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Élections européennes

Les Européennes vues d’Allemagne : une « élection fatidique » ?

Les médias allemands présentent l’élection du Parlement européen comme une « élection fatidique » (Schicksalswahl). Quels sont véritablement les enjeux pour l’impérialisme allemand ? De quelles options disposent les travailleuses et les travailleurs, les femmes, les jeunes et les migrant·e·s ?

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Dans le cadre des élections européennes, Révolution Permanente publiera une série d’articles sur les enjeux politiques au niveau national dans plusieurs pays. Ci-dessous nous publions l’article que Stefan Schneider de Klasse Gegen Klasse, qui fait partie du même réseau international que notre quotidien, a écrit sur les enjeux de l’élection en Allemagne

La crise ouverte par le Brexit, l’influence acquise par des partis d’extrême droite anti-Europe et le mécontentement croissant de nombreux secteurs de la population de plusieurs pays européens sont autant de nombreuses et solides raisons pour que les élections européennes de cette année constituent une véritable épreuve de force pour le futur de l’Europe.

Cependant, traditionnellement, les élections européennes représentent une tragédie en termes de participation électorale. Seuls 48 % des inscrits allemands ont voté aux dernières élections européennes, en 2014 (alors qu’ils étaient 76% à voter pour les élections nationales du parlement allemand). Cette faible participation n’est pas anodine : le Parlement européen a bien moins de pouvoir que les parlements nationaux et, surtout, que la Commission européenne, institution anti-démocratique par excellence dont la composition est déterminée par les différents gouvernements des États membres.

À première vue, il semble donc contradictoire que les journaux, les programmes de télévision, etc, de toute l’Allemagne nomment ces élections, « élections fatidiques » et que la date du vote, le 26 mai, soit appelée « jour décisif ».

Le discours autour de ces « élections fatidiques » s’appuie en grande partie sur le tournant à droite que connaît l’Europe, qui s’exprime sous une forme ou une autre dans presque tous les pays européens par la montée de partis d’extrême-droite, et dans des pays comme la Hongrie, l’Italie ou l’Autriche par leur entrée dans les gouvernements nationaux. Les partis du bloc impérialiste européen – notamment, en Allemagne, l’Union Chrétienne d’Angela Merkel et le parti social-démocrate SPD, mais également les Verts et les libéraux du FDP – mettent en garde contre la prolifération des partis d’ultra-droite au parlement européen, et qui pourrait se manifester par une insignifiance encore plus grande du parlement européen.

Cependant, le plus important pour l’Union Européenne, ce sont les postes au sein de la Commission, qui sont attribués par les gouvernements nationaux et ne dépendent donc pas des élections du 26 mai. Il ne fait aucun doute que les gouvernements de droite de ces pays nommeront leurs élus en conséquence.

Ainsi, l’idée d’une « élection fatidique » n’est-elle que de la poudre dans les yeux ?
Absolument pas, mais ce qui est en jeu – malgré la crise qui dure depuis des années – n’est pour l’instant pas l’Union Européenne, même si le renforcement des partis d’extrême droite contre l’Europe représentent des obstacles sans cesse plus importants pour l’impérialisme allemand et pour son hégémonie dans ce bloc impérialiste composé d’États européens. Ce qui est réellement en jeu est davantage la légitimité générale des gouvernements nationaux respectifs, qui dans de nombreux domaines se confrontent à une profonde crise de représentation et où les élections européennes constituent une preuve de cette légitimité. Dans de nombreux endroits, il y a l’espérance que les partis néo-libéraux au pouvoir soient en quelque sorte punis lors de ces élections européennes.

C’est particulièrement vrai pour la France de Macron, qui se confronte à une colère sociale depuis des mois, notamment avec le mouvement des « gilets jaunes ». Mais la légitimité du gouvernement allemand est également de plus en plus remise en question. D’après les dernières enquêtes, la « Grande Coalition » de l’Union Chrétienne et du SPD n’arrive qu’à 48 % des intentions de votes aux élections européennes contre 62 % en 2014 (53 % aux élections nationales de 2017 étant le pire score obtenu par ces deux partis traditionnels jusqu’à aujourd’hui).

Si l’on ajoute à ces sondages la forte abstention prévue, cela pourrait être un réel coup dur pour le gouvernement. Le résultat de ces élections pourrait avoir des conséquences politiques internes importantes et saper encore plus la position du gouvernement allemand dans sa politique extérieure face aux autres États de l’Union Européenne.

Dans les débats au sujet de ces élections, cette crise de légitimité se présente comme si un vote pour les partis gouvernementaux représentait un vote « pour » l’Europe, comme si les élections étaient « pour » ou « contre » l’Europe. Mais ce n’est pas aussi simple, la question n’est pas simplement de défendre l’Europe face au nationalisme.

Effectivement, l’AFD – et ses équivalences dans les autres pays – essayent d’approfondir la crise gouvernementale sur la base du rejet de l’Union Européenne et d’un contre-projet ultra-droitier et nationaliste. Dans les dernières élections allemandes, l’AFD a été la principale opposition à Merkel, avec 13% des votes et cette formation est aujourd’hui le principal parti de l’opposition dans le parlement allemand. Cependant il a perdu du terrain depuis, et n’arrive aujourd’hui qu’aux alentours des 10 % des intentions de votes d’après les sondages.

Les élections européennes seront le premier test pour les prochaines élections régionales dans trois États d’Allemagne de l’Est – Brandebourg, Saxe et Thuringe – en automne prochain, en particulier pour l’Union de Merkel. Lors de ces élections, l’AFD sera la principale opposition à l’Union, avec entre 19 et 26 % des intentions de vote. Si ces résultats des sondages se confirment lors des élections régionales – ou si l’AFD devient le parti le plus important, ce qui est une possibilité réelle, surtout en Saxe – ce serait un réel coup pour la Grande Coalition, et notamment pour Angela Merkel. Depuis sa démission du poste de chef du parti et la préparation de sa successeure, Annegret Kramp-Karrenbauer, au poste de chancelier, les résultats de l’Union dans les sondages ont recommencé à augmenter. Mais la crise du merkelisme perdure. De mauvais résultats électoraux aux Européennes pourraient ouvrir de nouvelles fissures improvisées ; voir naître une rébellion interne et une démission précoce d’Angela Merkel de son poste de chancelière sont des possibilités qui ne peuvent être totalement écartées.

Cependant ce serait une erreur de l’interpréter comme un scénario « pour » ou « contre » l’Europe. L’Union, le SPD, le FDP et les Verts sont « pour » l’Europe, mais une Europe du capital, et pas de n’importe quel capital. Une Europe au service du capital impérialiste allemand, comme nous le montre de manière impressionnante les consignes de vote de l’Union (« Pour le futur de l’Allemagne, notre Europe »). Si l’AFD oppose à cela un contre-projet nationaliste accentué, son projet reste profondément néo-libéral et anti-ouvrier.

De plus, la grande nouveauté de ces élections n’est pas la montée de l’extrême-droite, qui au moins en Allemagne a atteint une sorte de plafond de verre dans les sondages, mais l’ascension des Verts. Durant des mois ils ont atteint des niveaux à chaque fois plus élevés dans les sondages. Actuellement, ils sont au coude à coude avec le SPD, avec 19 % des intentions de vote pour le parlement européen et 20 % pour le parlement allemand. En effet les Verts sont en bonne voie pour se substituer au SPD comme deuxième plus grand parti du pays. D’autre part, le virage à droite opéré par cette organisation durant les dernières années la rend sans cesse plus attractive pour une coalition avec l’Union.

Un éventuel effondrement prématuré du gouvernement pourrait, dans la situation actuelle, principalement servir aux Verts, qui pourraient rejoindre une nouvelle coalition gouvernementale en tant que partenaire minoritaire de l’Union.

Deux raisons principales expliquent cette ascension. D’une part, les Verts se positionnent de plus en plus comme un parti de renouvellement bourgeois. Ils se dirigent de plus en plus vers la droite et sont parfois ouvertement racistes, mais surtout avec leur vision du « Green New Deal », ils offrent aux capitaux allemands un débouché stratégique pour préserver leurs profits. D’autre part, l’inquiétude croissante suscitée par les conséquences dramatiques du changement climatique – en particulier dans le contexte des manifestations de centaines de milliers d’étudiant·e·s lors des « vendredis pour le futur » (fridays for future) – a permis au parti d’émerger comme une alternative grâce à son image de « conscience environnementale ».

En particulier lors de la dernière grande mobilisation du « Vendredi pour futur » à Berlin en mars – et certainement plus encore le 24 mai, pour le prochain jour de grève internationale des « Vendredis pour le futur » en réponse aux élections européennes – il est devenu évident que les Verts et les ONG affiliées utilisent ces manifestations pour leur propre campagne électorale européenne.

Bien que le « Vendredi pour le futur » puisse être associé à davantage de critiques du système capitaliste et que des courants anticapitalistes se soient formés au sein du mouvement, ces mobilisations continueront à donner de l’élan aux Verts – ce qui pourrait amener le parti au gouvernement dans le futur. Cependant les Verts ne peuvent pas résoudre la catastrophe climatique et, bien entendu, l’Union Européenne non plus, qui à son échelle participe à la crise climatique.

Si les élections européennes sont un « choix fatidique », ce n’est pas parce qu’on vote « pour » ou « contre » l’Europe, mais parce qu’aujourd’hui, des millions de personnes de toute l’Europe sous différentes formes – Gilets jaunes, Vendredi pour l’avenir, manifestations de mal-logés, grèves massives – montrent que ce système – et cette Union Européenne – ne les représente plus. L’Union européenne ne peut résoudre la crise climatique, la crise sociale, la crise économique, etc. ; les mouvements de masse dans les rues le peuvent. Il ne s’agit pas d’un choix entre le « pour » ou le « contre » l’Europe, mais de quelle Europe nous voulons.

Malheureusement, les partis réformistes traditionnels comme le SPD et Die Linke n’offrent pas de réponse à cette question. Bien que Die Linke en particulier se concentre sur des questions sociales progressistes pendant sa campagne électorale, ils suscitent des illusions sur la réformabilité de l’UE et, en dernière instance, souhaitent uniquement remplir ce bloc d’États impérialistes avec un contenu plus social. Et bien que les combats au sein de Die Linke aient quelque peu diminué depuis le retrait de Sahra Wagenknecht, nous ne pouvons pas ignorer le fait qu’au côté de l’aile dirigeante européiste, Die Linke comporte une aile souverainiste Une aile qui défend l’idée d’un repli protectionniste autour d’un l’État providence. Mais l’Union européenne n’est pas réformable, et l’État providence national est une illusion.

Contre l’illusion d’un choix entre l’Union européenne et le nationalisme, l’unique alternative pour les travailleuses et travailleurs, les femmes, les jeunes et les immigré·e·s est de construire une force politique luttant pour une Europe totalement différente – une Europe socialiste qui ne serait pas dirigée par les patrons, mais où ce sont les travailleurs qui gouvernent de manière démocratique.

Article traduit par Tomas SanBordo


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