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Acharnement judiciaire

Macron, Salvini et la droite italienne s’acharnent contre des militants italiens menacés d’extradition

Début juillet, le parquet, soutenu par Emmanuel Macron, a fait appel du rejet de la demande d’extradition de dix militants italiens réfugiés en France. Cette demande avait été réitérée en 2019 par l'ex-ministre de l'Intérieur d'extrême-droite, Matteo Salvini. Un acharnement de la justice et de l’exécutif, déterminés à faire payer les militants quarante ans après leur fuite vers la France.

Mica Torres

21 juillet 2022

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Crédits photo : THOMAS SAMSON/AFP

Au printemps 2021, Emmanuel Macron avait accueilli favorablement la demande d’extradition formulée par l’Italie contre dix anciens militants d’extrême gauche accusés de faits de terrorisme et jugés pour avoir participé à la lutte armée dans les années 1970-1980. Condamnés à l’époque à des peines très lourdes, parfois à la perpétuité, dans le cadre de l’instauration d’une justice d’exception, ces activistes avaient fui l’Italie pour la France dans les années 1980 pour y construire leur vie.

Pourtant, plus de quarante ans plus tard, la ministre de la Justice italienne a formé auprès de la France une demande d’extradition de dix militants vers l’Italie face à des risques de prescription. Au printemps 2021, dix d’entre eux sont donc arrêtés par la police antiterroriste et placés sous contrôle judiciaire en attendant que la justice se prononce sur la demande d’extradition.

L’Italie souhaite qu’ils purgent les peines prononcées il y a des décennies, dans le cadre de la période de lutte des classes des années 60-70. Les militants réclamés sont aujourd’hui très âgés, entre 68 et 78 ans et vivent en France depuis parfois plus de trente ans. Si jusqu’à présent ils avaient bénéficié de l’asile en France, c’est en raison de la doctrine « Mitterrand » qui, loin de toute mansuétude, a constitué une manière de perpétuer les attaques contre l’organisation italienne par d’autres moyens. L’asile n’était en effet octroyé qu’aux seuls militants qui acceptaient de renier publiquement l’entièreté de leur activité politique. Une façon de maintenir la pression sur toute une génération.

Face à l’Italie qui renouvelle ses demandes, cette protection a été plusieurs fois remise en question depuis. En 2002, Jacques Chirac avait autorisé l’extradition de Paolo Persichetti, membre des brigades rouges. Nicolas Sarkozy avait lui refusé la demande concernant Marina Petrella en 2008, du fait de son état de santé. Elle est aujourd’hui concernée par la nouvelle demande.

Nouvel acharnement judiciaire : l’appel du rejet de la demande d’extradition

Mercredi 29 juin, la Cour d’appel de Paris a donné un avis défavorable au mandat d’extradition. Cet avis s’est appuyé sur le respect de la vie familiale des dix personnes, qui vivent en France depuis des années et y ont fait grandir des enfants et petits-enfants depuis des décennies. Au micro du journal Le Monde, leur avocate Me Irène Terrel, spécialiste du droit de l’extradition, expliquait ainsi : « Après leur avoir accordé l’asile, ce serait une condamnation à mort ». Par ailleurs, comme le souligne l’avocate, organiser des nouveaux procès trente à quarante ans plus tard relève de l’illusoir.

Aussi, plusieurs autres problèmes juridiques se posent, notamment concernant les bases sur lesquelles l’Italie réclame l’extradition. Me Terrel affirmait en septembre que les dossiers fournis à l’appui de la demande étaient « carencés », c’est-à-dire incomplets. La Cour d’appel avait même réclamé un complément d’information dans les procédures d’extradition, preuve de la faiblesse des accusations.

Pourtant, au lendemain de l’avis défavorable au mandat d’extradition, Emmanuel Macron réaffirmait sa volonté que la procédure aille jusqu’au bout. Après avoir rappelé « j’ai appuyé la demande du gouvernement italien pour ces brigadistes », le Président a déclaré souhaiter « voir si un recours en cassation est possible » ou « s’il y a encore des voies juridictionnelles qui nous permettraient d’aller plus loin ». Dans la foulée, le procureur général a décidé de se pourvoir en cassation. Une « ingérence de l’exécutif dans le judiciaire » dénoncée par ses avocats qui s’étonnent que le Président de la République puisse publiquement déclarer ce qu’il attend du parquet.

Un tel investissement de l’exécutif français pour aider le gouvernement italien est révélateur. Lors de l’arrestation des militants, l’Élysée avait ainsi déclaré : « c’est un moment historique de la relation franco-italienne » tandis que Eric Dupond-Moretti affirmait n’avoir « strictement aucun état d’âme » concernant les militants qu’il avait honteusement comparés aux « terroristes du Bataclan ». Pour l’historien Enzo Traverso, les réfugiés font l’objet d’un « marchandage politique » dans lequel Draghi voulait se légitimer en tant qu’homme d’État et enfin obtenir ce que ces prédécesseurs n’ont jamais pu obtenir.

Par ailleurs, celui-ci dénonce aussi l’hypocrisie des responsables politiques qui revendiquent l’extradition : « Le paradoxe italien est que les seuls à avoir raconté leur expérience sont les ex-brigadistes et autres anciens membres des organisations armées, pas leurs ennemis. L’État n’a rien fait, ou presque, pour élucider les tentatives de coup d’État, les infiltrations néofascistes, les « déviations » des services secrets, la mise en œuvre de la « stratégie de la tension », la violence néofasciste qui a bénéficié d’une protection au sein des appareils d’État et qui a fait beaucoup plus de victimes que le terrorisme de gauche. Personne n’a jamais demandé à l’État d’expliquer les centaines de morts (militants, jeunes, étudiants, travailleurs) tués au cours de ces années par les forces de police. Ceux qui revendiquent « le devoir d’assumer le passé » devraient se poser ces questions. ».

L’appel du parquet ne représente donc qu’un nouvel acharnement contre de vieux militants, perçus comme des ennemis politiques et utilisés comme instruments de diplomatie par le gouvernement de Macron, répondant aux volontés de l’extrême-droite de Salvini.


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