Quelques traditions revisitées

Métro, interpro, coordo. Grève et auto-organisation

Corinne Rozenn

Métro, interpro, coordo. Grève et auto-organisation

Corinne Rozenn

Ce qui ressort du mouvement actuel, après plus d’une semaine de grève et de mobilisation massive, alors que le pays est à l’arrêt dans ses secteurs névralgiques, c’est le rejet du projet de réforme et la volonté de reconduire jusqu’au retrait. Face aux grévistes, des Macron-Philippe droits dans leurs bottes, et des directions syndicales qui font la grosse-voix mais qui restent hésitantes et dont le calendrier de lutte est, au bas mot, insuffisant. Comment faire pour que les grévistes aient la main sur le calendrier, les modalités d’action et les revendications, que la grève soit, réellement, aux grévistes, et qu’elle soit gagnante ?

Quand l’auto-organisation disparaît de l’histoire

Il y a quelque chose qui en général est peu mis en avant dans les récits que l’on trouve des grandes périodes de grèves, et cela aussi bien du côté de la bourgeoisie et du patronat, lorsqu’ils racontent leur version de l’histoire, mais également du côté des directions syndicales traditionnelles et de la gauche réformiste, lorsqu’elles évoquent les « grands mouvements du passé ». Lorsque le caractère ouvrier d’un processus est suffisamment impactant pour ne pas que l’on puisse le passer sous silence [1], c’est la question de l’auto-organisation qui est néanmoins occultée, à savoir la façon dont les travailleuses et les travailleurs, ici comme ailleurs, tout au long de la seconde partie du XIXe et au siècle dernier ont pu ou ont dû s’organiser par en bas, de façon démocratique, horizontale et coordonnée, pour faire peser leurs revendications, défendre réellement leurs intérêts et, parfois même, réussir à faire plier l’ennemi et gagner. Mais chez les bureaucrates et les politiciens responsables, l’auto-organisation a mauvaise presse, car c’est l’origine, selon eux, de tous les débordements et de tous les radicalismes. C’est en réalité tout l’inverse : arme essentielle, très souvent, de la victoire, aussi et surtout car c’est l’instrument de la contestation de la routine qui, elle, mène dans le mur, et ce quand bien même les grévistes seraient capables d’un intense déploiement de force, de créativité et d’audace.

Grève et interruption

Cette question de l’auto-organisation est, bien entendu, liée à celle d’un cycle de contestation sociale. La grève est, de concert, évènement et processus. Ou, du moins, elle peut le devenir. C’est un événement dans la mesure où elle interrompt le cours normal du capital, de sa production, de sa reproduction ou de sa circulation. Quoi qu’en dise la bourgeoisie, toujours bravache et prête à dire qu’elle ne s’aperçoit de rien, quand une grève éclate, l’impact est toujours là. Impact minime, parfois, massif d’autres fois, à l’instar de ce jeudi 5 décembre et au cours des derniers jours. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder du côté du réseau SNCF ou des transports en commun dans plusieurs agglomérations, à commencer, bien sûr, par Paris et sa banlieue, ou encore des raffineries, du port de Marseille, ou des établissements scolaires. En tout état de cause, la grève est toujours un élément de cassure du quotidien qui prévaut et de rupture de la chaîne de commandement du capital qui impose, d’habitude, ses normes et ses temps.

Démonstration à plusieurs échelles

Ce faisant, la grève est une démonstration de force à direction multiple : vers le haut, par en bas, et de façon horizontale. Vers le haut on le voit aujourd’hui car il s’agit, a minima, d’un coup de semonce et d’une manifestation d’une colère que gouvernement et patronat ne peuvent pas ne pas voir. Par en bas, car en cessant l’activité normale, en se retirant des tâches qui leur sont assignées et, parfois, en exprimant publiquement cette colère, les salariés manifestent à eux-mêmes leur propre force. La grève irradie également de façon horizontale dans la mesure où, potentiellement, elle s’adresse, tel un mauvais exemple, à l’ensemble des autres travailleurs qui partagent avec les grévistes leur condition de salariés. C’est la question de l’opinion, de sa bataille, ou encore de « l’hégémonie » que les grévistes ont à construire et qu’essayent de raboter, par tous les moyens, les médias dominants. C’est ainsi, par exemple, que les « huit journées de colère et de grève », dans les transports, le 12 décembre, deviennent « huit journées de galère », pour BFM et CNews. Il en faut plus, néanmoins, pour retourner l’opinion publique Ainsi, la grève est l’occasion, on le voit sur les piquets, devant les dépôts, lors des réunions de grévistes, de discuter, de créer du lien et de se rapprocher. C’est une autre temporalité qui s’installe et qui s’oppose à celle du capital qui, elle, empêche la discussion, en imposant le silence du travail ou le seul brouhaha de la machine-à-café, casse les liens et crée de la distance, objectivement et subjectivement, entre travailleurs, par les différence de statuts, de contrats et de hiérarchies.

Enracinement et processus

D’événement, la grève peut devenir processus, si elle se développe, dans le temps et dans l’espace, sur le territoire productif, en direction d’autres unités de salariés, et sur le territoire social, en direction des classes populaires. Elle cristallise un rapport de force mais, pour gagner sur ses revendications, elle doit maximiser ses chances d’extension et de radicalisation. Là encore, les journées du 5, du 10 et du 12 sont un exemple. Une seule journée, ne saurait être suffisante pour faire plier le gouvernement, et quand bien même elle a été massive, plus encore que ce à quoi s’attendaient Macron, Philippe et le patronat. Certes, elles ont cristallisé un niveau très élevé de rapport de force, mais elle doit encore s’étendre et se durcir si elle veut gagner. S’étendre en direction des secteurs qui ne sont pas encore entrés dans la danse, en dépit des 1000 préavis déposés dans le privé et malgré les secteurs clef de l’industrie qui ont rejoint la mobilisation, à l’instar de la chimie et de la pétrochimie, les ports et docks, certaines boites du privé. La grève, donc, doit se radicaliser, au moins autant que n’est lui-même radical l’exécutif qui se dit « ouvert au dialogue » mais qui refuse d’envisager de retirer sa réforme. La réponse d’Edouard Philippe, mercredi 11, en est l’illustration.

« Rien d’autre que le retrait » et les AG

Face à une telle situation, la réponse ne saurait être de rencontrer Delevoye et Buzyn, lundi 9, comme l’ont fait les syndicats, ou encore d’appeler, après la nouvelle mobilisation du mardi 10, quatre jours après la première, à une nouvelle journée, puis à une autre encore, avec un calendrier saute-mouton, d’ici aux fêtes ou après les fêtes de fin d’année, lorsque le projet devrait arriver devant le Parlement.

C’est ce sur quoi se sont exprimés, à différents niveau, des dizaines d’AG de grévistes, de réunions interprofessionnelles, au niveau territorial, de coordinations de secteurs en lutte - ces dernières étant, pour l’heure, à leurs premiers pas : ainsi, dans de nombreux secteurs, on a reconduit, dès jeudi 5, pour 24, 48, 72 voire 96 heures, jusqu’au mardi 10, et successivement, jusqu’au vendredi 13, et l’axe central des motions votées reste « retrait du projet de réforme Delevoye ». Ce faisant, ces différents organismes de grévistes posent une question fondamentale : « la grève aux grévistes ». Ce faisant, ils disent également, objectivement, leur refus que quiconque, pas même leurs structures syndicales nationales, s’arrogent le droit de décider au nom des premières et des premiers concerné.es : les grévistes qui non seulement continuent de bénéficier d’un large soutien au sein de l’opinion publique mais ont, dans leur majorité, exprimé leur volonté de s’opposer radicalement au projet du gouvernement.

Quand le mouvement ouvrier parlait la langue des conseils et des soviets

La norme la plus classique de la lutte des classes en général et des bagarres d’ensemble du mouvement ouvrier en particulier, depuis ses origines jusqu’au début des années 1920 notamment, a toujours été la tendance à l’expression auto-organisée des conflits et de la grève, posant plusieurs questions : qu’est-ce qui rythme la lutte, entre ses différents moments forts, ou ses manifestations ? Qui décide, précisément, du rythme et du calendrier de la mobilisation ? Qui est l’acteur au quotidien de cette lutte, et qui doit décider de son contenu, de ses revendications et de la transformation, éventuellement, de ses objectifs principaux ? L’âge « rouge » de cette période a été le cycle à cheval autour des années 1910 et 1920, avec ses conseils, comités, räte, shop setwards commitees et autres soviets, à savoir l’ensemble de ces organismes qui expriment, à cette époque, la tendance à la révolution et qui, parfois l’ont faite. A d’autres moments de poussée ouvrière et populaire, notamment au cours de la période 1943-1948, ou au cours des « années 1968 », les expressions les plus avancées d’un processus mondial de contestation de l’ordre établi, à « l’Ouest » comme à « l’Est » et au « Sud », se sont cristallisées dans une tendance à l’auto-organisation et à l’auto-activité ouvrière : Cordons industriels au Chili de l’Unité populaire, shuras au cours de la révolution iranienne, Comités de grève en Pologne à la fin des années 1970 s’exprimant également à travers la structuration de Solidarnosc, comités d’usine en Italie au cours du « mai rampant ».

La grève aux grévistes, pas aux bureaucrates

Avec le processus d’institutionnalisation du mouvement ouvrier, remontant, selon les pays, parfois à la fin du XIXe siècle, et plus encore avec la stalinisation de ses expressions les plus radicales, issues de la ligne de partage qu’a représenté 1917, cette tendance à l’auto-activité et à l’auto-organisation a été bridée par les organisations majoritaires du mouvement ouvrier, à l’exception des processus les plus intenses de contestation. Et pour ce qui est des questions que nous posons plus haut (à savoir « qu’est-ce qui rythme la lutte, entre ses différents moments forts, ou ses manifestations, qui décide, du rythme et du calendrier, de la mobilisation et qui est l’acteur, au quotidien, de cette lutte ? »), la réponse « spontanée » a tendanciellement été, dans le sens commun du mouvement ouvrier organisé « le/s syndicat/s », ce qui revient a exproprier les grévistes eux-mêmes de leurs combats, au mieux en faisant des organisations syndicales leurs porte-paroles naturels et permanents, au pire en substituant à la volonté des grévistes les manœuvres des appareils qui négocient, plus ou moins ouvertement, dans le dos des débrayages et des luttes.

Deux objections à cette réponse « spontanée » que l’on retrouve d’ailleurs en creux dans le discours d’Edouard Philippe du mercredi 11. Ce dernier en effet maintient la contre-réforme dans ses grandes lignes mais ne peut pas faire l’économie de chercher des interlocuteurs institutionnels au sein des directions syndicales pour briser les reins du mouvement actuel [2]. Que le ou les syndicats, organismes de défense au quotidien des intérêts matériels et moraux des salariés, se doivent de mettre tout leur poids dans la bataille lorsqu’elle s’engage, ne fait aucun doute. En revanche, c’est aux grévistes eux-mêmes, indépendamment de leur statut, de leur affiliation syndicale, ou non, de devoir être en mesure de décider elles et eux-mêmes. Ce n’est pas seulement une question démocratique élémentaire, mais aussi une question très pratique : qui davantage que celles et ceux qui font l’expérience de la lutte, qui la vivent et la construisent et qui, ce faisant, se transforment, prennent confiance en leurs propres forces et conscience de leurs intérêts historiques, serait en meilleure position pour décider de sa tenue ?

Néanmoins, une fois encore, c’est en petit comité qu’une Intersyndicale a décidé, vendredi 6 au matin, de la façon dont le mouvement contre la réforme Macron-Delevoye devait se développer, réitérant cette même logique mardi 10, au soir, proposant des actions locales pour le jeudi 12 et un nouveau « temps fort » le mardi 17. Compte-tenu du fait que ce serait, pour celles et ceux qui ne reconduisent pas, la troisième journée de grève, c’est, a minima, un plan de lutte cohérent, et sur la durée, avec au bas mot une grève de 72 heures reconductible, qui aurait dû être posé d’entrée de jeu.

On objectera qu’avec plus d’un million de personnes dans la rue, jeudi 5, peut-être un peu moins, mardi 10, mais en tous cas, a minima, entre trois et quatre millions de grévistes les 5 et 10 décembre, ce ne sont pas quatre millions de personnes qui peuvent parler d’une seule voix. L’enjeu, précisément, est de donner une expression à cette immense force qui s’est mise en branle, qui pourrait grossir dans les prochains jours et qui ne saurait se réduire à quelques permanents syndicaux nationaux, indépendamment de leur positionnement et de la radicalité, ou non, de leur discours. Donner de la voix aux grévistes eux-mêmes implique par conséquent que celles et ceux qui parlent en leur nom soient mandatés et révocables, élus en assemblée et en coordination. Une situation bien distincte de l’existence cristallisée de permanents syndicaux qui se réunissent au nom du mouvement. Dans le passé, y compris récemment en France, dans les années 1980, c’était les délégué.es, élu.es dans les AG de coordination (des cheminots, des infirmières, des étudiants, par exemple), qui ont pu parler au nom du mouvement et négocier, s’il le fallait, au nom de la mobilisation, en toute représentativité de la base. Le nombre de grévistes et de manifestants ne saurait être un obstacle à l’expression de toutes et tous, bien au contraire.

Grève et grève active

Le passé et l’histoire du mouvement ouvrier sont riches en enseignements et en exemples. 1936 et 1968 sont, en France, deux dates symboliques marquant d’une pierre blanche (ou d’un drapeau rouge) l’histoire du mouvement ouvrier. Plus proches de nous, 1995 (grèves victorieuses de novembre et décembre contre le Plan Juppé) et 2006 (mouvement du printemps, de la jeunesse et du monde du travail, contre le CPE) sont deux autres mouvements, bien moins importants numériquement que les deux premiers, mais qui représentent néanmoins des points d’inflexion dans la situation politique et sociale, et pas uniquement d’un strict point de vue national, dans le cas de 1995 [3].

Par-delà leurs dissemblances (et indépendamment du fait que les deux premiers mouvements marquent des moments clef de cycles révolutionnaires à échelle internationale qui auraient pu renverser le cours de l’histoire), 1936 et 1968, d’un côté, et 1995 et 2006, de l’autre, sont marqués par une différence majeure : d’un côté, on assiste à un processus puissant et intense de luttes (qui fait trembler la bourgeoisie au point de lui faire lâcher tout ce qu’elle peut, avec les accords de Matignon et de Grenelle), mais axé sur des « grèves recluses » ; de l’autre, il y a deux processus, au terme desquels deux gouvernements renoncent « simplement » à leur projet de contre-réforme, mais au cours desquels la base tend à déborder, par l’auto-organisation, la direction officielle des syndicats qui ne gardent la main que difficilement sur les processus, mais sans laquelle on ne saurait comprendre leur massivité.

Les « clichés de grève » les plus classiques de 1936 et 1968 sont des images où les grévistes sont littéralement retranchés dans les usines et les lieux de travail. Ces derniers sont occupés certes, mais les grévistes eux-mêmes ne sont pas actifs au-delà des moments centraux de manifestation, laissant à leurs syndicats, la CGT et la CGTU, en 1936, la CGT, surtout, en 1968, le soin de négocier [4]. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, également parce que les cycles sont distincts et le niveau global de conscience de classe est infiniment plus en retrait, 1995 et 2006 sont des moments de plus grand débordement, par en bas, et également d’auto-organisation avec, localement des Assemblées Interpro qui se mettent en place, et même des coordinations au niveau national [5]. Les grévistes s’expriment, sur leur lieu de travail et dans la rue. Ces structures resignifient les traditions les plus radicales du mouvement ouvrier qui peuvent réemerger alors que les organisations traditionnelles sont affaiblies, mais elles plongent également leurs racines dans un passé plus immédiat, avec la mise en place des coordinations lors des grandes luttes du milieu des années 1980, chez les cheminots et chez les infirmières.

Elargir l’horizon pour gagner, renouer avec la pratique de la coordination

En s’auto-organisant, horizontalement, en décidant eux-mêmes des revendications à mettre en avant, en croisant leurs points de vue à ceux d’autres secteurs en lutte, en décloisonnant leurs débrayages, les grévistes sont en mesure, dans les AG Interpro, de garantir le déploiement d’une énorme activité et d’une radicalité qui ne saurait être échangée, sur la table des négociations, contre telle ou telle concession. Bien entendu, il n’y a pas de formule magique pour construire ces instances si ce n’est le fait qu’elles doivent refléter un véritable niveau de conflit et de grève, mais aussi être démocratiques pour être en capacité de mandater des délégués, révocables et responsables, dans des instances de coordination.

Jusqu’à la moitié des années 1990, cette tradition, renouvelée en partie parce que les appareils traditionnels étaient plus affaiblis que par le passé, a été une ligne d’intervention de l’extrême gauche politique et syndicale et France. Par la suite, cette orientation s’est soit transformée en la seule construction auto-suffisante de structures syndicales plus combatives, en rupture de ban avec les confédérations, en l’occurrence les SUD puis Solidaires (« pourquoi construire une coordination, si notre syndicat est le plus à gauche possible ? »), ou alors laissée de côté par l’extrême gauche politique, avançant la faiblesse de ses forces ou que le mouvement ouvrier et sa conscience seraient trop en retrait (théorie du recul qui finit par être fonctionnelle à la façon dont la bureaucratie syndicale bride les conflits, uniquement interrompue par des redez-vous électoraux au cours desquels on fait de la propagande « communiste »). En dernière instance, cette double attitude, complémentaire, a permis à la bureaucratie de perdurer et de persister dans ses stratégies de lutte perdantes et de démobilisation, même lorsque la victoire était possible.

Aujourd’hui, depuis le 5, plusieurs structures auto-organisées et de coordination ont commencé à voir le jour, localement, mais aussi par branche (dans l’Education, notamment, mais également dans la Santé, depuis plusieurs mois, à la RATP et à la SNCF, au niveau francilien), en région parisienne (à Aubervilliers, Montreuil ou Saint-Denis) comme en région (à Saint-Dié, à Nantes, à Poitiers, à Bordeaux ou, notamment au Havre), avec des tentatives, y compris, de coordonner ces expériences à un niveau supérieur. C’est avec cette logique que RévolutionPermanente.fr relaie ces différentes expériences et appuie, par exemple, la mise en place d’une véritable Coordination au niveau Île-de-France, structurée autour de délégations de grévistes, mandatés, et motorisée par les cheminotes, agents RATP et enseignants grévistes. C’est aujourd’hui la seule façon pour imposer aux directions syndicales qu’elles ne parasitent pas notre combat, qu’elles se mettent complètement à son service et qu’elles entendent le mandat de la rue et des grévistes sur le terrain en proposant un calendrier qui ne renvoie pas au 17 décembre la prochaine journée de grève et convoque, conséquemment, à la grève générale. Le discours d’Edouard Philippe, mercredi 11, a été assez clair. Il ne veut pas le rapport de force, et ne veut rien céder. C’est donc ce même rapport de force qui doit augmenter, avec la grève, et imposer l’extension et la reconduction. Pour ce faire, il faudra la paralysie et l’auto-organisation, ou encore « métro, interpro, coordo ! ».

11/12/19

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NOTES DE BAS DE PAGE

[1On remarquera que même lorsqu’il s’agit, dans le cas de mai et juin 1968, du plus gros mouvement de grève du mouvement ouvrier occidental, les idéologues au service de la bourgeoisie, historiens et journalistes, sociologues et essayistes, réussissent néanmoins, au fil des récits anniversaires décennaux (celui de 1988 et de 1998, notamment) à gommer la présence même des ouvriers au cours de la période, réduisant d’un point de vue spatial, temporel et social, le processus au quadrilatère Seine, Boulevard Saint-Michel, Rue Saint-Jacques et Boulevard Saint-Germain, à la seule nuit des barricades et aux seuls étudiants, dépeints comme de sympathiques idéalistes, dans le meilleur des cas.

[2Pour l’heure, au moment où nous écrivons, il a fait chou-blanc, puisque les « syndicats du dialogue » que sont l’Unsa et, surtout, la CFDT, considèrent qu’une « ligne rouge » a été franchie sur l’âge pivot et refuse de s’asseoir à la table des négociations pour offrir une couverture à la contre-réforme. En réalité, en coulisses, l’exécutif essaye de renouer les contact avec les syndicats dits réformistes alors que les directions nationales cédétistes et de l’Unsa cherche à négocier, branche par branche, à la RATP, à la SNCF et au sein de l’Education

[3On peut en effet considérer que les grèves de l’hiver 1995 contre la réforme Juppé de la Sécu et l’attaque contre les régimes spéciaux représentent, avec d’autres luttes de résistance à la même époque en Italie (1994) et en Grèce, la première expression de rupture du consensus néolibéral et de contestation des contre-réformes qui marquent l’époque de la « restauration bourgeoise » allant de la fin du cycle de contestation des « années 1968 » jusqu’au début du XXIème siècle en passant par le processus de restauration du capitalisme en URSS et en Europe de l’Est entre 1989 et 1991.

[4Ceci ne veut pas dire qu’au cours des grèves de juin 1936 et de mai-juin 1968 il n’y ait pas eu de tendances au débordement et à la contestation, y compris dans le cadre syndical. Dans le cas de 1968, les premiers accords souscrits par la direction cégétiste sont notamment rejetés dans le bastion le plus emblématique de la CGT, les ateliers de Renault-Billancourt, prolongeant de ce fait la grève jusqu’à la fin juin, dans certains secteurs. Cependant, l’auto-activité est limité au secteur de la jeunesse, même si dans certains secteurs ou régions, comme à Nantes, par exemple, des comités de grève, voire un comité central de grève, dans le cas nantais, sont mis en place. Jamais, cependant, ils ne réussiront à se coordonner, laissant à la gauche réformiste, à Charléty, et aux staliniens, au niveau national, l’espace pour enterrer, en dernière instance, le mouvement et laisser l’initiative à De Gaulle.

[5A l’époque, Bernard Thibault, qui n’est pas encore secrétaire général de la CGT mais « fait ses armes » à la tête de la fédération cheminots de la centrale de Montreuil, appelle à mettre fin au mouvement le 14 décembre, sans même consulter les assemblées générales de grévistes. C’est le signe de la reprise, avant la manifestation du samedi 16 décembre, qui aurait sans doute permis à de nouvelles catégories de la population de participer au mouvement aurait pu donner une nouvelle dimension politique à celui-ci. « Par cette attitude, souligne Yann Cézard, les directions syndicales, en particulier la CGT, rompaient avec l’esprit de la grève tel qu’il avait été vécu par une bonne partie de la base, mais restaient logiques par rapport à leurs objectifs initiaux : montrer au pouvoir qu’elles sont incontournables. Elles avaient laissé faire les initiatives locales, y compris venant de militants d’extrême gauche, mais gardaient le contrôle du mouvement, et c’est cette capacité de contrôle qu’elles confirmaient par la brutalité de la reprise ». Les Interpros et les Coordos, à l’époque, n’avaient pas pu ni su se structurer suffisamment pour se transformer en une direction alternative du mouvement et le porter jusqu’à la victoire totale contre le gouvernement Chirac-Juppé, en le faisant reculer sur toute la ligne et ne le forçant pas simplement à reculer. En 2006, la clef du mouvement repose sur la Coordination étudiante, à laquelle se joint, néanmoins, un puissant mouvement au niveau du monde du travail qui se structure partiellement autour d’Interpro et de Coordo qui refont surface
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