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Nouvelle mobilisation massive

Myanmar. Non, les Etats-Unis, l’UE et l’ONU ne sont pas des alliés de la lutte contre le coup d’Etat

Le mouvement de désobéissance civile contre les militaires semble se renforcer mais l'appel à l’aide des puissances impérialistes et des institutions internationales pourrait être fatal aux aspirations populaires.

Philippe Alcoy

17 février 2021

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Ce mercredi le Myanmar a connu une nouvelle journée de mobilisation populaire massive contre le coup d’Etat militaire du 1er février. Les images qui nous parviennent sont impressionnantes. Des centaines de milliers, voire des millions de personnes, envahissent les rues de Rangoun, l’ancienne capitale du pays. Ces images montrent que la mobilisation ne faiblit pas malgré la répression et qu’elle semble même gagner d’autres secteurs de la société en général et de couches de travailleurs et de travailleuses en particulier.

Non seulement les rues de Rangoun ont été prises d’assaut par les manifestants, mais aussi d’autres villes, grandes et petites, à travers le pays. Ainsi, dans les zones rurales les agriculteurs se sont joints aux manifestants avec leurs tracteurs, rappelant des images que l’on a pu voir en Inde, qui est traversée par une profonde mobilisation paysanne.

En outre, à Rangoun l’autre image qui a attiré l’attention, ce sont les milliers d’automobilistes qui ont bloqué les rues, avenues, ponts et principales entrées de la ville avec leurs voitures. Une « panne collective » et soudaine a arrêté les voitures créant non seulement des embouteillages géants mais aussi en empêchant des milliers de travailleurs, qui n’ont pas encore rejoint le mouvement, d’aller travailler. Cette action a également eu comme conséquence de bloquer l’entrée des camions de l’armée dans la ville.

En effet, ce que les manifestants appellent le mouvement de désobéissance civile (MDC) a pris la forme d’une sorte de grève générale dans les faits. Nous avons déjà évoqué l’importante participation des travailleurs et des travailleuses des entreprises privées de l’industrie textile, de l’habillement et de la chaussure dans la résistance contre le coup d’Etat. La classe ouvrière déjà dans une situation très précaire se rend compte que le régime militaire ne fera que renforcer le pouvoir des patrons.

Mais cette mobilisation gagne de plus en plus de secteurs : des hospitaliers, des employés de différents ministères et des administrations publiques ; selon la compagnie de transports Myanmar Railways, 99% des cheminots des régions de Rangoun et de Mandalay sont en grève ; plusieurs banques privées ont également annoncé avoir fermé leurs agences par manque de personnel, leurs employés ayant rejoint le mouvement de désobéissance civile.

Cependant, ce mouvement qui prend objectivement des aspects d’une grève générale et voit une participation prolétarienne conséquente, continue d’être dirigé et influencé par des forces politiques bourgeoises, comme la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi. Il ne faudrait pas croire non plus que seuls les travailleurs participent à cette mobilisation : on y trouve d’autres secteurs des classes populaires comme des paysans pauvres et la jeunesse étudiante ; mais aussi des secteurs des classes moyennes, des commerçants, des cadres de la fonction publique proches de la LND.

Evidemment, rien ne garantit que la LND et Suu Kyi seront capables de diriger et de canaliser cette énorme force sociale, qui pourrait effectivement lui échapper des mains. Cependant, pour le moment ils arrivent largement à imposer certains mots d’ordre. C’est en ce sens, que l’on peut observer des pancartes exigeant aux Etats-Unis, à l’UE et à l’ONU « d’agir », d’intervenir plus fermement.

Cependant, les puissances impérialistes occidentales et leurs institutions comme l’ONU ne sont nullement des garants des droits démocratiques des peuples. Bien au contraire. Rien que dans la région du Sud-est asiatique les Etats-Unis sont parmi les principaux alliés internationaux du régime dictatorial thaïlandais, ils sont aussi des partenaires importants des militaires vietnamiens et, malgré quelques frictions avec Washington, le gouvernement ultraréactionnaire de Rodrigo Duterte aux Philippines reste un élément clé de la politique d’encerclement de la Chine.

En outre, les travailleurs et les classes populaires ne sont pas mobilisés simplement pour Suu Kyi mais aussi, et sans doute principalement, pour leurs conditions matérielles de vie. Et ce qu’il faut dire aussi c’est que le gouvernement de la LND a permis pendant ces dernières années que les employeurs locaux et les multinationales occidentales, japonaises, chinoises, sud-coréennes, entre autres, exploitent à outrance la classe ouvrière myanmaraise. Ces courants bourgeois pro-impérialistes sont en ce sens incapables de mettre fin à cette exploitation, aux abus, humiliations et répressions patronales contre les travailleurs et les classes populaires. Loin de ça, ils en sont même complices.

Les occidentaux et l’ONU ont condamné dans les paroles le coup d’Etat ; les Etats-Unis ont même imposé quelques sanctions ciblées sur des responsables militaires myanmarais. Cependant, ils jouent un jeu d’équilibriste où ils tentent de faire en sorte que leurs pressions ne finissent par par pousser les militaires dans les bras de la Chine, tout en continuant à apparaître comme des « défenseurs de la démocratie ».

Justement la Chine a été accusée par beaucoup de manifestants d’aider les militaires. Même si cette hypothèse ne peut pas être écartée, il est vrai aussi que la Chine n’a pas intérêt à déstabiliser la situation au Myanmar, un pays fondamental pour sa stratégie globale : le corridor commercial qu’elle est en train de construire à travers le Myanmar lui permettra d’accéder directement à l’Océan Indien en contournant les pays hostiles sur sa côte est. En outre, la Chine n’entretient pas seulement de bonnes relations avec les militaires mais avec Suu Kyi elle-même. Comme l’a déclaré son ambassadeur au Myanmar tentant de préserver l’image de la Chine auprès des manifestants : « Pékin veut que les choses se passent bien chez son voisin du sud, plutôt que de le voir devenir instable ou même tomber dans le chaos (...) Aung San Suu Kyi entretient de bonnes relations avec la Chine, et s’est engagée à construire le Corridor économique Chine-Myanmar (CMEC) - qui fait partie du vaste programme international de développement des infrastructures de Pékin (…) - et à mettre en œuvre une coopération pratique dans d’autres domaines ».

C’est pour préserver ses intérêts que la Chine ne voudrait pas que son image se détériore trop parmi la population myanmaraise. Même en cas de soutien des militaires, elle n’a pas non plus intérêt à un écrasement, d’une façon ou d’une autre, de la contestation et que cela génère une grande animosité populaire envers la Chine qui apparaîtrait trop collée aux putschistes.

Mais toutes ces considérations aussi bien de la part de la Chine que des puissances impérialistes occidentales, du Japon, d’autres puissances régionales ou encore des militaires ou de Suu Kyi et son courant politique sont complètement éloignées des intérêts de la classe ouvrière et des classes populaires du pays. Cependant, si la classe ouvrière n’est pas capable de développer ses propres organisations politiques de classe et de lutte, afin de défendre ses propres intérêts contre les patrons locaux, les militaires et les capitalistes internationaux, elle se trouvera très rapidement dans une impasse et toute sa puissance sociale sera déviée, voire retournée contre elle.


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