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Ni Le Pen, Ni Macron !

Macron - Le Pen : un débat d’experts-comptables, rien de bon pour les classes populaires

Le duo Macron – Le Pen, rejeté par la majorité de la population, a finalement eu l’occasion de débattre dans l’entre-deux tours. Potentiellement l’un des pires de la Vème République, le débat vient conclure une présidentielle dans laquelle le monde du travail et les classes populaires se sont vus relégués à la périphérie, de même que leurs principales préoccupations, le pouvoir d’achat et les salaires. Des préoccupations qui ont reçu la même réponse de la part des deux candidats : tout sera décidé… par le MEDEF !

Damien Bernard


et Mahdi Adi

21 avril 2022

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Crédit photo : AFP

Rarement l’on avait vu un débat si ennuyeux. Premier et réel débat de cette présidentielle, ce bis repetita de 2017 n’est en somme que le couronnement d’une campagne qui aura suscité comme rarement un désintérêt profond au sein de larges franges du monde du travail, de la jeunesse, et des classes populaires. C’est ce dont témoigne le record d’abstention pour le premier tour de la présidentielle. Déjà, la campagne avait largement exprimé les traits de mascarades démocratiques de l’élection présidentielle : crise ouverte autour des parrainages, tribunes données à l’extrême-droite, absence de débats, et, pour finir un débat mettant en scène deux candidats au programme profondément antisocial, autoritaire et raciste.

Sur le fond, la teneur des discussions, essentiellement technocratiques, a noyé sans surprise les préoccupations de la majorité de la population après cinq années d’offensive néo-libérale. Le format du débat prétendait pourtant mettre à l’honneur la question sociale en en faisant le premier thème abordé, tandis que les éditorialistes des journaux mainstreams entretenaient les illusions d’un programme de Marine Le Pen présenté comme « très social », en contradiction avec celui d’Emmanuel Macron. Sur la forme, la courtoisie réciproque entre les deux candidats, qui se sont même permis un échange de compliments en fin de débat, démontre en pratique la proximité de leurs projets respectifs.

De fait, en ce qui concerne les salaires et la lutte contre la vie chère, le programme de Marine Le Pen vaut celui d’Emmanuel Macron, c’est-à-dire rien du tout. On pourrait résumer la séquence dans cet échange : « - "Mais vous n’allez pas faire augmenter les salaires madame Le Pen ?" "Non mais j’inciterai" -"Comme moi !" ». En refusant de parler d’augmentation de salaire, tout comme Macron, la candidate du RN n’a fait qu’illustrer la supercherie du programme « social » qu’elle prétend défendre, qui en réalité se subordonne totalement aux désirs du MEDEF.

Quant aux retraites, la thématique n’a pas montré davantage de différence entre les candidats, sinon encore une fois sur des aspects techniques et cosmétiques. Marine Le Pen avait pourtant tenté pendant la campagne de se donner un vernis « social » en opposant à Macron et à la retraite à 65 ans, la promesse d’une « retraite à 60 ans ». Une promesse qui ne concerne en réalité que « ceux qui auront commencé à exercer un travail significatif avant 20 ans », comme elle l’a encore précisé pendant le débat. En revanche, ceux ayant commencé à travailler après 25 ans, devront attendre l’âge de la décote, c’est-à-dire 67 ans !

Un jeu de miroir qui s’est prolongé sur les questions internationales. Alors qu’Emmanuel Macron lance à Marine Le Pen « vous parlez à votre banquier quand vous parlez à la Russie » en référence au prêt contracté par la candidate du RN auprès d’une banque russe proche du Kremlin, cette dernière lui répond : « vous avez reçu Vladimir Poutine en grande pompe à Versailles ». Sur l’écologie, Marine Le Pen se positionnant à coup de « relocalisation » et de « patriotisme économique » pour « qu’on arrête d’importer la moitié de nos fruits et légumes » et de « transporter des bêtes à des centaines ou des milliers de kilomètres », Emmanuel Macron lui rétorque « vous êtes climato-sceptique », avant de se faire lui-même qualifier de « climato-hypocrite ».

On soulignera également le choix de n’accorder que – relativement – peu de place aux questions sécuritaires et identitaires, pourtant imposées au chausse-pied dans la campagne par Macron, Le Pen, et Zemmour en lieu et place du pouvoir d’achat. Au point que Le Figaro s’insurge de son côté : « Il a fallu attendre 23 h 05 pour que soit prononcé le mot "sécurité" ! 23 h 20 pour que l’islamisme soit évoqué ! ». Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne restent pas au centre des préoccupations des deux candidats. Si nous ne pouvons, de notre côté, que nous réjouir de voir diminuer la place accordée à ces questions, ce n’est en définitive que l’expression du fait que le sujet n’est pas le plus porteur dans la séquence actuelle. D’abord parce que c’est un terrain sensible : les deux candidats cherchent en effet à séduire l’électorat qui a voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour, et qui a en l’occurrence majoritairement rejeté l’offensive autoritaire et raciste du gouvernement. Ensuite, parce que de ce point de vue, Macron est plutôt critiqué au regard de son bilan par sa base de droite, tandis que Le Pen cherche de son côté à arrondir les angles, comme en témoigne son « bougé » - temporaire - sur la question du voile. Marine Le Pen aura tout de même eu le temps, en fin de débat, de rappeler qu’elle est pour l’interdiction du voile dans l’espace public, et qu’elle assimile l’immigration à la délinquance et « la barbarie ». Une perche saisie par Emmanuel Macron pour se poser en libéral soucieux du respect de « la constitution », et faire oublier cinq années d’offensives autoritaires, xénophobes et islamophobes : loi Sécurité Globale, loi Asile et Immigration, loi Séparatisme…

En fin de compte, ce débat d’entre-deux tours aura ressemblé à celui de 2017, à quelques évolutions près. Marine Le Pen a progressé dans la rhétorique et a travaillé son image. Toutefois, pétrifiée par le spectre de son échec en 2017, la candidate a surjoué la « présidentiabilité » et s’est montrée davantage défensive qu’offensive, échouant sur les questions qui auraient pu lui faire gagner des points face au macronisme, notamment les retraites et le pouvoir d’achat. Une attitude défensive qui l’a surtout conduite à éviter d’attaquer son adversaire sur son bilan, alors même qu’un boulevard lui était offert. Le quinquennat Macron s’est en effet avéré explosif : gilets jaunes (le mot n’a pas été prononcé !), réforme sur les retraites, manifestations contre le passe sanitaire, multiplication des grèves, y compris pendant les présidentielles. Cherchant à se mettre sur le terrain d’Emmanuel Macron, expert-comptable et technocrate en chef, la présidente du RN n’a réussi qu’à se mettre en difficulté.

Le président en exercice, qui avait le plus à perdre au vu du bilan de son quinquennat, a à l’inverse préparé sa position offensive, restant sur son terrain de prédilection – en témoigne la sélection soigneuse des journalistes « animant » le débat. L’absence totale d’attaques sur le bilan lui ont permis de prendre sans efforts la direction de la discussion et de montrer une aisance insolente. Toutefois, cette posture a renforcé l’image d’arrogance et de mépris qui le caractérise, déjà illustrée par son refus de faire campagne. De même, Macron n’a pu s’empêcher de manifester sa condescendance envers son adversaire, usant d’un vocabulaire et de formules parfois bourgeoises et élitistes.

C’est finalement un match nul, qui n’aura que permis à l’un et l’autre de renforcer leur base, sans qu’aucun ne marque de point décisif pour le second tour. Un débat qui non seulement sonne comme du réchauffé, mais illustre l’usure des deux candidats. Le macronisme n’a que bien peu d’autre chose à opposer au RN que ses contre-réformes, du sang et des larmes, quand Marine Le Pen se voit obligée de se technocratiser pour imaginer briser le plafond de verre du second tour, signe de l’usure de sa stratégie de dédiabolisation et de son institutionnalisation totale.

Quoiqu’il en soit, ce débat a permis à Macron et Le Pen de préfigurer leurs plans de bataille pour le prochain quinquennat, qui ont en commun d’être deux programmes montrant leur attachement clair aux sacrosaints profits du MEDEF, et au maintien, voire au renforcement, de politiques racistes, comme l’illustre l’interdiction du voile réaffirmée par Marine Le Pen.

Ce débat nous rappelle que quels que soient les résultats du second tour, Macron comme Le Pen n’augurent rien de bon pour le monde du travail et les classes populaires. Pour faire face au prochain quinquennat, plus que jamais, il va falloir préparer la riposte dans la rue, contre les politiques antisociales, racistes et autoritaires à venir.


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