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Allemagne

« Les Verts ont permis l’expulsion de la ZAD de Lützerath » : interview d’un militant allemand

Nous publions un entretien réalisé avec un militant allemand, membre de l'organisation RIO, ayant couvert la mobilisation contre l'expulsion de la ZAD de Lützerath en Allemagne. Il revient sur les enjeux de la mobilisation, l'ampleur de la répression et la complicité du parti des Verts dans celle-ci.

28 janvier 2023

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Mercredi 11 janvier, le gouvernement Allemand lançait une opération d’expulsion et de répression d’ampleur contre la ZAD de Lützerath. Cette occupation, qui dure depuis plus de deux ans, a pour objectif d’empêcher la destruction d’un petit village et de ses environs pour en faire un site d’extraction de charbon au bénéfice du géant de l’énergie RWE. Nous nous sommes entretenus avec un militant de RIO, l’organisation-sœur de Révolution Permanente en Allemagne, qui était sur place.

RP : Est-ce que tu peux présenter le projet contre lequel les militants écologistes se mobilisent à Lützerath, et donner une idée de l’ampleur de la mobilisation ?

Correspondant Allemagne : Depuis deux ans, des centaines d’activistes occupent la petite localité de Lützerath, en bordure de l’exploitation de lignite à ciel ouvert de Garzweiler en Rhénanie. L’objectif est d’empêcher l’entreprise énergétique RWE d’extraire encore plus de charbon contre la volonté de la population et pour ses profits. Pour cela, le collectif d’organisations « Lützerath unräumbar » (Lützerath inamovible) s’est formé.

C’est un front très large composé de différentes organisations et collectifs, dont les organisations pour la sortie des énergies fossiles ausgeco2hlt, End Fossil : Occupy, les mouvements de désobéissance civile Kohle ersetzen, Letzte Generation (branche de dernière rénovation en Allemagne), Fridays For Future, Extinction Rebellion, Scientist Rebellion, ou encore Zucker im Tank. Il y a également le groupe autonome Ums Ganze !, et la Gauche Interventionniste, des organisations d’opposition aux expulsions dont Alle Dörfer Bleiben (Tous les villages restent) et la campagne RWE & Co. enteignen, qui vise à exproprier RWE et toutes les entreprises énergétiques.

Dans le cadre de l’expulsion annoncée, ce front large a appelé à plusieurs journées d’action et manifestations, qui ont réuni entre 35 000 et 50 000 personnes à Lützerath le 14 janvier, selon les médias.

RP : Quels sont les dommages environnementaux que menace d’entraîner le projet ?

Correspondant Allemagne : Pour les personnes et les animaux vivant à proximité de la mine à ciel ouvert, la pollution locale par l’extraction, les particules fines, la lumière et le bruit sera importante.

Mais le problème le plus important est la combustion du charbon dans les centrales électriques. Selon les experts scientifiques, la transformation du charbon en électricité sous Lützerath et les émissions de CO2 qui en résulteront rendront impossible le respect de l’objectif de l’accord de Paris sur le climat. Lors du congrès de l’ONU en 2015, l’Allemagne s’était pourtant engagée, aux côtés de nombreux autres pays, à prendre des mesures pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré …

Selon une étude de l’Institut allemand de recherche économique (DIW), le charbon n’est pas nécessaire pour assurer l’approvisionnement en énergie, contrairement à ce qu’affirment de nombreux hommes et femmes politiques (en particulier le ministre fédéral de l’Économie et de la Protection du climat, Robert Habeck, du parti Die Grünen) et RWE qui cherche à préserver ses profits.

RP : Justement, est-ce que tu peux revenir sur la responsabilité du parti des Verts (Die Grünen, qui siègent au côté d’EELV dans le groupe Les Verts/ALE au parlement Européen) ?

Correspondant Allemagne : La fin de la production d’énergie à partir de combustibles fossiles, initialement décidée pour 2038, a été avancée au cours de l’automne 2022 à 2030. L’année précédente, RWE s’était procuré à des prix très avantageux des quotas d’émissions de CO2.

Le groupe peut désormais profiter doublement de l’augmentation des prix de l’énergie et des quotas, ce qui lui permet de développer l’extraction de charbon à des rythmes encore plus soutenus. M. Habeck, dont j’ai parlé précédemment, a parlé d’un « bon jour pour la protection du climat » lors de la signature d’un « compromis », permis par les Verts, qui autorise RWE à exploiter le grand gisement de charbon sous Lützerath. C’est presenté comme un compromis car selon leur communication, ils sacrifient Lützerath afin d’épargner de la destruction cinq autres villages, menacés eux aussi de devenir des mines à ciel ouvert. Des villages dont les habitants ont été chassés de leurs maisons depuis longtemps …

Parallèlement, le parti a tenté d’instrumentaliser les manifestations, et s’est rangé en apparence du côté des militants et du mouvement pour la justice climatique. Mais ce ne sont que des apparences : avec le chef de la police de la ville d’Aix-la-Chapelle (membre du parti des Verts), un autre membre est directement responsable de l’organisation et de la gestion de l’expulsion de Lützerath ! Et certaines têtes pensantes du parti se sont laissées transférer à des postes politiques grassement payés, où elles votent désormais contre les intérêts des activistes et pour ceux des entreprises

RP : Quelle a été l’ampleur de cette répression que tu évoques ?

Correspondant Allemagne : Contrairement à la communication des commandants de la police, à savoir que l’évacuation serait menée de la manière la plus réfléchie possible, en garantissant par exemple l’approvisionnement en nourriture, les sit-ins ont été brisés en utilisant une violence extrême et la cuisine du camp a été détruite en premier.

Lors des protestations contre l’expulsion, les forces de l’ordre ont agi avec brutalité : elles ont frappé les manifestants avec des matraques à hauteur du visage et beaucoup ont dû être soignés pour de graves blessures à la tête.

Parallèlement, les ambulanciers et les journalistes se sont vu refuser l’accès au camp, ce qui a empêché le traitement des blessés et constitue une atteinte à la liberté de la presse. Les militants et les manifestants ont été battus sans ménagement par la police. Outre les matraques, ils ont utilisé des chiens, des gaz lacrymogènes et des canons à eau. Des escadrons de cavaliers ont foncé dans la foule, mettant en danger la vie des manifestants et des animaux.

RP : Comment intervenez-vous avec RIO (l’organisation-soeur de RP en Allemagne) ? Y a-t-il une campagne de solidarité dans les universités ? Ou y a-t-il même des relations avec des secteurs ouvriers à ce sujet ?

Correspondant Allemagne : Le mouvement est certes anticapitaliste, mais en grande partie autonome/anarchiste. Ainsi, l’accent est mis sur les actions directes, et les liens avec les syndicats ne sont pas mis au centre de la bataille pour l’instant. On travaille dans ce sens car avec des manifestations, des grèves et des blocages, les travailleurs ont le potentiel de peser très fort dans ce bras de fer contre les entreprises et le gouvernement.

En revanche, nous avons reçu plusieurs témoignages de solidarité de la part de syndicats, notamment du jeune syndicat de l’éducation et des sciences (GEW), ainsi que du Réseau pour des Syndicats Combatifs. Ces dernières semaines, nous avons pu observer et rendre compte de quelques occupations dans différentes universités allemandes. Celles-ci revendiquaient la fin de la collaboration avec des entreprises fossiles comme Shell, BP et Total, l’expropriation et la socialisation du secteur de l’énergie, la transparence sur les relations entre les universités et les entreprises, ainsi que des cours obligatoires pour les employés de l’enseignement supérieur sur des thèmes comme l’antiracisme et l’anticolonialisme.

Dans notre suivi de la situation sur place, notre journal Klasse Gegen Klasse se solidarise avec les activistes du mouvement climat contre toute répression étatique et appelle à relier entre eux les différents mouvements sociaux et leurs luttes, car ce n’est que unis, et en s’appuyant sur la force de blocage des travailleurs que nous pourrons vaincre ce système malade.

Nous devons essayer de protéger la jeunesse, qui compose en grande partie le mouvement climat, des risques de démoralisation si les efforts de défense des gisements de charbon ne sont pas couronnés de succès. C’est pour cela que nous défendons l’importance de l’alliance de la radicalité des militants écologistes avec les secteurs stratégiques du monde du travail, seuls capables de mettre un coup d’arrêt aux projets écocides. Nous utilisons pour ça notre journal et manifestons notre solidarité et notre soutien depuis des secteurs du monde du travail avec lesquels nous avons constitué des liens dans des luttes précédentes, comme par exemple la lutte pour le maintien de la maternité de Munich-Neuperlach et des luttes d’employés du service public.


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