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Palestine

Les effets collatéraux de l’opération militaire israélienne

L’opération militaire lancée par l’Etat colonialiste d’Israël sur Gaza a eu des conséquences géopolitiques importantes pour la région et aura notamment eu pour effet d’accélérer la crise politique en Israël ainsi que le retour de la lutte palestinienne.

Claudia Cinatti

1er juin 2021

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Le 21 mai dernier, le cessez-le-feu décidé sous l’égide de l’Égypte (et piloté de manière peu discrète par les États-Unis) a mis fin à l’opération "Gardiens des murs", nom choisi par l’État d’Israël pour sa dernière attaque militaire sur la bande de Gaza. 11 jours de bombardements, 253 Palestiniens tués (dont 66 enfants), 2000 blessés. 74 bâtiments publics se sont effondrés, 1800 unités résidentielles ont été réduites en ruines et 14 300 ont été partiellement détruites. Des infrastructures endommagées, des familles décimées, des dizaines de milliers de réfugiés. En bref, un niveau de dévastation tel que pour le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, il pourrait être classé comme un crime de guerre. Du côté israélien, 13 personnes ont été tuées et environ 300 blessées. Bien que ces comparaisons soient excécrables, le contraste ne peut que trahir la tentative de l’État sioniste et des puissances occidentales de justifier les bombardements à travers le langage de la "légitime défense" et des "attaques terroristes" du Hamas. Ce n’est pas un aspect secondaire car imposer le "récit" fait aussi partie de la bataille.

Il ne s’agit pas seulement de connaître l’élément déclencheur immédiat (qui a commencé l’agression ?), même si, dans ce cas, l’élément déclencheur a clairement été une série de provocations contre la population palestinienne de Jérusalem. Il ne s’agit pas non plus d’y voir uniquement l’énorme supériorité militaire d’Israël, qui possède la quatrième armée du monde, l’arme nucléaire et un appareil militaire et sécuritaire directement financé par l’impérialisme américain. Il s’agit surtout de rappeler que l’État d’Israël est considéré, non seulement par ses détracteurs, mais même par les lois et conventions internationales, comme une puissance militaire d’occupation au sein des territoires palestiniens. Par analogie, parler de position "défensive" concernant les attaques de l’État d’Israël, reviendrait à affirmer que le régime d’apartheid en Afrique du Sud avait eu un "droit légitime à se défendre" contre ceux qu’il opprimait.

En ce qui concerne la discussion sur la légitimité de la violence et de l’apartheid, les mots de Nelson Mandela s’avèrent très pertinents. Dès sa sortie de prison en 1990, lors de sa première entrevue avec le président américain George Bush (père), Mandela lui a rappelé que "ce sont les oppresseurs qui déterminent les méthodes d’action politique utilisées par les opprimés". Et les "méthodes" de l’État d’Israël sont sans équivoque. Au cours des 15 dernières années, c’est-à-dire depuis qu’Israël s’est officiellement retiré de la bande de Gaza et que celle-ci est passée sous le contrôle du Hamas, l’armée israélienne a lancé cinq attaques militaires majeures : "Pluie d’été" (2006) ; "Hiver chaud" (2008) ; "Plomb durci" (2009) au cours duquel 1300 Palestiniens ont été tués ; "Pilier défensif" (2012) ; "Bordure protectrice" (2014) qui a été la plus meurtrière avec environ 2300 Palestiniens tués. Tout indique que la sixième - "Gardien des Murs" - ne sera pas la dernière car elle s’inscrit dans la logique structurelle de l’oppression coloniale exercée par l’État d’Israël.

Il est trop tôt pour tirer une bilan définitif de l’opération militaire israélienne. Nous en sommes encore à un moment où Israël et le Hamas revendiquent tous deux la victoire sans qu’aucune mesure objective ne vienne la justifier. Cependant, ses conséquences commencent déjà à se manifester dans le champ géopolitique ; dans la crise politique en Israël et dans les divisions au sein du camp palestinien. Mais surtout dans la lutte des classes, avec la résurgence de la lutte nationale palestinienne.

La dimension géopolitique

Du point de vue de la dynamique géopolitique dans la région, les conséquences visibles de l’escalade militaire israélienne et ses résultats sont d’abord la remise en cause objective des " Accords d’Abraham " promus par Trump pour constituer un axe anti-iranien et " normaliser " les relations de l’État d’Israël avec les pays arabes sans la moindre remise en cause de l’oppression nationale palestinienne. Et deuxièmement, le renforcement, au moins circonstanciel, de l’Égypte et du Qatar grâce au rôle qu’ils ont joué en tant que "sponsors" du Hamas dans les négociations du cessez-le-feu. Ces derniers chercheront ainsi à profiter de ce moment favorable pour améliorer leurs relations avec l’administration démocrate (le président égyptien Al Sisi était le "dictateur préféré" de Trump) et se repositionner dans l’équilibre régional des forces.

En effet, la politique du président Biden consiste à reprendre l’accord nucléaire avec l’Iran et à freiner les conflits régionaux afin de diminuer l’exposition des États-Unis et protéger les ressources - humaines, militaires, diplomatiques et matérielles - que l’impérialisme investit dans la région afin de se concentrer sur la concurrence avec la Chine.

Dans le cadre de cette politique, Washington a cherché à dépoussiérer la vieille formule des "deux États" comme solution au conflit palestino-israélien. Une solution qui était complètement tombée en désuétude sous la présidence de Donald Trump et l’avancée des plans de colonisation et d’annexion des territoires palestiniens sous les gouvernements d’extrême droite de Benjamin Netanyahu.

Telle est la stratégie que le secrétaire d’État Antony Blinken a déployée lors de sa récente tournée au Moyen-Orient immédiatement après la signature du cessez-le-feu. Lors de sa rencontre avec Netanyahu, Blinken a réaffirmé l’alliance stratégique avec Israël et l’engagement de l’impérialisme américain envers son principal allié. Mais il a également eu des gestes amicaux envers l’ancienne direction palestinienne collaborationniste. Il a rencontré le président de l’Autorité nationale palestinienne, Mahmoud Abbas, à qui Trump ne répondait même pas au téléphone. Blinken a ainsi promis des millions de dollars pour la reconstruction de Gaza et a annoncé la réouverture du consulat américain à Jérusalem-Est (la partie arabe de la ville) par lequel les États-Unis géraient leurs relations avec les autorités palestiniennes et qui avait été fermé par Trump en 2018 lorsqu’il a déplacé l’ambassade américaine à Jérusalem.

La continuité de Netanyahu à la tête de l’État sioniste est donc de plus en plus en plus dysfonctionnel à cette politique de "pacification" avec laquelle les États-Unis entendent gérer le conflit. Et notamment avec le clivage qui s’est créé avec l’aile progressiste du parti démocrate qui remet en cause le soutien du gouvernement de Biden à Netanyahu. Ce n’est donc pas une coïncidence si, après la tournée de Blinken, une unité d’opposition s’est formée en Israël pour le déloger du pouvoir. A la suite de la publication originale de cet article, le leader de l’extrême droite Naftali Benett annonçait la mise en place d’une coalition pour remplacer Netanyahou.

Le début de la fin pour Netanyahu ?

 
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a affirmé avoir affaibli la capacité militaire du Hamas et, en particulier, avoir endommagé qualitativement le réseau de tunnels (le "métro" de Gaza) utilisé à des fins défensives et militaires. En plus d’avoir assassiné certains dirigeants politiques et militaires du Hamas et du Jihad islamique (l’autre organisation politico-militaire opérant dans la bande de Gaza). Cependant, ces triomphes tactiques revendiqués par Nétanyahu, non seulement ne mènent pas à une victoire stratégique qui impliquerait de "résoudre" le problème palestinien, mais ne semblent pas non plus avoir été suffisants pour garantir sa survie au poste de premier ministre, un objectif à peine déguisé de l’escalade militaire. En effet "Bibi" espère bien s’accrocher au pouvoir, car s’il venait à être déchu de ses privilèges, il pourrait bien se retrouver en prison pour corruption.
 
La politique israélienne est en pleine effervescence. Au moment où cet article est publié, une très large coalition anti-Netanyahu était sur le point d’annoncer la formation du "gouvernement du changement", basé sur l’alliance de Naftali Bennett (extrême-droite) et de Yair Lapid (centre-droit), qui exerceraient leurs fonctions par rotation pendant deux ans chacun.
 
Cette majorité parlementaire "fourre-tout" réunirait dans un même gouvernement les partis d’extrême droite comme celui de N. Bennett, qui promeut l’annexion à Israël des colonies de peuplement dans les territoires occupés, les partis du "centre" comme celui de Y. Lapid et le « Bleu et Blanc » de Benny Gantz, actuel ministre de la défense et fervent opposant à Netanyahu, ainsi que les partis de centre-gauche du spectre sioniste, le parti travailliste et le Meretz (historiquement identifié à la gauche sioniste pacifiste). Cette majorité aurait également le soutien du bloc arabe qui soutiendrait le gouvernement mais en restant en dehors de la coalition.
 
Si elle se concrétise, la sortie de Netanyahu dévoilerait les contradictions de l’opération "Gardien des murs" pour l’État d’Israël sur au moins deux aspects : l’un géopolitique, auquel nous avons fait référence précédemment. Et l’autre, interne, qui a trait au fait d’avoir réuni, de manière sans précédent depuis des dizaines d’années, les Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie et d’Israël.
 

Le nouvel élan de la lutte palestinienne

 
Mais il y a eu un effet collatéral largement moins souhaité tant par Netanyahu et que par les différentes fractions de la direction palestinienne, que ce soit dans sa version nationaliste bourgeoise de l’ANP en déclin en raison de sa collaboration avec Israël et les États-Unis, ou dans sa version islamiste du Hamas. Et cet effet collatéral est bien la résurgence de la résistance des masses palestiniennes.
 
L’attaque de l’État sioniste contre les Palestiniens vivant en territoire israélien a porté le conflit au cœur même de l’État d’Israël, effaçant les "lignes vertes" qui ont divisé le peuple palestinien entre ceux qui survivent à Gaza (sous le contrôle de fer du Hamas), ceux qui vivent dans les ghettos de Cisjordanie (sous le contrôle policier d’Israël et de l’Autorité palestinienne) et les "Arabes israéliens" qui vivent comme des citoyens de seconde zone dans l’État d’Israël.
 
Cette résurgence de la lutte palestinienne s’est exprimée sous de multiples formes : affrontements avec la police à Jérusalem-Est, mobilisations de masse en Cisjordanie et résistance à Gaza contre les bombardements. Le point culminant de l’unité entre palestinien, qui n’avait pas été observée depuis la première Intifada, a été la grève générale du 18 mai, une action de masse qui a été fortement ressentie dans les secteurs de l’économie israélienne tels que la construction, qui emploient une main-d’œuvre palestinienne bon marché. L’un des principaux moteurs de cette résistance renouvelée est bien la jeunesse, dont une nouvelle génération qui ne croit plus à la supercherie des "deux États" et qui n’accepte pas non plus la stratégie confessionnelle réactionnaire ou le contrôle exercé par des directions comme celle du Hamas.
 
Cette jeunesse tend aujourd’hui à converger avec les secteurs encore minoritaires des communautés d’origine juive qui s’opposent à la politique coloniale de l’État sioniste. Cette convergence peut être observée dans les actions communes de moindre envergure mais symptomatiquement significatives dans l’État d’Israël, dans les mobilisations de masse à Londres, Paris, aux États-Unis et dans le monde arabe en solidarité avec le peuple palestinien et contre les crimes de l’État sioniste, et dans les campagnes telles que le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS) ou les campagnes pour un État unique, démocratique et non raciste. Ce processus, encore embryonnaire, a une profonde signification politique, car s’il se développe, il peut être la base d’une solution révolutionnaire à l’oppression coloniale de l’État d’Israël et de l’impérialisme, c’est-à-dire la lutte pour une Palestine ouvrière et socialiste où Arabes et Juifs vivent ensemble et pour une fédération socialiste au Moyen-Orient.


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Claudia Cinatti

Dirigeante du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS) d’Argentine, membre du comité de rédaction de la revue Estrategia internacional, écrit également pour les rubriques internationales de La Izquierda Diario et Ideas de Izquierda.

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