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Une interview sur le fil du rasoir

Manif pour Tous, IVG… Les tortueuses déclarations de Mélenchon à Famille Chrétienne

Le 1er février Famille Chrétienne , une entreprise de presse catholique dédiée à la vie spirituelle et familiale a interviewé un invité inhabituel : Jean-Luc Mélenchon. Si son objectif était de grignoter quelques voix à la droite traditionnelle et religieuse tout en se délimitant de certaines positions intégristes (LGBTIphobes, anti-avortement…) de Famille Chrétienne par une introduction mentionnant un « fossé bio-éthique séparant Jean-Luc Mélenchon des chrétiens fidèles à l’enseignement de l’Église », ses différentes sorties n’ont cependant pas manqué de faire grincer les dents de nombreux.ses militant.es féministes et LGBTI. Retour sur une sélection de quelques mots doux problématiques de Mélenchon à la droite catho-tradi. Nicolas-Marie Santonja

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La Manif pour Tous ? Un « malentendu » !

Premier saut périlleux lors de la question abordant le mouvement qui s’était dressé contre l’ouverture du mariage aux couples homosexuels. Mélenchon caractérise la Manif pour Tous de « phénomène social, autant que spirituel, qui exprime des convictions profondément enracinées dans notre peuple. » Et surtout, de renchérir : « Avec la Manif Pour Tous, je fais le pari positif du malentendu. »

Le ton est donné. Jean-Luc Mélenchon est là pour séduire, et ne saisira pas l’occasion de condamner l’un des mouvements réactionnaires de ces dernières années ayant eu le plus d’ampleur, passant sous silence toutes les conséquences sociales et politiques du mouvement contre le mariage pour tous et la filiation. De ce fait il ne s’associe pas à la lutte contre ce phénomène politique qui a pu recomposer la droite et l’extrême droite traditionnelle aux ramifications politiques toujours présentes, au prix de la souffrance de nombreux jeunes et de nombreuses familles LGBTI.

En ultra-laïc modèle, il rappelle aussi la distinction qu’il fait entre mariage civil et mariage religieux par une étrange tournure : « La reconnaissance des couples homosexuels à l’état civil n’est pas le sacrement reconnu par l’Église. Nous ne parlons pas de la même chose, bien que l’utilisation en commun du mot « mariage » prête à confusion. » S’il y a quelque chose qui prête à confusion dans ce contexte, c’est bien cette déclaration ! Aurait-il fallu, comme Geneviève de Fontenay l’avait proposé à l’instar de quelques représentants de La Manif Pour Tous à l’époque, nommer l’union des couples homosexuels par un autre nom ? Le PACS était-il finalement un compromis acceptable ?

Rappelons-le, si le mariage est une des figures de proue de l’idéologie religieuse mortifère à laquelle il faudra mettre un terme, la conquête de ce droit en tant que tel, symbole d’égalité dans le contexte de la société actuelle, sera toujours une victoire incontestable pour le mouvement LGBTI. Nos ennemis d’alors furent la Manif pour Tous, ainsi que tous ses avatars et ses satellites anti-IVG, masculinistes et intégristes. Et la lutte ne doit pas faiblir en ces temps de reculs réactionnaires, malgré les grands écarts du candidat Jean-Luc Mélenchon !

« Il n’y a pas d’avortement heureux ! »

L’autre déclaration qui fit tiquer nombre de féministes fut cette sortie ambiguë : « Je voudrais quand même rappeler qu’il n’y a pas d’avortement heureux ?! C’est une décision difficile à prendre, parfois douloureuse, qui crée parfois une situation de détresse. »

Si ces propos déplaisent, c’est parce qu’ils abordent volontairement le sujet dans le sens de l’idéologie droitière qui fait de l’avortement un drame psychologique et non un acte médical. Comme le titre un article publié sur un blog féministe indépendant, le problème n’est pas l’avortement, c’est le patriarcat ! En effet, il conviendrait de condamner toutes les réelles conditions qui font de l’avortement une épreuve difficile pour les femmes, de la culpabilisation la plus insidieuse aux manques de bienveillance de l’accompagnement de l’IVG et du manque d’une éducation sexuelle féministe autour de la question. Il conviendrait de défendre le droit à l’IVG pour les femmes en termes de réappropriation du corps, qui n’a de cesse d’être remis en question par un patriarcat féroce. Mais de tout cela, Mélenchon préfère la formule très équivoque d’avortement malheureux, trop occupé par son difficile exercice de séduction vis-à-vis de Famille Chrétienne, ses valeurs et son fidèle lectorat.

Sans abolition du capitalisme, le patriarcat régnera

Il y aurait bien d’autres choses à dire quant aux nombreuses autres déclarations du candidat. Notamment sur la douteuse nécessité d’un « modèle masculin » qui serait « évidemment un besoin pour la construction de soi ». Ou encore les propos quasi-philosophiques autour du suicide assisté qui jouent sur un terrain idéologique pour continuer de pêcher quelques voix parmi le public habituel de Famille Chrétienne.

Bien sûr, le programme de Jean-Luc Mélenchon n’est pas contre l’IVG, et il « admet l’idée » d’ouvrir la PMA aux couples de femmes. Mais que penser de toutes ces concessions électoralistes à l’un des médias les plus traditionalistes ? Nous avions déjà exprimé nos désaccords programmatiques avec le candidat de la France Insoumise. Et les récentes déclarations de ce dernier dans le magazine ouvertement réactionnaire qu’est Famille Chrétienne ne font que renforcer l’idée selon laquelle la stratégie de Jean-Luc Mélenchon qui est de réformer le capitalisme sans l’abolir, et implique une composition avec le patriarcat qui lui est intimement lié, aboutira en dernière instance à des concessions qui iront à l’encontre de nos intérêts !

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