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Elections aux USA

Les élections de mi-mandat aux États-Unis et la bataille pour la classe ouvrière

Les élections de mi-mandat auront lieu ce mardi alors que le régime bipartisan a opéré un virage à droite par rapport à celles de 2018. Chacun des deux partis, Démocrate comme Républicain, prétend s'adresser à la classe ouvrière américaine. Mais depuis 2016, la conscience des masses a été profondément ébranlée.

Jimena Vergara


et Daniel Alfonso

7 novembre 2022

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Les élections de mi-mandat auront lieu ce mardi alors que le régime bipartisan a opéré un virage à droite par rapport aux dernières élections de ce type. Le Parti républicain est entrain de croître électoralement et promet d’arracher de bons résultats. Il a remporté des victoires politiques fondamentales pour arriver renforcé à cette élection.

Il a notamment fait des avancées superstructurelles dans plusieurs États avec des lois ultra-réactionnaires allant d’attaques sévères contre les personnes transgenres à l’affaiblissement du droit de vote, en passant par des interdictions juridiques pour empêcher les enseignants de l’école publique d’enseigner l’histoire du racisme en Amérique ou ce que l’ultra-droite américaine appelle "l’idéologie de la race".

Le GOP [1] a réussi - au moins jusqu’à la prochaine élection - à resserrer les rangs entre son aile trumpiste, avec une base sociale large organisée derrière la figure de l’ancien président, les organisations d’extrême droite de type "milices" et l’aile menée par Ron DeSantis. Ce dernier représente une droite plus bonapartiste et pro-étatique, qui reprend la rhétorique « pro-classe ouvrière » de Trump tout en défendant une idéologie de « guerre culturelle » [NdT : contre l’antiracisme, le mouvement LGBT, le féminisme, etc.]. Celle-ci a toujours fait partie de l’idéologie du Parti républicain mais a gagné un nouvel élan après la cooptation de Black Lives Matter.

Il n’est pas certain que cette fragile unité républicaine prospère au-delà des mid-terms, car elle se heurte à l’agenda à plus long terme de l’establishment républicain, qui a besoin de contenir Trump sans l’attaquer directement en raison du coût politique électoral que cela aurait, y compris en vue de l’élection présidentielle de 2024.

Le triomphe le plus important du GOP au cours des mois précédents a probablement été l’annulation par la Cour suprême de l’arrêt Roe v. Wade, qui a anéanti en un jour la protection fédérale du droit à l’avortement aux États-Unis.

Alors que la rhétorique ultra-conservatrice joue un rôle important dans la recomposition du Parti républicain, elle est au cœur du trumpisme et des aspirations de la base sociale républicaine, la haine croissante d’une très grande partie de la classe ouvrière américaine pour le Parti démocrate survit fortement. Loin d’avoir changé depuis l’élection présidentielle de 2016 et les élections de mi-mandat de 2018, ce phénomène s’est approfondi et complexifié. Thomas B. Edsall du New York Times écrit en ce sens :

« Bien que les pressions économiques qui ont poussé des millions d’électeurs blancs de la classe ouvrière vers la droite se réduisent, l’hostilité que ce secteur clé de l’électorat ressent à l’égard du Parti démocrate s’est approfondie et est de moins en moins susceptible de changer. »

Selon un rapport de l’American Enterprise Institute intitulé « Elections and Demography : Democrats Lose Ground, Need Strong Turnout » :

« L’écart entre les blancs diplômés et les blancs non diplômés continue de se creuser. Pour la première fois dans ce cycle, la différence de marge entre les deux a dépassé le chiffre stupéfiant de 40 points, bien au-dessus de l’écart de 33 points de la course présidentielle de 2020. Les Républicains sont à la traîne chez les électeurs blancs des universités (13,6 points), mais sont en tête chez les blancs non diplômés (plus de 27 points). Les démocrates semblent coincés dans la fourchette des 30 et quelques pour cent parmi les Blancs non diplômés - aucun sondage ce mois-ci ne les montre au-dessus de 34 pour cent - de sorte qu’une répétition du score de 37 pour cent de Biden semble peu probable. »

Le même rapport conclut qu’une très grande partie de la classe ouvrière continue d’identifier le Parti démocrate comme le parti de la mondialisation et du partenariat commercial avec la Chine, et que ces millions de travailleurs considèrent la mondialisation comme une menace constante pour leurs conditions de vie. Loin de se dissiper, ce sentiment, inscrit dans la politique américaine depuis que Donald Trump a surpris le monde en remportant l’élection présidentielle de 2016, s’est renforcé et complexifié. Et ce, dans le feu d’une crise économique qui, si elle ne s’est pas encore transformée en krach économique, s’exprime par une inflation croissante, s’ajoutant à toute la série de problèmes structurels dont souffre l’économie américaine depuis la Grande Récession de 2008, exacerbée par la pandémie.

La hausse des prix à des niveaux historiques, accompagnée de l’augmentation du prix de l’essence et de la hausse des taux d’intérêt, élargit en fait la base républicaine (parmi les travailleurs latinos par exemple, mais pas seulement) et éloigne davantage d’importants secteurs de la classe ouvrière du Parti démocrate.

Déjà lors de l’élection de 2016, le grand protagoniste était la classe ouvrière, oubliée par le néolibéralisme et ignorée par le Parti démocrate, au cœur de la rhétorique trumpiste à droite et du programme de Bernie Sanders à gauche. Mais cette élection place la classe ouvrière au centre de l’agenda et du programme des deux grands partis du capital, y compris l’establishment démocrate, les médias et même la Fed. Tous se préoccupent que les salaires n’augmentent pas et de limiter l’inflation, par une combinaison de taux d’intérêt élevés, de plafonnement des salaires et en assumant un chômage potentiellement chronique de 5% de la main-d’œuvre.

Contrairement aux campagnes électorales d’avant 2016 et suite aux conditions créées par la pandémie, les politiciens bourgeois ne peuvent plus cacher la classe ouvrière derrière la chimère de « la classe moyenne américaine ». Ce n’est pas seulement un produit du trumpisme, ou un produit du sanderisme ; les deux phénomènes politiques expriment les changements profonds dans la conscience des masses. Rien n’a plus ébranlé la conscience des masses laborieuses aux États-Unis que Black Lives Matter d’une part et la pandémie d’autre part. Le phénomène politique syndical qui exprime ce changement de conscience s’incarne dans la Génération U.

La « trumpisation » du Parti démocrate

Le glissement vers la droite lors de ces élections de mi-mandat s’exprime également par un glissement vers la droite du Parti démocrate. Si la défense du droit à l’avortement a teinté la campagne électorale démocrate au cours des mois précédents, parvenant - selon les sondages - à inciter une partie de l’électorat à se rendre aux urnes pour voter pour eux, cela ne leur suffit manifestement plus pour réaliser une performance électorale décente.

John Fetterman, le favori pour le siège de sénateur de Pennsylvanie, est peut-être l’exemple le plus flagrant de cette droitisation. M. Fetterman, qui fait officiellement partie de l’aile progressiste du Parti démocrate et a autrefois défendu le Green New Deal, a axé sa campagne sur la défense du « fracking » [extraction de pétrole par fracturation hydraulique] dans le but de séduire la classe ouvrière blanche de l’État, qui se méfie profondément des démocrates et du Green New Deal, qu’elle considère comme une menace directe pour son emploi et ses moyens de subsistance. Dans le même temps, Fetterman tient un discours violemment anti-chinois qui correspond également à la base sociale de la classe ouvrière qu’il tente de conquérir.

Les démocrates avaient espéré profiter de la vague de colère et de peur déclenchée par l’abrogation de l’arrêt Roe v. Wade pour obtenir un résultat à mi-mandat qui ne leur serait pas trop défavorable. Cela a semblé fonctionner momentanément, malgré l’inflation et la dégradation des conditions de vie des masses. Mais, finalement, tous les sondages (qui prévoient déjà une vague républicaine dans cette élection de mi-mandat) indiquent que la classe ouvrière, et pas seulement les secteurs blancs frappés par le néolibéralisme, vont voter en pensant à leur portefeuille et non aux droits démocratiques, menacés par l’avancée de la droite et la bonapartisation de la droite du GOP.

Le Parti démocrate tente de s’adresser à la classe ouvrière en « termes trumpiens », dans les États à forte base trumpiste, en s’adressant aux perdants de la mondialisation, qui ont vu leurs emplois être délocalisés, qui étaient parfois syndiqués, mais qui ont finalement rejoint l’énorme précariat américain et ses très bas salaires, qui ont fait face aux conséquences d’une économie chinoise forte.

Alors que le souffle qui avait soulevé l’esprit des progressistes du Parti démocrate après l’adoption par Biden de la loi anti-inflation commençait à se dissiper en raison de la prise de conscience que l’impérialisme américain ne pouvait se permettre aucune sorte d’aventure « gauchiste », le centre du parti a gagné en force.

Mais au-delà du résultat de l’élection de mi-mandat qui pose un scénario dangereux pour les deux années restantes de l’administration Biden, ce qui est en crise, c’est l’agenda démocrate. Celui-ci consiste à « organiser la passivité » en imposant un rapport de forces favorable aux capitalistes en temps de crise, une fois que le mouvement BLM a été pacifié et qu’un ensemble de lois a été adopté qui impliquait des concessions pour les masses dans la période post-pandémie.

En un sens, et suivant la logique de Gramsci lorsqu’il considérait le problème de l’hégémonie bourgeoise en Amérique, ce qui est en crise, c’est l’hégémonie du régime sur la classe ouvrière. De fait, la capacité de consommation des masses prolétariennes diminue dramatiquement, surtout celle des secteurs supérieurs du prolétariat, qui commencent à découvrir les vicissitudes du précariat du fait de la hausse des prix et de la diminution du crédit.

L’hégémonie bourgeoise est également en crise parce que le Parti démocrate, la principale direction politique du mouvement de masse à travers la bureaucratie syndicale et les mouvements sociaux, doit constamment naviguer entre être le « parti de l’endiguement » prêt à confisquer les bannières des mouvements sociaux pour leur enlever leur radicalité et empêcher cette radicalité d’infecter le mouvement ouvrier, et être le « parti de la loi et de l’ordre » lorsqu’il est nécessaire de réprimer brutalement l’avant-garde.

Le parti de Joe Biden est au centre de la répression brutale des militants de BLM depuis 2020 et de la légitimation renouvelée de la police. C’est sous les administrations démocrates, comme celle d’Eric Adams, maire de New York, que les services de police locaux et d’État ont reçu des sommes historiques provenant des budgets locaux.

Un autre exemple de la « trumpisation » du Parti démocrate est Tim Ryan, le candidat démocrate au Sénat dans l’Ohio, une girouette politique qui a un jour comparé le système de justice pénale américain à Jim Crow. Aujourd’hui, le slogan central de sa campagne est « Financez la police » (Refund the police) une allusion claire au slogan de BLM « Defund the police », et il est soutenu par le syndicat de police de l’État affilié à l’AFL-CIO.

La bataille pour la classe ouvrière

Dans cette tentative désespérée de gagner la classe ouvrière américaine, l’establishment et le centre du Parti démocrate ont fait un tournant il y a quelques semaines dans les élections. Ils ont en effet mis en place une politique visant à séparer les questions « politiques » des questions « économiques », afin d’arracher des mains du GOP les secteurs de la classe ouvrière déçus par le Parti démocrate.

C’est Barack Obama, le leader moral du Parti démocrate, qui a exprimé cette idée de la manière la plus plus sophistiquée. De manière très habile, comme il l’a fait avant son entrée en fonction, Obama a fait valoir, il y a deux semaines, lors de la conférence Pod Save America, que la politique américaine doit être reconfigurée pour ne plus être codée en termes de race. Dans une opposition directe avec l’idéologie démocrate et, tout en revendiquant en général BLM, il soutient que les changements culturels dans le langage (langage inclusif, antiraciste, etc.) ne signifient rien pour le « citoyen ordinaire » et les « braves gens qui sont préoccupés par le bien-être de leurs familles ».

Cette conclusion découle de la prise de conscience d’une frange du Parti démocrate que le « politiquement correct » repousse la classe ouvrière et place le parti dans une position défensive, notamment dans des États comme, par exemple, ceux de la Rust belt. Pour justifier son tournant, il s’appuie sur deux points. D’une part, sur la caricature que l’extrême droite fait du progressisme, présenté au travers d’une prétendue obsession pour les « pronoms » qui conduirait à faire la police du langage. D’autre part, sur le fait que ce langage politique était celui du progressisme néolibéral (aujourd’hui en crise), qui a fondé son hégémonie sur les mouvements sociaux en s’arrogeant leur représentation politique au travers de politiques de « représentation » des personnes minorisées, effaçant les divisions de classe et ne touchant en rien à l’exploitation et l’oppression capitalistes.

Pour Obama, le moyen pour le Parti démocrate de recomposer sa relation avec la classe ouvrière et de naviguer dans la situation ouverte par la crise économique est de mettre à distance ces sujets « clivants », en minimisant l’importance des politiques en faveur des minorités. Une réaction à l’échec du Parti démocrate à renverser la balance électorale sur le seul terrain du droit à l’avortement, qui est pourtant lié non seulement au fait que les travailleurs subissent la crise économique mais aussi à celui que les démocrates ont refusé de se mobiliser contre la Cour suprême et ont laissé passer 50 ans sans codifier Roe v. Wade.

Pour dépasser cette crise, le Parti démocrate veut opérer démagogiquement un tournant vers les revendications économiques immédiates de la classe ouvrière tournant, tout en étant d’accord avec le plan de la Fed pour faire payer la crise aux travailleurs. En outre, mettre sous le tapis le slogan central de BLM (« Defund the Police »), trahi dans des dizaines d’États par les administrations démocrates, est certainement pour Obama un moyen d’éviter que ls aspects les plus subversifs de BLM ne contaminent la classe ouvrière.

Qu’ont en commun Barack Obama et la revue Jacobin ?

Face à ce discours que développe Barack Obama pour sauver l’establishment démocrate, l’idéologie développée par Jacobin est inutile. En effet, celle-ci en partage beaucoup d’aspects. Cela s’exprime par la façon dont Obama et Jacobin ont présenté Fetterman, de différentes manières, comme un exemple positif du type de campagne que doit mener le Parti Démocrate spécifiquement dans les États avec une forte base trumpiste.

Il faut rappeler que c’est Bernie Sanders qui a, comme Trump mais depuis la gauche, remis au centre la classe ouvrière dans les compétitions électorales. Depuis sa campagne lors des primaires démocrates en 2014, le sénateur du Vermont a fait de la classe ouvrière et de ses revendications les plus sincères le cœur de son discours.

« 15 dollars de l’heure ! Medicare pour tous ! Taxez les riches ! » Ces revendications sont rapidement devenues populaires, d’abord parmi les jeunes, puis dans les secteurs de masse. Une décision liée au fait que la classe ouvrière montrait déjà des signes de recomposition subjective en 2016, avec des exemples significatifs comme la grève de Verizon la même année, qui a été extrêmement populaire dans la population, du moins dans les grandes villes. Bernie Sanders est apparu comme le seul politicien qui non seulement s’est prononcé en faveur de la classe ouvrière mais a également soutenu les luttes.

À l’époque déjà, Sanders avait clairement indiqué que, pour lui, la clé de la politique américaine consistait à s’adresser à la classe ouvrière et à faire en sorte que la démocratie américaine tende à nouveau la main aux travailleurs. Cela signifiait qu’il fallait avant tout affronter les super-riches et éviter de parler des questions qui divisent la classe ouvrière et qui ne sont pas une priorité pour l’augmentation du niveau de vie de tous les travailleurs, quelle que soit leur identité. Il est parti d’une réalité, à savoir qu’il ne peut y avoir d’égalité raciale ou de genre sans changement des conditions de vie de l’ensemble de la classe ouvrière.

La revue Jacobin, ainsi que la direction du Democratic Socialists of America (DSA) ont construit leur projet politique en dialogue avec le sanderisme, en espérant qu’un parti indépendant pourrait émerger de l’aile progressiste du parti démocrate ou que la pression et le renforcement de l’aile progressiste pourraient changer l’orientation du parti. Ces idées ont rapidement fait écho à cette politique et Jacobin comme DSA ont consacré une grande partie de leur arsenal théorique à la justifier.

Dans le contexte actuel des élections de mi-mandat, la radicalisation de cette politique a conduit les rédacteurs de Jacobin à apporter un soutien tacite à des candidats comme John Fetterman en Pennsylvanie, comme l’exprime Branko Marcetic :

« Il y a beaucoup de choses que l’on peut critiquer chez Fetterman. En plus de son volte-face concernant le fracking, il a été hésitant sur les soins de santé à payeur unique, et il a adopté une position centriste et lâche sur Israël et la Palestine. Si les électeurs décident, après avoir comparé ces points aux politiques ploutocratiques de son adversaire et à son passé malhonnête, qu’ils ne peuvent toujours pas voter pour Fetterman, ils ont tout à fait le droit de prendre cette décision. Mais l’obsession des médias pour le handicap d’un homme ne devrait pas décider de cette élection, en particulier lorsque la presse a clairement montré qu’elle ne se souciait pas de la déficience cognitive dans tous les autres cas. »

Suivant la logique de cette déclaration, on divise les mots d’ordre d’opposition aux oppressions dites « politiques » et les mots d’ordre économiques. C’est avec cette logique que Jacobin appuie électoralement les candidats démocrates d’un État impérialiste et ferment les yeux sur la « politique extérieure » du sanderisme sur des questions comme la Palestine, l’Ukraine ou la Chine. Cette opération politique pourrait positionner un secteur de la direction de DSA dans le giron d’un chauvinisme moins sophistiqué et adapté à son gouvernement impérialiste.

Mais ce n’est pas le seul problème de cette façon de penser. Cette logique politique, assumée de différentes façons par Obama, Sanders et Jacobin, va à l’encontre des changements de pensée plus profonds qui ont lieu dans la classe ouvrière américaine incarnée par la Génération U. Car la Génération U n’est rien d’autre que le produit du mouvement Black Lives Matter et de la Pandémie du Covid-19.

Il faut un parti de la classe ouvrière avec un programme socialiste

La génération U regroupe un ensemble de jeunes, pluriethniques, issus des classes moyennes appauvrie ou de familles ouvrières blanches, noires ou immigrées. Ils sont étudiants, travailleurs ou les deux dans de nombreux cas.

Certains ont été politisés par BLM. Certains ont été politisés par la pandémie, lorsque les premiers signes de mécontentement ont commencé à apparaître dans les entrepôts d’Amazon, lorsque le nombre de morts est monté en flèche et que la classe ouvrière était en première ligne. Certains se sont politisés parce qu’ils souffrent de discrimination en tant que personnes trans, queer ou non binaires. Certains s’organisent avec la DSA, et de là, ils déménagent à des kilomètres parce qu’ils veulent aller chez Amazon pour organiser un syndicat. D’autres s’organisent sur leur lieu de travail, dans les cafés Starbucks, et organisent des grèves pour les droits de leurs camarades trans ou musulmans. Beaucoup ont de la sympathie pour Sanders mais une profonde méfiance à l’égard du parti démocrate.

Mais ce qui est peut-être le plus subversif, c’est qu’ils ne veulent pas séparer les demandes contre l’oppression des demandes d’amélioration de leurs conditions de travail, ils veulent le pain mais aussi les roses ! C’est pourquoi, sur les piquets de grève, ils scandent « Le droit à l’avortement est un droit du travail ! ». C’est pourquoi lors des manifestations contre l’abrogation de Roe v. Wade, on croise les travailleurs d’Amazon, de Chipotle, de Starbucks, etc.

DSA et toutes les organisations de gauche aux États-Unis, en particulier celles qui réfléchissent sincèrement à comment construire une organisation indépendante de la classe ouvrière, doivent se poser la question suivante : allons-nous exiger moins que la Génération U ? Allons-nous nous adapter à l’agenda réformiste de l’aile progressiste du Parti démocrate ? Ou allons-nous profiter de la soif de réforme de la classe ouvrière pour encourager la lutte des classes et construire des institutions indépendantes de travailleurs et de jeunes, pas seulement des syndicats mais même notre propre parti ?

Une voie pour la gauche, une voie pour la génération U

Si la lutte des classes se développe et qu’il y a une activité de la classe ouvrière et des opprimés dans la période à venir, comme l’annonce le développement de la crise économique et politique, nous avons en tant que socialistes révolutionnaires une grande opportunité de mettre en avant une alternative politique pour la Génération U, qui puisse s’élargir à l’ensemble de la classe ouvrière.

Le Parti républicain et le Parti démocrate ont tous deux leur propre politique à l’égard de la classe ouvrière. La politique du Parti républicain est d’exploiter la colère et la frustration de millions de travailleurs pour l’orienter vers un programme chauvin et réactionnaire. La politique du Parti démocrate est d’éviter sa radicalisation par des concessions partielles, la cooptation par la bureaucratie syndicale et les mouvements sociaux et la répression. Les concessions partielles que le Parti démocrate peut faire sont également de plus en plus limitées face aux avancées de la droite, comme le montre le fait que Roe v. Wade n’a jamais été transformée en loi sous les administrations démocrates et que Biden n’a même pas fait passer le Pro Act, une loi -limitée- qui favorise les tentatives de syndicalisation.

La droite se radicalise et loin de séparer le « politique » de l’« économique », elle les unit en affirmant qu’il faut lutter contre l’inflation, impute la crise économique aux migrations qui accompagnent la mondialisation, propose une politique anti-chinoise forcenée afin que les travailleurs considèrent avec méfiance la classe ouvrière de ce pays, s’oppose à favoriser les « minorités raciales » comme le font les démocrates et veut cesser de reproduire l’« idéologie de la race ». Les socialistes ont pour défi de s’appuyer sur le secteur le plus avancé de la classe ouvrière, incarné par la Génération U, pour frapper l’aile droite et sa base avec une perspective indépendante.

Nous avons l’opportunité de dialoguer avec des dizaines de milliers de personnes avec un programme et un discours qui unifie la lutte pour les conditions de vie de la classe ouvrière et contre l’oppression, et qui unifie les rangs de la classe ouvrière américaine multiethnique et hétérogène, qui de la côte Est à la côte Ouest souffre de l’inflation, du racisme, du manque de droits démocratiques, du manque de droits du travail, des pratiques antisyndicales et de l’oppression de genre, en particulier sur le lieu de travail.
C’est la classe ouvrière unifiée qui peut lutter contre l’ « amazonification » des conditions de travail, qui s’appuie sur le racisme et les oppressions de genre pour maintenir la classe ouvrière dans son ensemble disciplinée.

Cette élection serait très différente s’il y avait aujourd’hui des candidats socialistes capables de s’adresser avec autorité à la classe ouvrière, indépendamment du parti démocrate, des travailleurs et des dirigeants de mouvements sociaux, des organisateurs de communautés et de lieux de travail qui agiteraient une politique pour une sortie différente de la crise de la mondialisation néolibérale. Des candidats socialistes, ouvriers et opprimés comme les militants d’Amazon et de Starbucks, qui ne placent pas les intérêts de la classe ouvrière américaine au-dessus des intérêts de la classe ouvrière internationale, comme Marx et Engels nous l’ont appris.

Comme Kim Moody, Joe Burns et d’autres intellectuels, comme de nombreux camarades du DSA, comme les organisations rattachées à la revue Tempest et les organisations trotskystes comme Socialist Alternative l’ont affirmé, il faut construire un parti de la classe ouvrière. Pour nous, ce parti de la classe ouvrière doit lutter sans relâche pour arracher la conscience d’une classe ouvrière puissante des griffes des Partis républicains et démocrates. Nous devons construire une organisation qui militera pour une plateforme qui, loin de fragmenter nos luttes, les unifie sur le plan politique et organisationnel, et adopte une perspective qui ne consiste pas à perfectionner cette démocratie pour milliardaires basée sur la Cour suprême, le Sénat et le Collège électoral, mais à affronter les deux partis du capital, l’ultra-droite organisée et les patrons.

Pour nous, il s’agit de construire un parti qui libère la créativité et les capacités d’organisation du mouvement ouvrier, en indépendance de l’État capitaliste, et qui transforme l’énergie et la combativité des mouvements sociaux luttant pour les droits reproductifs et la vie des Noirs en un grand tsunami contre le régime des deux partis du capital impérialiste. Mais un tel parti ne peut exister dans la compromission et main dans la main avec les exploiteurs et les oppresseurs.


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