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Transports

Nouveau « plan de prévisibilité » à la RATP : tout comprendre à cette attaque contre le droit de grève

En pleine bataille des retraites, la RATP vient d'adopter un nouveau plan de prévisibilité qui porte encore un coup au droit de grève. L'obligation de déclaration individuelle, qui impose de se déclarer gréviste 48h avant le début d'une grève et qui s'appliquait déjà par exemple aux conducteurs, sera dorénavant étendue à la quasi-totalité des salariés.

Louisa Eshgham


et Andrea Prill

1er mars 2023

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Alors qu’une mobilisation historique contre la réforme des retraites est en cours, le gouvernement intensifie son matraquage anti-grévistes et menace depuis plusieurs semaines de « faire évoluer la loi » en cas de blocages trop importants. Clément Beaune, ministre des transports, annonçait par exemple il y a quelques semaines qu’il envisageait d’allonger le délai dans lequel les travailleu·ses·rs des transports doivent se déclarer grévistes. C’est une attaque de cet ordre qui vient d’être décidée par la direction de la RATP par décision unilatérale, sans même la consultation des organisations syndicales : un nouveau plan de prévisibilité, qui s’appliquera à compter du 1er mars, élargit à un nombre considérable d’agent·es le préavis de grève individuel. 

Encadrer le droit de grève : une mesure autoritaire pour minimiser la force des travailleurs

Pour comprendre le fonctionnement de cet outil, il faut rappeler qu’en 2007, le gouvernement Sarkozy-Fillon – qui préparait alors sa propre réforme des retraites – a fait voter une loi « sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs ». Cette loi a instauré, entre autres, deux mesures centrales.

D’abord, une négociation obligatoire avant le déclenchement de la grève qui, concrètement, allonge considérablement le préavis de grève syndical. Ensuite, une obligation d’une déclaration préalable de participation à la grève, déposée 48 heures à l’avance, pour les salarié·es dont la présence est essentielle pour construire l’offre de service.

Les objectifs visés étant d’anticiper les conséquences des mouvements de grève pour en minimiser les effets, et de permettre la répression de grèves spontanées qui ne respecteraient pas ces obligations. En 2008, Sarkozy s’enorgueillissait de ces atteintes au droit de grève et affirmait : « désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit. » Une déclaration qui démontre la volonté patronale de vider le droit de grève de toute sa substance et de son efficacité.

La même année, la RATP établissait son plan de prévisibilité et imposait la déclaration préalable 48 heures avant la grève à 25 métiers. Dans l’hypothèse de grèves de plusieurs jours, le nombre de métiers concernés par la déclaration préalable était porté à 40. Concrètement, 4 catégories de métiers subissaient jusqu’à présent le préavis individuel en toutes circonstances :

  •  les métiers de conduite ;
  •  les métiers d’aide à la régulation du trafic ;
  •  certains métiers de maintenance (certains agent·es de maintenance des bus, de la ligne 14 du métro et la plupart des agent·es affectés à la maintenance des équipements électriques et électromécaniques) ;
  •  certains métiers affectés à la sécurité et à l’information des voyageurs.

    D’autres métiers étaient également concernés mais uniquement lorsque le préavis de grève syndical durait plus de 36 heures. C’est le cas par exemple de la grande majorité des agent·es de la maintenance du réseau ferré (l’ensemble des mainteneur·ses matériel roulant, des technicien·nes de dépannage ou encore des chargé·es de maintenance animateur d’équipe), ainsi que la plupart des agent·es de station et de gare. Concrètement ces agent·es échappaient à la déclaration obligatoire, puisque les syndicats ne déposaient que des préavis de grève de moins de 36 heures, même en cas de grève longue.

    Nouveau plan de prévisibilité à la RATP : une réaction aux grèves récentes des salariés de la maintenance

    Au premier trimestre 2023, la direction de la RATP franchit une nouvelle étape en généralisant ce préavis de grève individuel : c’est dorénavant 84 catégories de métiers, soit 34 389 salariés (plus de 80% des agents) dès le 1er mars 2023 qui seront soumis·es à cette obligation ! Concrètement, la distinction entre les préavis de plus ou moins 36 heures est supprimée et le préavis individuel est appliqué pour tout type de grève.

    Du côté de la maintenance du réseau ferré ou encore pour les agent·es de gare et de station, l’offensive est très importante puisque la grande majorité d’entre eux devront maintenant se déclarer. Les mainteneur·ses du réseau ferré, très mobilisé·es à l’automne dernier dans une longue grève pour les salaires, sont évidemment dans la ligne de mire de la direction. C’est ce qui ressort du nouveau plan de prévisibilité, dans lequel il est indiqué s’agissant des agent·es MRF : « Lors des préavis inférieurs à 36 heures, les unités n’ont pas de visibilité sur le personnel présent. Si la maintenance du matériel n’est pas effectuée, les RER, métro et tram ne peuvent pas circuler dans le respect des règles de sécurité. Il est nécessaire que l’ensemble de ces salariés soient soumis à une obligation de déclaration préalable pour l’ensemble des préavis de grève ».

    Interrogé par Révolution Permanente, Gabriel, représentant de la section syndicale CGT MRF (Maintenance Réseau Ferré) : « c’est évidemment une réponse à notre mouvement de grève à l’automne dernier, on ne devait pas se déclarer donc la direction ne pouvait rien prévoir, elle ne savait pas quelle équipe serait en grève ou pas. Elle veut remédier à ça ».

    Autre aspect inédit du plan de prévisibilité 2023 : face à la massification de la contestation sociale et à la participation inédite des cadres aux grèves et aux manifestations, la direction de la RATP restreint également le droit de grève de ces secteurs.

    Tous les départements de la RATP, au métro comme au bus ou à la maintenance, sont donc concernés par cette extension à des catégories de cadres ou d’agents de maîtrise. Par exemple, les métiers de formateur·ices, de chargé·es de communication sur les réseaux sociaux ou de responsables conduite et chef·fes de gare verront dorénavant leur droit de grève entravé.

    Faouzi, mainteneur bus et militant syndical à la CGT RATP au dépôt de Belliard explique : « il y a de plus en plus de cadres qui se mettent en grève, par exemple des régulateurs. Dans la mobilisation actuelle c’est inédit, de voir autant de cadres en manifestation. En réponse à ça, comme ils veulent prévoir au mieux les journées de grève pour minimiser le désordre, ils les soumettent eux aussi à la déclaration préalable. C’est tout simplement une atteinte à notre droit de grève ».

    Casse des conditions de travail, des retraites, et maintenant du droit de grève : c’est par la grève reconductible qu’il faut faire reculer Macron et les patrons !

    Cette nouvelle attaque intervient dans un contexte de crise importante à la RATP : casse du service des transports publics, dégradation des conditions de travail, augmentation du temps de travail, suppression de jours de repos... Il ne faut d’ailleurs pas s’y tromper, si ces mesures touchent aujourd’hui principalement les secteurs du Bus et de la maintenance à la RATP, nul doute que la direction tentera de les étendre au métro et au RER dès qu’elle en aura la possibilité. Tandis que dans le même temps, la direction du groupe achève son opération de privatisation de la RATP en supprimant le régime spécial des retraites de ces travailleur·euses pour mieux préparer l’ouverture à la concurrence.

    Par ailleurs, en plus de ces nouvelles restrictions au droit de grève, la direction a mis en place une « Prime de présence » pour rajouter un frein supplémentaire à la grève. Or, plutôt que de dénoncer l’attaque contre les conditions de travail, les syndicats majoritaires dans l’entreprise – FO et l’UNSA – ont récemment signé un accord avec le nouveau PDG de la RATP, Jean Castex, qui entérine la casse des conditions de travail des conducteurs de bus et valide la régression sociale.

    Dans le même sens, cette attaque d’ampleur au droit de grève a pour l’instant été très peu dénoncée par les organisations syndicales. La CGT a déposé un préavis de grève illimitée à partir du 7 mars pour dénoncer « l’entrave à l’exercice du droit de grève » en plus du préavis de grève contre la réforme des retraites qui couvre la même période. Cependant cette réponse reste relativement confidentielle au regard de l’ampleur de l’attaque, et par ailleurs l’ensemble des organisations syndicales qui devraient prendre position pour la dénoncer.

    Face à toutes ces attaques, les travailleur·euses de la RATP ont de nombreuses raisons d’être en colère, et l’ensemble des organisations syndicales devraient arrêter de jouer le jeu du « dialogue social » avec Jean Castex et mettre sur pied un plan afin de durcir le rapport de force. En effet, plutôt que négocier des miettes, une victoire contre la réforme des retraites ouvrirait la brèche pour faire reculer le gouvernement et le patronat sur l’ensemble des attaques que subissent les travailleurs : salaires, conditions de travail, ouverture à la concurrence...

    Pour cela, la perspective de la reconductible à partir du 7 mars, à l’appel de l’intersyndicale RATP aux côtés des cheminots, des raffineurs ou encore des énergéticiens et des enseignants est un point d’appui important à condition qu’elle soit construite à la base dans les Assemblées Générales. C’est avec cet objectif que Révolution Permanente a été à l’initiative d’une tribune parue dans le JDD pour appeler à « généraliser la grève », et qu’une réunion pour construire un Réseau interprofessionnel pour la grève reconductible est organisé ce jeudi 2 mars en présentiel à Paris et en distanciel partout en France.

    Contact : reseau.greve.generale[a]gmail.com


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