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« Ma santé se dégrade, je déprime au volant ». Le témoignage choc d’une conductrice de bus RATP

M. conduit des bus de la RATP depuis plus de 20 ans dans Paris intra-muros ; un métier qu'elle affectionne, soucieuse de rendre un service public de qualité à ses usagers. Mais depuis quelques années, la pression à l'accélération des cadences et à la rentabilité l'ont plongée dans une spirale infernale de souffrance au travail, jusqu'à faire un AVC en août dernier. Nous relayons son témoignage poignant, qui reflète bien la réalité des agents de la RATP en proie à une privatisation rampante.

Flora Carpentier

26 octobre 2020

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Illustration : montage à partir d’une photo de La Photo Sociale

« J’ai été embauchée comme machiniste il y a 20 ans et 6 mois. Originaire de l’ouest de la France, j’ai débarqué à Paris pour trouver du travail et j’ai été chaleureusement accueillie dans le dépôt de bus RATP de la Porte de St Cloud [Point du Jour, NDLR]. Auparavant j’avais exercé comme chauffeur d’autocar à temps partiel. C’est moi qui avais décidé de faire ce métier car j’aime bien conduire. Je me suis payé moi-même le permis de transport en commun (permis D), et j’ai trouvé du travail aussitôt, d’abord dans des entreprises privées, puis à la RATP en mai 2000. Depuis ce temps, je conduis les bus de la RATP, dans Paris intra-muros. Je suis en poste depuis 9 ans sur la ligne 52 qui traverse le 16ème arrondissement, j’ai des horaires de boulot variables, dimanches, jours fériés, week-end... »

« J’ai l’impression d’être définitivement considérée comme un zombie du volant »

« Depuis la mise en œuvre du CRIV, un poste centralisé de régulation du trafic des bus situé à Romainville, système hors sol, l’ambiance de travail est très tendue. J’ai l’impression d’être définitivement considérée comme un zombie du volant, très sollicitée du reste... puisqu’il n’y a même plus le temps de prendre un café et manger un sandwich. Les ordres ont un ton cassant, méprisant, insistant ou totalement détachés... Je dois OBEIR ou bien me voici abandonnée à mon sort. Parfois, pendant plusieurs jours la radio du bus par laquelle je suis reliée au CRIV devient muette, je ne sais pas pourquoi... Le travail sur ligne s’est dégradé avec de trop nombreux services partiels et des horaires de passage des bus fantaisistes pour les voyageurs. On manque d’infos et de contact avec nos prétendus ’managers’. En tant que machiniste, quand je suis au volant j’ai la sensation étrange d’être très seule avec les usagers, eux aussi comme abandonnés... mais dans mon bus, ils sont autant que possible en sécurité et je les chouchoute... »

« Je suis aussi confrontée à une pression à augmenter la cadence du bus »

« Depuis plus de 2 ans, je suis aussi confrontée à une pression à augmenter la cadence du bus. C’est écrit, c’est répété par ma hiérarchie directe. Le CRIV pousse dans ce sens tous les jours, il m’appelle pendant que je conduis pour me reprocher quelques minutes de retard et me demander à me justifier sans cesse du retard dans la circulation. Pour moi, l’enfer a commencé en novembre 2018 : entretien de 3 heures, rapport de mouches – les espions de la RATP [Brigade de Surveillance du Personnel de la RATP, envoyée dans les bus en civil et sans se signaler au conducteur, NDLR] -, accusation d’avoir ’beaucoup’ d’accidents et divers reproches, accusation de ne pas rouler assez vite et donc de pénaliser tout le trafic, etc. Je suis mise sous surveillance et encadrée dans un processus appelé ’Plan de Progrès’, et le chef est sensé venir vérifier mon travail à des dates précises. Mais il ne vient jamais contrôler mon travail. Sans aucun motif ni débriefing, l’accusation d’accidentologie disparaît un matin à l’embauche le 1er avril 2019 (poisson ?) à 6h, entre 2 portes et mon sort évolue : je suis accusée de ne pas assez appuyer sur la voix enregistrée et ne pas assez tanner les usagers de payer leur ticket.

Comme le précise le dispositif ’Plan de Progrès’, je ne donne donc toujours pas satisfaction à l’entreprise... En ce mois d’avril, un agent RATP mandaté vient contrôler mon travail au volant de mon bus, en secret. Puis il se présente à moi pour me faire part de son contrôle : mon travail est jugé excellent. Bonne continuation ? Mais non : en mai, mon chef programme un rendez-vous ’managérial’ où il m’accuse d’une cadence inadaptée, me rappelle la soi-disant ’accidentologie’ et ne pas assez tanner la clientèle. Il base son entretien sur des notes griffonnées de concert avec la directrice (me dit-il) et non sur le contrôle écrit de l’agent mandaté à bord de mon bus. L’entretien se termine par mon refus de signer les documents malgré ses demandes réitérées. Le plan de progrès se poursuit, toujours le même, sans date ni suivi, éternel... et qui sert à bloquer tout avancement du salaire et à déclencher des procédures disciplinaires, au cas où. »

« Vais-je finir broyée par les perspectives de la privatisation, faire plus avec toujours moins de temps, moins d’argent ? »

« Puis je reprends le travail mais ma santé se dégrade et je déprime au volant. Je ne dors plus. Je ne mange plus. A mon boulot, le chef a briefé plusieurs collègues à mon sujet : j’ai la peste, on ne me dit plus bonjour, car je ne roule pas assez ’vite’, au milieu de la circulation parisienne, des patinettes et des vélos et des piétons, en charge de nos vieux et de nos enfants... Tant pis : il faut être rentable, dixit le chef.

Pourtant le chef m’a accusé d’accidentologie... alors ? C’est quoi ce boulot, de la livraison de sacs pour remblayer les comptes (creux) de la RATP ? A moins que ces comptes creux ne servent qu’à la progression de carrière de ces messieurs-dames ? Est-ce que je vais finir broyée par les perspectives de la privatisation, faire plus avec toujours moins de temps, moins d’argent ? Pour les beaux yeux de la cote en Bourse, esclave, non plus chauffeur du service public mais ’collaborateur’, c’est désormais le nom donné au futur chômeur qui s’ignore. »

« J’ai essayé de tenir mais ma santé s’est écroulée. J’ai fais un malaise fin août »

« J’ai essayé de tenir, malgré les horaires décalés et la mauvaise ambiance, mais ma santé s’est écroulée. Je prenais mon bus avec des maux d’estomac, avec la crainte d’être ’mouchée’ toute la journée, et comme mon chef m’accusait d’accident, j’étais encore plus stressée que quelqu’un tape mon bus. Je rentrais chez moi lessivée par la douleur morale, et le soir impossible de dormir.

J’ai fait un malaise fin août 2020 et j’ai différents troubles depuis. J’ai passé des IRM et scanners, j’ai été hospitalisée 5 jours, j’ai consulté en neurologie, cardiologie... résultat il semblerait que j’aie eu un AIT [Accident Ischémique Transitoire, forme légère d’AVC, NDLR]. Les médecins ont noté un état de stress élevé et les symptômes qui vont avec. J’ai un traitement car je fais tous les jours des crises de douleurs neuropathiques. J’ai des palpitations, les yeux qui ne supportent plus la lumière. Je n’ai jamais été malade comme ça, jamais le moindre mal de tête, et aujourd’hui je suis souvent couchée avec un médoc. Je paye pour le stress subi au travail. Je suis en arrêt maladie depuis deux mois et je ne sais pas ce que je vais devenir. Je suis épuisée.

Voilà le récit d’une machiniste de la ligne 52 toujours à l’heure, et ses usagers lui manquent. Aujourd’hui la vie d’un machiniste se résume à se faire fouetter et tirer la charrette. Un métier fatigant, des conditions de travail devenues épouvantables, une hiérarchie pourrie, des bus sales... Je n’ai jamais exigé de compliment, juste le respect. Le salaire que je touche, 1850 euros net après impôt, n’est pas lourd et ne vaut sûrement pas un AVC. La vie est courte. Travailler oui mais dans quelles conditions ? »

Ce témoignage n’est qu’une illustration parmi tant d’autres de la souffrance au travail vécue par les travailleurs broyés par une logique de rentabilité qui n’a que faire de leur santé et de leur vie. Cette dégradation des conditions de travail, aux conséquences désastreuses pour les salariés comme pour les usagers, est particulièrement visible dans les entreprises publiques en proie à la privatisation, comme l’ont montré les vagues de suicides à La Poste, chez France Telecom et à la SNCF. L’hôpital public et la RATP sont aujourd’hui sur cette même voie de course au profit qui provoque burn-outs et maladies professionnelles, en plus de la violence des licenciements lorsque les salariés sont jugés comme non suffisamment rentables.

Dans les transports publics, des agents s’organisent pour « construire l’unité » contre la privatisation et appellent en ce sens à une prochaine réunion le 7 novembre prochain, à laquelle sont conviés tous les salariés du secteur déterminés à mettre un frein à la casse du service public des transports.


Appel à témoignages : nous invitons les salariés de la RATP ou d’autres entreprises victimes de pressions hiérarchiques, de sexisme, de racisme, de discriminations ou de répression à nous faire part de leurs témoignages en nous écrivant à [email protected].


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