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Hôpital de la misère, Misère de l’hôpital

Les petites mains invisibles de l’hôpital relèvent la tête dans le premier CHU de France

Il y a une semaine les hospitaliers du service logistique de l’hôpital Pellegrin à Bordeaux étaient en grève contre la casse de l’hôpital public et de leurs conditions de travail. Une bataille qui concerne l’ensemble de l’hôpital et de la population, dont il s’agit de porter les revendications et les élargir à l’organisation d’autres secteurs.

Jahan Lutz


et Alexandre Mongis

20 octobre 2020

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Le gouvernement continue d’annoncer des mesures répressives, couvre feu, plus de contrôle et plus d’amendes mais toujours pas plus de moyens pour l’hôpital public. La dégradation des services publics a mis en grande difficulté les hospitaliers pendant le pic de l’épidémie. Mais la recrudescence des cas positifs sur l’ensemble du territoire met sous tension tous les hôpitaux, ce qui ne permettra pas au Ministère de la santé de bricoler avec des transferts de patients entre régions, ni en comptant autant sur l’énergie des soignants fatigués.

La dilettante des autorités sanitaires dans les régions où la première vague fut moins importante, comme à Bordeaux, plonge désormais les personnels hospitaliers au plus profond de la crise. C’est une gestion catastrophique de la crise sanitaire qui a donc généralisé la colère dans le 1er CHU de France où se succèdent depuis des mois les grèves de différents services en première ligne, tous pour exiger plus de moyens, des conditions de travail décentes, des primes pour tous les personnels et des créations de postes : les soignants dès le déconfinement en mai, la blanchisserie et la réanimation cardiaque en juillet, les ambulanciers en septembre.

La semaine dernière c’est le service de la logistique du tripode qui a relevé la tête pour rejoindre le bataille. Les logisticiens sans qui aucun médicament, matériel ou plateau repas n’est distribué dans l’hôpital, exigeaient notamment 6 personnels supplémentaires, des tenues décentes, du matériel neuf, et la rénovation de leur salle de repos. En réponse la direction a envoyé des huissiers de justice à leur domicile pour les réquisitionner, c’est à dire les obliger à travailler malgré le préavis de grève déposé 48h à l’avance. Le coût des méthodes scandaleuses de répression dont la direction a usé pour tenter de briser la grève a rapidement coûté plus de 4 000€, somme qui aurait pu être investie dans du matériel pour le personnel. Cela ne fait que révéler le mépris total de la direction pour les hospitaliers qui vivent la réalité du terrain, de l’état de l’hôpital et de ses besoins. Or ce sont ces travailleurs essentiels sans lesquels l’hôpital ne tournerait pas : par la pression de la grève, la direction a finalement dû accepter de négocier les revendications des grévistes.

Mais la direction du CHU pourrait investir bien plus, car chaque année l’excédent financier de l’établissement s’élève pratiquement à 5 millions d’euros. Ainsi Yann Bubien, Directeur Général du CHU et ex-directeur adjoint du cabinet d’Agnès Buzyn dont le gouvernement a détruit l’hôpital public, a préféré financer une commande de respirateur pendant le confinement par une cagnotte qui a mis les usagers et personnels à contribution alors que personne ne sait à quoi servent les bénéfices de l’établissement. De la même manière le manque de financements publics laisse plus d’espace aux investissements privés comme en témoigne les 100 000€ de donateurs privés que la direction du CHU a dépensé dans le service logistique sans même consulter les travailleurs qui savent le mieux ce dont ils ont besoin, d’autant plus dans la période de crise sanitaire.

Le moteur de l’hôpital en première ligne de la casse des services publics

Les témoignages d’hospitaliers qui dénoncent les conditions sanitaires de l’hôpital n’ont pas manqué depuis le début de l’épidémie. Dans les services de soins, de médecine, des urgences, les personnels sont débordés, les flux augmentent constamment mais pas les moyens pour y faire face. Et ce n’est que la partie visible de la gestion catastrophique des hôpitaux, car certains travailleurs sont « les petites mains invisibles » qui assurent la coordination de tous les services quotidiennement, qui acheminent dans tout le complexe hospitalier les médicaments, le matériel pour le personnel et les patients, qui garantissent le bon fonctionnement de l’hôpital et ce malgré la pression du manque de personnels. C’est notamment le rôle des hospitaliers du service logistique sans qui l’organisation du premier CHU de France serait tout simplement impossible.

Ce sont ces travailleurs essentiels du corps hospitalier, en première ligne de l’épidémie, que le gouvernement qualifiait de « héros de la nation ». Dans le même temps le SEGUR de la santé ne leur a donné que des miettes dont des primes inégalement distribuées entre les hospitaliers et les services, bien loin de la réalité de leurs conditions de travail et de leurs besoins.

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Voilà l’état des déchets de l’hôpital Pellegrin après quelques jours de grève, et les conditions dans lesquelles travaillent les travailleurs du service Logistique de l’hôpital Pellegrin : des fuites d’eau, d’excréments, dans les sous sols, alors qu’ils n’ont pas d’équipement et qu’ils traversent tout l’hôpital dans leurs allers-retours entre les chambres des patients et les centres de déchets, la blanchisserie....

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Ces images que nous avions publié révèlent des fuites d’eau et d’excréments dans les sous-sols de l’hôpital où travaillent les hospitaliers, là où les médicaments et les repas des patients sont stockés près des poubelles qui débordent de déchets infectieux et transportés quotidiennement dans tout l’hôpital en dépit des risques sanitaires pour ceux qui les manipulent. Voilà donc la gestion du premier CHU de France où prime encore une fois la rentabilité, les profits de la santé sur le dos des travailleurs et des patients !

Un des grévistes témoignait qu’ « on était 50 il y a 15 ans, aujourd’hui on est 40 » : moins de titulaires et plus de CDD de quelques mois voir quelques semaines alors que la charge de travail augmente. Les flux tendus générés par cette situation ne vont pas s’assouplir, bien au contraire dans la mesure où le CHU étend son service de pédiatrie, par l’extension des pôles urgence, ambulatoire et réanimation. Au manque de personnels s’ajoute le manque de matériel qui contraint déjà le CHU à tourner au régime « plein-vide », c’est à dire en utilisant les stocks qui sont déjà insuffisants sur un site pour les acheminer vers un autre et ainsi combler les trous : la direction organise un pôle par la désorganisation d’un autre. Ce qui n’est pas sans conséquence sur les soins apportés, ni sur les tâches alourdies pour le personnel. Ce sera par conséquent plus de travails précaires qui permettront de tirer vers le bas les conditions des emplois concernés.

La précarisation statutaire et financière des travailleurs permet de plus lourdes pressions de la direction, représentant aussi un coût dans le quotidien de chaque hospitalier. Les hospitaliers sont par conséquent sous tension permanente, poussés à leurs limites, au burn out, à une fatigue morale et physique qui impactent directement la qualité des services et des soins ; une précarisation d’autant plus criminelle qu’elle contraint les hospitaliers à travailler même s’ils sont positifs au covid. Le gouvernement détourne l’attention de sa propre responsabilité dans la catastrophe sanitaire en responsabilisant individuellement les Français qui soi-disant se « soigneraient trop ». Dans ce sens vont les réformes pour le déremboursement des soins afin d’en réduire l’accès, ou encore la nomination du nouveau directeur de l’ARS Nouvelle Aquitaine issu du groupe Elsan (deuxième opérateur de santé privée en France) qui en dit long sur la poursuite de la privatisation de l’hôpital.

Au-delà d’une unique fonctionnalisation de l’hôpital aux impératifs de rentabilité par des logiques patronales, celles-ci profitent directement aux géants privés internationaux de la sous-traitance comme Limpa ou Elior (dont le capital financier s’élève à 2 064 milliards d’euros fin août 2019) pour le ménage du CHU. La proportion croissante de contrats précaires (CDD) et d’intérimaires dans les services de soins qui implique une division du travail, des tâches et des services, participe à l’atomisation de l’hôpital. L’intégration de plusieurs secteurs au corps privé dans l’enceinte de l’hôpital public permet d’ouvrir des espaces de capitalisation en même temps que de diviser les travailleurs et maintenir leurs conditions et salaires le plus bas possible.

Des moyens pour l’hôpital public : on a besoin d’un plan de bataille

Malgré les promesses de la direction quant aux revendications des grévistes, les hospitaliers du service logistique du CHU restent attentifs à ce que la direction les tienne, cette dernière étant déjà bien coutumière des méthodes managériales de mensonges en manoeuvres. En effet les primes promises au rabais ont été distribuées inégalement et les dispositifs mis en place pour la crise sanitaire n’ont résolu ni la précarité des hospitaliers ni la misère de l’hôpital. Les grévistes eux-mêmes affirment que l’embauche de 6 postes de personnels est insuffisante là où ils en auraient besoin d’au moins 10 supplémentaires. Mais de surcroît, à une semaine des engagements de la direction ils apprennent que les mesures ne seront effectives qu’en 2021 : les tenues de travail ont été commandées mais n’arriveront qu’en décembre et seulement 1 personnel a été embauché en CDD ! Les contrats prendront fin en janvier, là où les hospitaliers rencontreront de nouveau la direction qui veut confirmer et négocier l’utilité de maintenir ces emplois.

De son côté, main dans la main avec les directions de CHU, le gouvernement poursuit sa politique criminelle de fermeture des lits et de réductions d’accès aux soins. Si la privatisation croissante du système de santé correspond à la précarisation des couches populaires qui n’y auront plus accès, elle correspond dans le même temps à la précarisation des travailleurs de ces couches populaires qui font tourner les secteurs essentiels de la société. Ainsi les conditions de travail de l’hôpital et de la fonction publique dans son ensemble sont menacées. En réalité l’embauche des postes promis se font par des contrats précaires, plus flexibles et permettent ainsi de poursuivre la pression à la baisse des salaires de tout le service puis de l’hôpital.

Par ces pressions de mise en concurrence, la direction veut des hospitaliers qui se tiennent droit, ce dont elle a fait preuve en tentant de casser la grève par la répression. Or il leur est déjà difficile de se mobiliser comme nous l’expliquait Isalyne, aide-soignante de l’Hôpital Henri Mondor à Créteil, dans une interview la veille de l’appel national à la mobilisation de la santé le 15 octobre : « La difficulté c’est que, comme on est en Plan Blanc, je pense qu’ils vont assigner tout le monde et que seuls quelques collègues en repos pourront se mobiliser. Plus globalement, il faut avouer qu’on est dans une période où quand on rentre chez nous on a envie de déconnecter... Les manifestations, les grèves, avec le virus on a laissé un peu de côté tout ça, d’autant plus que, malheureusement, l’Etat s’en fiche. On fait un métier où l’on peut se mobiliser tant qu’on veut, l’Etat sait que l’on est obligé d’aller travailler. La seule solution serait qu’on déserte les services, mais on ne peut pas le faire ».

Les directions se servent de ce manque de personnels pour contraindre les hospitaliers à leur assignation, mais ce n’est en rien ce qui résoudra la crise structurelle de l’hôpital. A l’inverse des suppressions d’emplois et licenciements alors que l’hôpital est en sous-effectif, il faudrait créer massivement des postes hospitaliers qui permettent la partage du temps de travail et des tâches. Mais ces emplois, que ce soit pour 6 personnels ou plus, doivent tous être assurés du statut de la fonction publique pour laquelle tous les personnels doivent être titularisés à salaire décent.

Il y a bien une colère profonde des hospitaliers qui reste pour le moment contenue aux frontières de l’hôpital, ne trouvant pas d’expression plus large. L’appel national du 15 octobre était en ce sens important pour coordonner tous les services et leurs revendications en un seul plan de bataille qui exige un investissement massif dans l’hôpital public. Un appel national et intersyndical qui aurait y compris dû permettre la convergence au-delà des murs de l’hôpital. Certains secteurs en grève comme les travailleurs d’Onet à Toulouse ont en ce sens rejoint la manifestation exigeant des moyens pour l’hôpital public public, de même que les millions versés au patronat devraient revenir aux travailleurs précaires et en première ligne. Mais au contraire les directions syndicales ont fait de l’appel national du 15 octobre une date isolée et finalement démobilisatrice quand on sait que les seules perspectives qu’elles donnent sont d’obtenir des miettes négociées avec le gouvernement, comme durant le SEGUR.

Ces accords négociés dans le dos des travailleurs, dans les bureaux de Matignon avec les directions syndicales, trahissent l’ensemble des travailleurs de la santé et la combativité encore présente de tous les hospitaliers déterminés à ne plus subir la crise de l’hôpital et ses coupes budgétaires comme les logisticiens l’ont démontré récemment. Les perspectives dérisoires et conciliatrices décidées à Montreuil ne peuvent pas permettre à l’hôpital de sortir la tête de l’eau et ne font que mieux chercher à faire passer la pilule. Bien au contraire l’organisation de l’hôpital doit être l’oeuvre des hospitaliers eux-mêmes, par une transparence des comptes et des investissements, par un contrôle démocratique sur les décisions qui doivent répondre aux besoins et nécessités réelles de l’hôpital, d’autant plus pendant la crise sanitaire qui approfondit sa crise structurelle.


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