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96 heures de blocage dans les raffineries, les dépôts et les terminaux

"Le risque de pénurie d’essence, c’est la faute de Macron !" Emmanuel Lépine, CGT-Chimie

Il y a eu l’ultimatum, à la mi-décembre : une semaine donnée au gouvernement pour faire machine arrière sur la réforme, faute de quoi un seuil serait franchi dans le rapport de force. Face à la « trêve de Noël » demandée par certains, quatre fédérations de la CGT promettaient de radicaliser les actions. Parmi elles, celle de la Chimie, avec les raffineurs à sa tête. Chose promise, chose due.

6 janvier 2020

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Emmanuel Lépine est secrétaire général de la FNIC-CGT et revient, dans cette interview pour RévolutionPermanente.fr., sur l’appel au blocage de 96 heures des raffineries, des dépôts de carburants et des terminaux pétroliers, qui commence ce mardi.

Un agenda de lutte

On ne peut pas reprocher à la fédération de la Chimie de la CGT de ne pas avoir annoncé la couleur. « Disons que ça fait partie de nos traditions : on fait ce que l’on dit, et on dit ce que l’on fait, lance en souriant Emmanuel Lépine, à la tête de la Fédération Nationale des Industries Chimiques (FNIC-CGT), qui organise notamment les travailleurs et travailleuses des raffineries, mais aussi des terminaux pétroliers et des dépôts. Et puis c’est de bonne guerre : le gouvernement a son propre agenda, avec ses annonces, ses vœux et ses concertations. Et bien nous, on a le nôtre, et c’est un agenda de lutte. Et l’objectif annoncé, c’est le retrait de cette contre-réforme, que l’on compte bien obtenir, toutes et tous ensemble, avec les salariés de ce pays, et parmi eux les travailleurs et les travailleuses de la chimie qui sont dans l’action depuis le 5 décembre ».

Cette fois encore, toute la branche est au cœur de la bataille. Cela avait d’ailleurs déjà été le cas en 2010, contre la réforme Woerth-Sarkozy des retraites, ou contre la loi Travail de Hollande, en 2010. Là aussi, souligne Lépine, il y a une tradition de la Fédération de la Chimie : « Chez nous, il n’y a pas de décision d’en haut qui tombe, et à laquelle les syndicats doivent se conformer. Deux fois par semaine, on est en conférence, et l’ensemble des camarades peuvent suivre, au jour le jour, l’évolution du conflit, dans les raffineries, les dépôts, sur les terminaux. Quand on rentre dans la bagarre, c’est ensemble, dans une démarche de co-construction du rapport de force ».

Illégal, le blocage ?

Les propos de la secrétaire d’Etat à l’Economie, Agnès Pannier-Runacher, jugeant la grève des raffineurs non seulement « inacceptable » mais également « illégale », ne font pas rire Lépine, et quand bien même « elle ne semble pas connaître grand-chose au secteur » et au fonctionnement des raffineries. « Il y a deux choses, dans cette affaire, dit-il. D’abord, les produits qui sortent des raffineries, dans leur majorité, sortent par pipeline. Dire que les piquets empêcheraient les camions de passer, c’est un peu comme interdire les manifestations Place de la Concorde, à Paris, au prétexte que cela ferait entrave à la circulation des rames de métro… dans les tunnels souterrains. S’il y a blocage de la production, c’est parce que les camarades sont en grève. Si le gouvernement veut interdire les grèves, qu’il annonce clairement la couleur, et on saura à quoi s’en tenir. Dernier élément : en termes de "légalité", il faut savoir que les raffineurs ont été réquisitionnés, en 2010, sous Sarkozy, pour casser la grève. Par la suite, la France a été condamnée par l’Organisation Internationale du Travail (OIT), de Genève, pour atteinte à un droit fondamental, comme le droit de grève. A l’époque, la police a débarqué chez les collègues, à 6 heures du matin, pour aller les faire travailler de force. En termes de légalité, le gouvernement devrait donc réfléchir à deux fois à ce qu’il dit ».

Pénurie à la pompe. Un horizon probable

D’un côté, donc, il y a la numéro 2 de Bruno Lemaire qui affirme que les Français ne sauraient être privés de « leur accès légitime au carburant », et, de l’autre, Elisabeth Borne, ministre de l’Ecologie, qui se dit « très confiante, car il n’y a aucun problème d’approvisionnement », évoquant dans ses déclarations du 2 janvier que la France peut compter sur ses réserves stratégiques. Coup de bluff ? Coup de com’ ? Eléments de langage ? Qui faut-il croire ?

« C’est leur grande marotte, réplique Lépine. Et c’est de l’enfumage, à plusieurs titres. D’abord parce que la moitié des fameuses réserves stratégiques est constituée de pétrole brut. Avec des raffineries à l’arrêt, c’est compliqué de raffiner et de l’utiliser. Que je sache, ce n’est pas avec du brut qu’on remplit son réservoir. Ça réduit donc de moitié, à un mois et demi, c’est-à-dire six semaines, les réserves de carburant classique. Six semaines, c’est très peu, et les patrons ont déjà commencé à taper dans les réserves. Je rappelle que les raffineries sont dans la mobilisation depuis le 5 décembre, avec une marche dégradée. Alors, conclut Lépine sur ce point, je ne suis pas dans le secret du "confidentiel Défense", mais le risque de pénurie existe bien. Mais là encore, la cause première de cette pénurie, c’est la réforme des retraites que ce gouvernement s’entête à vouloir faire passer. Il faut démonter tout le discours des médias. La pénurie, notamment si tout le monde se rue sur les pompes, c’est la conséquence de grèves, qui elles-mêmes sont les conséquences du projet porté par Macron. Pas l’inverse ».

« Il n’y a rien à négocier ! »

Faut-il voir une contradiction entre franchir un palier dans la mobilisation, comme le promet l’Intersyndicale CFT-FO-FSU-Solidaires, avec l’appel à la mobilisation le 9 janvier et l’appel à manifester le 11, et le fait d’accepter de se rendre aux concertations que veut relancer Macron, dès aujourd’hui, mardi 7 janvier ? La direction de la CGT, comme celle de Solidaires, a accepté d’être reçue par Muriel Pénicaud. « On fait partie de ceux qui pensent que sans retrait, il n’y a rien à discuter, avec ces gens-là », souligne Lépine, très calmement, mais avec beaucoup de détermination. Et de rappeler la dernière consultation en interne, au sein de la centrale de Montreuil, pour savoir s’il fallait se rendre, ou pas, aux rendez-vous proposés par Philippe, pour réaffirmer le retrait. « Nous sommes nombreux, au sein de la confédération – et j’entends par là plusieurs fédérations de poids et des Unions Départementales – qui pensent qu’il ne faut pas aller à la concertation. Même pour dire qu’on ne veut pas de cette soi-disant réforme. On l’a déjà dit mille fois. Au moment de la consultation interne à la CGT, d’ailleurs, il y a eu une très courte majorité pour le "oui". Je ne suis pas sûr que si on reposait la question, aujourd’hui, il y aurait cette courte majorité de camarades pour dire qu’il faut aller rencontrer Pénicaud. Notre position, à nous comme à d’autres, et nous sommes loin d’être isolés, est assez simple, et je la répète : sans retrait, il n’y a rien à négocier. Le préalable au retour à une table de discussion, c’est le retrait, un point c’est tout ».

Pas seulement les retraites, pour un programme global pour l’ensemble du monde du travail

Lépine se dit confiant. « On va l’obtenir, ce recul. Mais c’est beaucoup plus, qui pourrait s’ouvrir. Il suffit d’écouter ce qui se discute en AG, les échanges qu’on peut avoir en manif. Ce pour quoi les grévistes se battent, c’est bien plus que contre cette réforme. La problématique s’élargit. En France il y a six millions de chômeurs et de chômeuses ; les salaires sont écrasés ; et la liste de tout ce qui ne va pas pourrait s’allonger. C’est tout ça qu’on pourrait mettre sur la table, et leur arracher ».

En attendant, les huit raffineries du pays, les dépôts et les terminaux pétroliers de Dunkerque, du Havre et de Marseille commencent à basculer dans le blocage complet. Pas une goutte de produit ne devrait sortir, dans les prochains jours. Et Macron a du souci à se faire. En attendant, dans le privé, les raffineurs montrent la voie à suivre pour faire plier, définitivement, l’exécutif.

Propos recueillis par JBT


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