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Deuxième round

Le 49.3 ouvre une brèche : on ne peut laisser les directions syndicales attendre le 31 mars

Après le passage en force du 49.3 et la mise en minorité des deux motions de censure à l’Assemblée, la victoire de la réforme des retraites pourrait paraître en bonne voie et la stature politique de Macron momentanément préservée. Mais un tel pronostic serait une erreur profonde d’analyse des nombreuses contradictions qui traversent la situation et pourraient ouvrir un autre scénario.

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Crédits photo : O Phil des Contrastes

Des contradictions qui n’ont d’issue que dans la rue et dans la grève

Ni les dizaines de milliers de manifestants qui se sont mobilisés à Paris et dans plusieurs villes de France pour continuer à exiger le retrait, malgré et contre le 49.3, ni les 60% de personnes interrogées lors d’un sondage du 3 mars qui continuent à être favorables au retrait, ne s’y sont trompés. La lutte contre la réforme des retraites est bien toujours d’actualité, et même plus que jamais.

Comme toujours, lorsqu’une période d’offensive du camp des travailleurs menace de se refermer, alors que rien n’est acquis, il faut cerner les contradictions, trouver les failles, creuser les brèches vers un regain de mobilisation. En l’occurrence, elles ne manquent pas.

Trouble et contradictions d’abord, au sein de la majorité LREM qui, pour la première fois, voit l’exécutif dans l’obligation de recourir au 49.3 pour faire passer une loi elle-même truffée de recours à des ordonnances. Ceinture et bretelles en quelque sorte pour un Macron qui n’est pas aussi sûr de lui qu’il voudrait le paraître mais qui fait surtout preuve d’un autoritarisme que ne laissait pas augurer une large majorité aux législatives. Une couleuvre difficile à avaler pour certains députés LREM (ou alliés), deux d’entre eux étant même allés jusqu’à quitter ouvertement le groupe de la République en Marche.

Fébrilité et impasse ensuite, dans les circuits institutionnels eux-mêmes, et notamment au sein de l’Assemblée Nationale où les affrontements se trouvent nécessairement cadrés par les institutions de la république bourgeoise, surtout lorsque majorité présidentielle et parlementaire se confondent. Cantonnés à des pratiques comme « l’obstruction » ou la motion de censure, les députés de « gauche » s’avèrent impuissants à trancher des oppositions qui relèvent désormais de la lutte des classes. Si la bagarre des amendements menée par Mélenchon et LFI peut être appréciée comme une expression formelle de résistance, elle ne peut, en réalité, être considérée que comme une tactique dilatoire qui n’aurait de sens que si elle était immédiatement accompagnée par un appel à la mobilisation dans la rue et par la grève. C’est ce que semble évoquer ce mercredi 4 mars Mélenchon lorsqu’il parle d’une « guérilla populaire et parlementaire » qui va se poursuivre…

Ambiguïté et volte-face enfin, au sein des directions syndicales elles-mêmes, qui hier criaient au retrait, le lendemain s’asseyaient à la table des négociations, puis faisaient mine de bouder, revenaient pour prendre place à la conférence de financement, puis la quitter, FO, puis la CGT ouvrant la marche… le tout émaillé de journées saute-mouton et d’appels formels au « retrait », sans jamais ouvrir la perspective de grève générale, tous secteurs confondus.

C’était pourtant la bouffée d’oxygène à laquelle aspiraient les agents de la RATP et les cheminots, asphyxiés par l’isolement et une longue lutte extrêmement coûteuse. Le clou de ces aveuglantes contradictions étant le maintien obstiné, malgré les nombreux foyers de résistance qui surgissent dans des secteurs clés et après le scandale du 49.3, d’un calendrier de mobilisation dont la prochaine échéance est prévue par l’intersyndicale pour le 31 mars. Libre aux initiatives locales de poursuivre leur action où et quand elles l’entendent. Une contradiction de taille que certains ne manqueraient pas de qualifier de traîtrise et qui suscite pas mal d’interrogations, voire de colère et d’indignation, à la base.

La trêve des municipales à laquelle ils aspirent ne doit pas avoir lieu

Pour assumer de telles contradictions, il faut que les enjeux soient forts, et ils le sont ; bien au-delà d’ailleurs de la réforme des retraites. Le départ du mouvement lancé par les agents de la RATP et de la SNCF, le 5 décembre dernier, est survenu exactement un an après l’explosion totalement imprévue du mouvement des Gilets Jaunes qui a fait trembler un moment Macron et lui a imposé son calendrier pendant des mois. Le relais pris depuis décembre par un mouvement ouvrier plus traditionnel mais marqué par la fréquentation et le partage d’un certain nombre d’expériences avec les Gilets Jaunes a relancé une phase offensive, encore plus redoutable pour le pouvoir dans la mesure où elle se nourrissait de la vapeur accumulée, tout en y ajoutant « l’arme des travailleurs », la grève.

De quoi creuser une distance entre les directions syndicales et « la base », entre le « dialogue social » et « la haine de classe » en train de prendre corps.. Malgré digues et canalisations, malgré les divisions sectorielles, malgré les trêves mortifères, malgré les journées sporadiques, le flot de la colère jaillit encore aujourd’hui partout où il peut le faire. En divers points, dans divers secteurs certains démarrent, d’autres reprennent. A l’annonce du 49.3, les manifs sont reparties. Alors, pourquoi attendre le 31 mars ? Pourquoi laisser s’installer un désert de plusieurs semaines avec pour seul temps fort le 8 mars, journée annuelle consacrée à la lutte des femmes et qui n’est pas à l’initiative des syndicats, et sans accorder le moindre intérêt à la journée du 14 mars proposée comme journée de forte mobilisation par les gilets jaunes ?

Ce qui est en jeu, bien entendu, c’est la mise en place, sans le dire, d’une trêve des municipales permettant d’opposer aux risques de la rue, des grèves, des blocages, le jeu classique des affrontements électoraux dont nombre d’organisations, y compris parfois au sein du mouvement ouvrier, se nourrissent politiquement. L’enjeu, c’est un retour à la « normale » et la possibilité de remettre en place un système institutionnel et un dialogue social bien huilés. Voilà pourquoi il ne faut pas attendre de l’intersyndicale qu’elle se saisisse spontanément de la colère réveillée par le 49.3 et du feu qui couve en mains endroits ; voilà pourquoi il faut s’organiser à la base et imposer aux directions d’engager, dès maintenant, le coup d’arrêt qui imposera à Macron de rengainer sa loi.

Utopie ou perspective ?

En cette période où le mouvement contre la réforme des retraites se trouve à un point de basculement, beaucoup d’inconnues demeurent, et notamment le contexte sanitaire particulier dans lequel se trouvent placés la population et le gouvernement. Bien sûr les préoccupations de santé générées par le coronavirus et une probable épidémie peuvent faire apparaître temporairement comme secondaires d’autres préoccupations, y compris celle des retraites. Mais loin d’être perçus de manière séparée ces problèmes peuvent au contraire se conjuguer pour mettre en évidence l’ampleur des menaces que font peser sur notre société les Macrons et leur monde.

Les liens ont d’ores et déjà été faits à plusieurs reprises et ont provoqué critiques, voire indignation. Comment ne pas juger extraordinaire qu’une Agnès Buzyn, « engagée à fond » en plein démarrage de la crise du coronavirus, quitte sa mission au ministère de la santé pour aller défendre les couleurs de LREM à la Mairie de Paris ? Comment ne pas trouver sidérant que Macron profite d’un conseil des ministres consacré à la gestion du risque d’épidémie de coronavirus pour annoncer le 49.3 sur la réforme des retraites ?
Il y a, par ailleurs, fort à parier que cet épisode sanitaire critique vienne renforcer toutes les revendications qui ont nourri le mouvement depuis le début décembre, qu’il s’agisse du domaine de la santé, des écoles, de l’université, des transports … en soulevant des questions aussi essentielles que celle des moyens ou des conditions d’exercice du métier, de la pénibilité et du droit de retrait.

Autant de raisons pour les multiples secteurs qui continuent à se mobiliser et à faire grève, de monter de plus belle au créneau. Autant de raisons pour les agents de la RATP ou de la SNCF, peu enclins à reprendre seuls la lutte, de repartir en bagarre. Autant de raisons pour tous ceux qui cherchent à construire des coordinations et de la convergence de mettre réellement en pratique une solidarité dans la lutte dépassant les faiblesses, les manquements, les divergences, les rancœurs. Autant de raisons aussi de se battre dans les structures syndicales pour mettre au pas les directions et leur imposer d’utiliser la puissance du mouvement ouvrier organisé et de décennies d’influence pour appeler à la mobilisation de tous les secteurs vers la grève générale.

Autant de raisons de continuer à se battre contre la loi, même si elle est promulguée, comme ce fut le cas lors de la mise en place du très impopulaire Contrat de Première Embauche (CPE) que de Villepin avait imposé en 2006 à coup de 49.3, avec une motion de censure minoritaire, et qui fut ensuite retiré sous la pression d’une puissante mobilisation.
Autant de raisons de ne rien lâcher.


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