« Il ne faut pas politiser le sport », a dit Emmanuel Macron. Donc nous allons le politiser (un peu). Ce qui se passe est historique pour le football marocain. Pour le football africain. Non seulement c’est la première fois qu’une équipe africaine arrive à ce niveau dans la Coupe du Monde mais, en plus, elle y affrontera son ancienne puissance coloniale. Le parcours des marocains de ce point de vue est déjà très symbolique : ils ont battu la Belgique où vit une très grande communauté marocaine, puis l’Espagne, qui continue d’occuper deux portions du territoire marocain, et enfin le Portugal… Serait-ce le tour de la France ?
Les Marocains n’ont rien à perdre. Quel que soit le résultat ils seront reçus en héros. Ils disposent d’un élan moral énorme. Et dans le sport, cela peut parfois être l’élément clé. En outre, sur le terrain, au-delà du talent individuel qui peut se révéler décisif parfois, ce sont onze joueurs contre onze. Rien ni personne ne pourra briser l’espoir qui a envahi les supporters de l’équipe marocaine dans tout le Maroc. Et dans toute l’Afrique. Et dans tout le Moyen-Orient. Et dans une grande partie de la planète. Car cette équipe est devenue la surprise de la Coupe du Monde qui, à force de prouesses, a attiré la large sympathie des personnes qui suivent l’évènement sportif le plus important au monde.
J’ai dit que tout le Moyen-Orient soutenait le Maroc, peut-être pas tous. Sans doute en Israël l’équipe marocaine a peu de supporters parmi les couches les plus réactionnaires, pro-colonisation et sionistes de la population israélienne. C’est que, parmi les belles images que les joueurs du Maroc nous ont offert, on retrouve les commémorations de leurs victoires arborant des drapeaux palestiniens. Alors que les autorités impérialistes, de la FIFA et du Qatar ont tenté de tout faire pour « dépolitiser » le Mondial, les supporters et les joueurs du Maroc ont mis la cause palestinienne en « vedette » de cet évènement. Parmi tous les éléments réactionnaires de cette Coupe du Monde, la défense publique de la cause palestinienne contre la colonisation israélienne constitue un facteur très progressiste.
Les Palestiniens ont ainsi adopté l’équipe du Maroc comme la leur, comme leur représentant dans cette compétition suivie par des millions de personnes à travers le monde. Chaque victoire marocaine a rencontré la joie des Palestiniens. Et chaque célébration palestinienne a déclenché immédiatement la répression sioniste. Car le colonialisme est dans tous les détails. Il ne suffit pas de tuer impunément. Il ne suffit pas de réprimer et emprisonner les résistants et résistantes, vieux ou jeunes. Il ne suffit pas d’expulser les populations et de détruire les maisons des Palestiniens. Il faut aussi créer un état psychologique de détresse et d’oppression permanent. Donc la joie, celle qui est gratuite, celle qui est même juste symbolique, doit être encore plus réprimée.
Et il en va de même dans les États impérialistes où les marocains ou descendants de marocains ont été durement réprimés lors des célébrations. C’est le cas notamment de la France. L’État français a pour habitude la répression des expressions de joie populaire. Et cela d’autant plus quand il s’agit de la joie des populations subissant l’oppression nationale et ethnique en France, les populations des anciennes colonies françaises en premier lieu. Mais pas seulement. Les supporters de clubs français ou étrangers goûtent à cette infâme répression des célébrations massives.
Pour justifier cette répression l’extrême-droite, à commencer par Eric Zemmour, tente de présenter cette joie comme une « provocation ». « Comment réagiraient les marocains si à Marrakech des milliers de Français célébraient la victoire de la France ? Je pense qu’ils se sentiraient un peu dépossédés de leur pays », affirmait Zemmour à l’antenne de BFM TV. Ce n’est ni plus ni moins que la criminalisation des opprimés sous des logiques cyniques. Il faudrait peut-être rappeler à M. Zemmour que l’impérialisme français a déjà célébré de bien plus néfastes « fêtes » au Maroc. Par exemple, lors des différentes guerres coloniales comme celle du Rif où, aux côtés de l’impérialisme espagnol, la France a mené des massacres sans nom sur le sol marocain. C’est cela la vraie « dépossession » d’un pays, pas la célébration pour une victoire sportive par une communauté minoritaire et opprimée dans un État impérialiste comme la France.
Mais la réalité c’est qu’en France même, beaucoup de Français sont émus et contents pour l’équipe marocaine. C’est de l’empathie pour leurs amis, voisins ou collègues de travail d’origine marocaine ou marocains. C’est une forme de reconnaissance de classe de la fraternité au-delà des frontières et du racisme, comme l’image de cet homme Blanc qui a été filmé arborant un drapeau français et un autre marocain, criant : « c’est pour les mineurs marocains » - en référence aux 78 000 ouvriers marocains qui ont été amenés en France pour travailler dans les mines du nord du pays.
Un français dédie la victoire du Maroc aux mineurs marocains Merci pic.twitter.com/WJZPOewx1p
— Jasmine Jas (@JASMilovavitch) December 11, 2022
Cette fraternité a été également observée de la part de beaucoup d’Algériens. Et cela n’est pas du tout évident. Les frictions réactionnaires entre le Maroc et l’Algérie sont connues de tout le monde. Mais ce que cet évènement montre c’est que dans les populations algérienne et marocaine, il y a une grande partie qui ne veulent pas de conflit et qui savent que les disputes des classes dominantes ne représentent pas les intérêts des travailleurs et des masses des deux pays. Il en va de même sur la question palestinienne. Alors que la monarchie marocaine est parmi les régimes les plus traîtres à la cause palestinienne après leur normalisation des relations avec Israël en échange du « droit » d’opprimer le peuple saharaoui, parmi la population marocaine la défense de la Palestine est une cause profondément populaire.
Ce mercredi, je supporterai le Maroc. Cependant, quel que soit le résultat, espérons que la force de la classe ouvrière et des couches populaires sera suffisamment puissante pour détruire les manipulations et discours racistes qui attendent toute opportunité pour alimenter la division des opprimés et exploités.
