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L'amendement de trop pour le gouvernement

Loi sur le renseignement. Le gouvernement tente d’imposer la surveillance généralisée des "étrangers"

Camilla Ernst Aux débats houleux qui entourent le projet de loi liberticide sur le renseignement, véritable « Patriot Act » à la française adopté en mai par l'Assemblée nationale puis en juin par le Sénat, est venu s'ajouter un nouveau chapitre. Et pas des moindres. Le rapporteur du texte pour l'Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas, y a ajouté un amendement de dernière minute, visant à la surveillance de tout étranger de passage en France, sans avoir à se référer à l’instance de contrôle. Si les réactions ont été vives, tant du côté du gouvernement que de l'opposition, il a cependant été voté en commission mixte paritaire (CMP), nécessitant le dépôt d’un deuxième amendement de Matignon le contredisant, et qui doit être voté dans les jours qui viennent par les deux Chambres. Cet événement est à analyser dans le cadre plus large d'une loi qui organise la surveillance des masses, et dans le cas présents, des « étrangers ».

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Nouvel amendement pour généraliser la surveillance des « étrangers »

Alors que le projet de loi, après avoir été voté par l’Assemblée nationale et le Sénat, était examinée en CMP, instance qui permet d’harmoniser les versions adoptées par les deux Chambres, un nouvel amendement a été rajouté in extremis le 16 juin, à la demande de Jean-Marc Urvoas, député PS et rapporteur du texte pour l’Assemblée nationale, déclenchant un important débat. Et pour cause, cet amendement prévoit « par dérogation », que « lorsque la mise en œuvre sur le territoire national d’une technique de renseignement ne concerne pas un Français ou une personne résidant habituellement sur le territoire français, l’autorisation est délivrée par le Premier ministre sans avis préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ». Si, sur les 6 sénateurs participant à la CMP, tous sauf un ont refusé de le voter, les 6 députés, la composant également, l’ont adopté sans broncher, soit une majorité de votes favorables.

Le gouvernement a assuré n’avoir jamais validé une telle disposition, qui pose problème en regard de la Constitution, la distinction entre Français et étrangers n’étant pas « pertinente », aussi bien pour Matignon que pour le ministère de l’intérieur. Etonnant, quand on sait qu’Urvoas est très proche aussi bien de Manuel Valls que de Bernard Cazeneuve... Philippe Bas, rapporteur pour le Sénat à la CMP, et Jean-Jacques Hyest, sénateur Les Républicains, ont de même soulevé, pour d’autres raisons, en l’occurrence pour mettre en difficulté le gouvernement, la problématique de la constitutionnalité.

Un amendement pour l’amendement, retour en arrière forcé

C’est la tribune de l’ex-Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, proche de Sarkozy et nommé par celui-ci en 2008, parue dans l’édition du soir du Monde de samedi 20 juin, qui a, pour des raisons bien différentes de celles invoquées, notamment pour déstabiliser le gouvernement pour le compte des « Républicains », obligé le Premier ministre a réagir par un nouvel amendement, invalidant le premier.

J-M Delarue dit dénoncer une disposition contraire au principe constitutionnel d’égalité sur le sol français, en permettant « aux services quels qu’ils soient de faire ce qu’ils veulent avec les étrangers de passage ». Par ailleurs, il pointe du doigt une assimilation à la conception américaine du renseignement, qu’il qualifie de « régression », et il déplore un affaiblissement de l’intervention de la future commission de contrôle, qui ne serait pas prévenue de la mise en place d’une mesure de surveillance à l’égard d’un étranger de passage, en dépit des garanties normalement prévues par la loi.

En réponse à l’ensemble des critiques dont l’amendement de J-J Urvoas fait l’objet, Matignon a finalement publié ce mardi 23 juin, un nouvel amendement, formulé ainsi : « si la surveillance de certaines personnes étrangères séjournant temporairement dans notre pays peut se justifier au titre de la sauvegarde des intérêts fondamentaux (…), il n’apparaît pas proportionné de priver les procédures d’autorisation et de mises en œuvres des garanties prévues », annulant ainsi le précédent amendement. L’ensemble du texte revu par la CMP et des amendements énoncés sont débattus à partir d’aujourd’hui, pour être votés par l’Assemblée nationale le 24 juin et par le Sénat le lendemain. L’Etat, ainsi que 75 députés-signataires réunis derrière les députés Républicains Laure de la Raudière et Pierre Lellouche, ont déjà prévu de saisir le Conseil constitutionnel une fois acté le vote définitif, ces derniers dénonçant une « police politique ».

Derrière la surveillance légalisée des « étrangers de passage », la surveillance des migrants

Partout dans les médias traditionnels, les « étrangers de passage » incriminés seraient, comme le formule Jean-Marie Delarue, ceux « soupçonné d’être menaçant pour les intérêts français : l’homme politique, l’homme d’affaire ou encore le vrai ou faux riche touriste ». La peur serait celle de voir la loi permettre de poser des micros dans la chambre de diplomates, chefs d’Etat ou journalistes, de glisser des balises sous leur voiture, espionner leurs disque-dur ou conversations téléphoniques, sans réel contrôle.

Mais, ce serait, ne pas voir, que cet amendement qui distingue une différence de traitement dans la surveillance entre « français » et « étranger » vise avant tout, ceux qu’ils appellent les « étrangers de passage », les migrants, à La Chapelle à Paris ou aux frontières de l’Italie, qui, en luttant pour leur droit à un logement digne et leur régularisation, remettent en cause directement leur ordre, « l’ordre républicain ».

Pour défendre ses contre-réformes actuelles et annoncées sur le droit d’asile, le gouvernement avait besoin de ce nouvel amendement approfondissant la, déjà très liberticide, Loi sur le Renseignement. Il lui faut, pour cela, développer des outils, immédiatement opérationnels ou de façon préventive, assurant la surveillance des migrants et des sans-papiers, et de ceux qui les défendent, cela s’ajoutant à la répression policière dont ils sont déjà victimes.

23/06/15


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