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Retour sur une victoire

La mobilisation victorieuse du printemps 2006 contre le CPE

Le 16 et le 23 janvier 2006, Dominique de Villepin, alors premier ministre de Jacques Chirac annonçait et accélérait la procédure d’adoption du Contrat Première Embauche (CPE), article 8 de la loi « pour l’égalité des chances ». La contestation immédiatement suscitée par ces annonces se cristallise autour du CPE, réservé aux moins de 26 ans, qui prévoyait d’étendre la période d’essai préalable aux CDI à deux ans durant lesquels le patron aurait pu licencier sans motif. Néanmoins la contestation s’étend à l’ensemble de la "loi pour l’égalité des chances » dans laquelle le CPE s’inscrit et qui prévoyait en outre l'apprentissage dès 14 ans, la suppression des allocations familiales en cas d'absences répétées aux cours (dit « Contrat de responsabilité parentale ») et le travail de nuit dès 15 ans. La contestation, essentiellement étudiante et lycéenne mais également soutenue par les syndicats et partis politiques de l’opposition, embrase les milieux scolaires puis les entreprises privées et publiques durant les mois de février, mars et avril de l’année 2006. Le 10 avril, Villepin recule face à la force et à la détermination de la jeunesse et des travailleurs mobilisés. Dans ce contexte de lutte désordonnée contre la loi travail XXL que d’immenses masses de travailleurs et de jeunes aimeraient voir prendre le chemin du CPE, L’Etincelle propose de revenir sur cette mobilisation victorieuse pour essayer d’en comprendre les leçons.

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Une première déflagration au niveau de celles du printemps 2016 et de cette rentrée 2017

Dès la fin janvier, des collectifs anti-CPE se mettent en place et la contestation s’amorce. Elle prend racine le 7 février, jour de la première manifestation unitaire qui réunit près de 400 000 personnes. Dès les premières heures du mouvement, la mobilisation se dote de collectifs qui progressivement s’auto-organisent comme les rouages et les pilotes de la contestation et jouent un rôle déterminant dans la victoire. Le 18 février, les étudiants mobilisés de l’université de Rennes II lancent l’initiative d’une coordination nationale étudiante (CNE), organe temporaire dont le but était de doter la mobilisation de ses propres mots d’ordres et objectifs, sans en passer par la médiation des organisations permanentes, syndicats et partis politiques. La mobilisation s’ancre définitivement le 7 mars, soit un mois plus tard, lors de la nouvelle journée de grèves et de manifestations appelée à l’unisson par les syndicats étudiants et de travailleurs, ainsi que par la CNE réunie à l’université de Rennes II. Cette manifestation est un succès, le nombre de manifestants passe du simple au double pour atteindre pratiquement 1 000 000 dans tout le pays. 39 universités et des dizaines de lycées sont en grèves avec pour la plupart la mise en place de piquets de grève. Dans les semaines qui suivent, les piquets de grève sont maintenus dans nombre d’universités et 84 ont rejoint le mouvement. Les 14, 16, 18, 21, 23 et 28 mars sont organisés des manifestations monstres, notamment le 28 qui voit se réunir, dans le cadre d’une grève interprofessionnelle et scolaire, près de 3 000 000 de personnes. Le 31 mars, le gouvernement, malgré l’adoption de la loi au parlement, vacille et appelle à l’ouverture de négociations qui seront largement boycottées par les syndicats. La mobilisation au contraire ne faiblit pas, le front syndical ne se morcelle pas et la jeunesse scolarisée continue de mener son mouvement grâce notamment au dynamisme extraordinaire de ses coordinations nationales étudiantes et lycéennes. Le 4 avril, une nouvelle grève interprofessionnelle et scolaire permet de réunir encore 3 000 000 de personnes, tandis que le mouvement affecte désormais fortement les transports, les établissements scolaires du primaire et du secondaire. Deux jours plus tard la grève est reconduite, et de très nombreuses actions de blocages sont mises en place par la jeunesse mobilisée. Le 10 avril sonne le glas du CPE, article 8 de la loi pour l’égalité des chances dont le reste sera conservé. Cette annonce conduit de nombreuses assemblées générales à voter la fin de la grève. Néanmoins le mouvement se poursuit, notamment sous la direction de la CNE qui se réunit encore à trois reprises dont la dernière a lieu à Toulouse les 6 et 7 mai 2006 et dont les mots d’ordre exigent, en outre, le retrait de la totalité de la loi « pour l’égalité des chances ».

Les coordinations nationales étudiantes et lycéennes, outils centraux pour la victoire

De tous les facteurs qui ont permis à cette mobilisation du printemps 2006 d’obtenir une franche et nette victoire sur le gouvernement Villepin, les coordinations nationales mises en place par les étudiants et les lycéens font assurément partie des plus déterminants. Dès le 18 février, les étudiants de Rennes II appellent à la constitution de cet organe d’auto-organisation du mouvement étudiant. La CNE se réunira, de février à mai, onze fois, dont deux en amont de la date déterminante du 7 mars, et 3 après l’abrogation du CPE. La sixième rencontre de la CNE qui a lieu à Aix voit la déclinaison de sa plate-forme en une plate-forme étudiante d’un coté et lycéenne de l’autre, accordant une autonomie propre au mouvement lycéen, mobilisé en son propre nom et formulant spécifiquement ses revendications. Il nous faut aujourd’hui encore en premier lieu encourager et construire partout des cadres d’auto-organisation de nos mouvements parce que ces cadres permettent de doter le mouvement de revendications qui lui sont propres et de lui donner une direction qui soit la plus juste possible en tant précisant qu’ils émanent de son sein. Une coordination puissante exerce une grande pression à l’unité du front syndical et politique, donnée essentielle pour obtenir la victoire. De plus une CNE, composée de délégués élus et révocables, diminue considérablement les risques de récupération et de manoeuvres politiques au sein même du mouvement. Enfin, elle permet de maintenir les revendications dans la temporalité du mouvement lui-même et de refuser fermement tout report ou temporisation visant à inverser le rapport de force, au contraire des organisations permanentes qui y cèdent sans cesse, à l’image des syndicats en 2010. Les coordinations nationales, et plus largement les cadres d’auto-organisation, sont les cadres qui permettent au mouvement de se doter d’une voix politique propre et de se soustraire à l’opportunisme politique des directions syndicales et des appareils.

La CNE a notamment permis au mouvement contre le CPE de résister un mois, entre le 7 février et le 7 mars, sans appel unitaire à la grève en maintenant le cap de la grève et des revendications tout en renforçant progressivement le mouvement. C’est de ce cadre que nous aurions besoin pour faire face à la désorganisation volontaire du mouvement qui actuellement peine à trouver la marche à suivre pour se prolonger et se renforcer. Il nous faudrait réactiver dès que cela est possible les acquis formidables de cette période en matière d’auto-organisation qui ont atteint au travers des CNE/CNL, un niveau d’avancement pratiquement inégalé dans l’histoire du mouvement étudiant, afin de fixer une stratégie crédible pour obtenir la victoire.

Les revendications et les appels des coordinations : une force tactique et politique concrète

Massification et coordination auto-organisée ont été les deux piliers de l’efficacité spectaculaire du mouvement contre le CPE. Or l’un et l’autre ne peuvent aller séparément. Les mouvements de masses sans force d’autonomie sont réduits à être le jouet des directions syndicales, promptes à la négociation et à la trahison. Mais l’auto-organisation sans massification ou sans effort de massification du mouvement vire à l’auto-proclamation et se bureaucratise. C’est le double écueil que le mouvement scolaire de 2006 a réussi à éviter. Les coordinations sont parvenus efficacement à donner au mouvement étudiant une boussole stratégique en appelant notamment à la grève les jours de manifestations et, au travers des appels de Toulouse et de Jussieu (Paris), à la grève reconductible à partir du 7 mars, nouvelle date unitaire posée par l’intersyndicale faisant de cette date le tournant stratégique majeur du mouvement. Ces mots d’ordre ont permis au mouvement de s’orienter et de se donner des objectifs clairs : tenir jusqu’à ce que le mouvement soit rejoint par les travailleurs appelés inlassablement à la grève générale par les coordinations de Rennes, Toulouse, Jussieu, Poitiers, Dijon, Aix-en-Provence, Lille et Lyon. Seule la clarté et la volonté ferme de construire la grève reconductible et non pas seulement interprofessionnelle peuvent nous permettre de sortir du marasme des mouve-ments qui n’en ont pas fini de commencer. Nous devons exiger, grâce à nos forces auto-organisées émanant de nos assemblées générales, que les négociations soient boycottées par les directions de nos syndicats et la grève reconduite dans l’unité.


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