000 emplois pour les forces de répression (police et gendarmerie confondues). Dans le même temps, il annonce « la création d’une réserve de 30.000 hommes dans la police, tandis que celle de la gendarmerie passera de 30.000 à 50.000 hommes.  »

Il est vrai que les classes dominantes ont pris conscience de leur retard sur la situation, quand un demi-million de Gilets jaunes sur l’ensemble du territoire ont suffi pour occuper dans les premières journées de décembre, la quasi-totalité des effectifs de police et de gendarmerie, au point que les politiciens affolés commençaient à songer à l’armée... Les mobilisations massives à travers le monde, et tout particulièrement en France, contre le racisme et les violences policières, témoins de la vaste défiance contre l’Etat et ses forces de répression notamment dans la jeunesse ont fini par sonner l’alarme. Dès lors une grande campagne a été entamée, instrumentalisant et stigmatisant à tour de bras, tant que cela permet de rentrer dans la tête de l’opinion que le problème a un visage, celui des musulmans, et que la solution ressemble à un brassard de la BAC.

Car il faut bien justifier les centaines de millions offerts aux corps de répression, à l’heure où les suppressions d’emploi se comptent par milliers, que le gouvernement finance des pubs sur les réseaux sociaux pour inciter les jeunes à faire du « volontariat » (le travail gratuit remède au chômage) et que les seules embauches dont on entend parler sont pour la police ou l’armée. Mais depuis la rentrée, Darmanin et Macron mènent également l’offensive sur le terrain de la drogue : des tweets quotidiens du ministre pour féliciter de courageux policiers luttant contre le narco-trafic international en saisissant quelques pauvres têtes de cannabis à un consommateur dans un train régional, aux appels à la délation en ligne depuis un site dédié, en passant par les amendes forfaitaires de 200 euros, qui visent à désengorger les tribunaux en laissant le soin aux policiers de rendre la sanction, Macron qui se rêve en chef de file des réactionnaires déclare la guerre à la drogue. En réalité, celle-ci lui sert surtout de couverture pour augmenter la présence policière dans les quartiers populaires et renforcer le contrôle social sur les jeunes.

C’est l’interdiction et l’ordre social de Macron qui sont la source des violences

L’interdiction ne profite qu’aux trafiquants, en même temps qu’elle permet de justifier davantage de répression et de présence policières dans les quartiers. La France étant le premier pays consommateur de cannabis en Europe (pour une des législations les plus répressives), son efficacité est évidemment nulle. Mais il est important de revenir sur l’histoire de l’interdiction du cannabis, car celle-ci se confond avec l’histoire coloniale. D’abord interdit au cours des 19ème et 20ème siècles dans les colonies, où les autorités le présentent comme la source de risques séditieux des colonisés, ses consommateurs étant accusés de s’adonner à la violence (et ainsi de défaire les efforts de « civilisation » des colonisateurs), menant à l’interdiction graduelle de la consommation de cannabis de 1953 à 1970. C’est exactement la même logique qui a prévalu lors de l’instauration de la politique de « war on drugs » sous Nixon aux États-Unis, justifiant l’incarcération de masse de Noirs et de Latinos, que la presse bourgeoise décrivait comme rendus fous par la drogue.

En 1994, l’ancien conseiller de Nixon, John Ehrlichman, déclarait à un journaliste : « La campagne de Nixon de 1968 et l’administration Nixon qui a suivi avaient deux ennemis : la gauche anti-guerre et les Noirs. Vous comprenez ce que je dis ? Nous savions que nous ne pouvions pas rendre illégal d’être contre la guerre ou noir, mais en faisant associer au public les hippies avec la marijuana et les Noirs avec l’héroïne, en les criminalisant et en les diabolisant, nous pouvions compromettre ces communautés. Nous pouvions arrêter leurs leaders, perquisitionner leurs domiciles, interrompre leurs meetings et les attaquer soir après soir aux informations. Est-ce que nous savions que nous mentions sur les drogues ? Bien sûr qu’on le savait.  »

De plus, l’interdiction et la répression liée à la consommation de cannabis ont conduit à la formation d’une branche de commerce avec des traits mafieux tout à fait fonctionnelle au capitalisme. Le trafic représente une manne économique importante, dans laquelle de nombreuses personnes qui souffrent du chômage s’engouffrent, et ce dans des quartiers où les taux de chômage explosent où il joue en dernière instance un rôle de canalisation de la colère, au même titre que le commerce, armé, qui finit par dicter ses volontés aux populations.

Contrairement aux déclarations d’Emmanuel Macron, qui affirmait que « on se roule un joint dans son salon et à la fin on alimente la plus importante des sources d’insécurité », ce n’est pas le cannabis qui crée la violence, mais la prohibition. Est-ce l’alcool ou la prohibition de l’alcool qui a fait Al Capone ? Le combat sécuritaire et autoritaire contre les stupéfiants n’a ni la prétention ni la possibilité de stopper totalement le trafic. Ses conséquences visent très majoritairement petites mains de ce commerce. Les affaires récurrentes de corruption, rackets et trafics au sein de la police et de l’Etat montrent également une certaine propension des institutions à en profiter voire à l’entretenir. Seule la légalisation peut venir à bout du trafic et de la législation rétrograde et répressive de l’État français, et seule une politique contre le chômage, de baisse massive du temps de travail, peut venir à bout de la misère économique et sociale qui crée les bases matérielles à la recherche de solutions de débrouille dans les quartiers populaires.

Et pour battre en brèche, toute idée de dépénalisation ou de légalisation, Macron n’hésite pas à mentir ouvertement, joue à l’épidémiologiste et écarte quarante ans de recherche scientifique, en évoquant un effet de glissement vers les drogues dures initiée par la consommation de cannabis. Plusieurs scientifiques, contactés par France Info, ont dénoncé le caractère scientifiquement rétrograde des déclarations de Macron, digne des années 1970. Alain Morel, psychiatre, spécialisé dans le domaine des addictions, déclare ainsi : « Cela fait fort longtemps qu’il a été démontré que le cannabis n’est pas une marche qui amènerait obligatoirement ou de manière très puissante vers d’autres drogues comme l’héroïne. […] Le problème le plus important, c’est le tabac et l’alcool  ». Si le cannabis comporte des risques importants pour la santé, notamment neurologiques, ils sont d’être la préoccupation de la politique répressive de l’État français. C’est ce qui transparaît notamment dans une tribune au Monde, dans laquelle le sociologue Alain Ehrenberg expose en miroir la réalité des moyens accordés à la santé, pourtant argument premier des opposants à la légalisation : « la part consacrée à la santé s’élève à 10 %, alors qu’elle est de 20 % pour l’action judiciaire et de 70 % pour celle de la police. » Encore et toujours c’est le policier qui prime.

A ce titre, la campagne anti-drogue actuelle de Macron ne compte pas déroger d’un iota à la ligne. La « vie paisible » dont Macron veut se faire le défenseur n’est rien d’autre que le nouveau slogan de campagne que lui ont trouvé ses communicants et pour lequel il fait sienne les vieilles diatribes de Jean-Marie Le Pen : « la sécurité première des libertés ». Au contraire, le renforcement policier des quartiers, la reconquête républicaine aux accents coloniaux justifiée par la lutte contre le trafic ne va induire que plus de violences, plus de concurrence entre les trafiquants dont le marché va se réduire. La légalisation permettrait d’instaurer un monopole public sur le cannabis, de la production à la vente, qui prendrait en charge les aspects sanitaires tant de prévention que d’addictologie et de réduction des risques en lien avec sa consommation. Mais cette légalisation devrait nécessairement se faire sur le terrain public, car l’exemple des États-Unis, où neuf États ont légalisé le cannabis à usage récréatif, montre que le privé, qui a vu un énorme pot de miel s’ouvrir à lui, s’est lancé sur le marché et ce au détriment évidemment de la santé des consommateurs et de la qualité des produits. Une dynamique semblable à la production de tabac, où la production laissée au privé renforce la nocivité de sa consommation et crée de gigantesques problèmes de santé publique. Une légalisation devra également prendre en compte et remédier à une disparition de ressources économiques importantes pour les petits vendeurs, en bas de l’échelle capitaliste du commerce de cannabis. Ce commerce génèrerait en effet un chiffre d’affaires annuel d’environ 1 milliard d’euros et ferait vivre dans les 230 000 personnes en France], dont une écrasant majorité à des postes de terrain, exposés et précaires.

Les traces d’utilisation de substances altérant la conscience ou procurant une sensation de bien-être existent dans de nombreuses sociétés humaines depuis l’Antiquité. Ces consommations se déclinent sur des larges spectres, avec les conséquences qui y sont liées : de la pratique récréative occasionnelle ou habituelle à des états forts d’addiction en passant par les traitements thérapeutiques. Les mécanismes sociaux, psychologiques et physiologiques et les choix derrière ces consommations sont complexes. L’État moderne en a fait un motif de contrôle, de surveillance et de punition des classes populaires. La vie paisible de Macron n’est rien de plus qu’une illusion électorale qui spécule sur la psychose que cherchent à créer au quotidien les Cnews, Figaro et autres Valeurs actuelles. Comment faire confiance à un président qui a passé le plus clair de la pandémie à mépriser les soignants, les enseignants (« Vous récoltez les drames de la société. C’est pour ça qu’on investit dans l’éducation » a-t-il osé dire à une BACeuse lors de son déplacement à Montpellier) pour qu’il prenne en charge la question de prévention des risques liés à la consommation de drogues, là où lui ne voit qu’un nouveau moyen d’utiliser l’argent public pour nous réprimer ?


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