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Les mots d'une secrétaire d’État et tradeuse

Krach pétrolier : "l’occasion de faire des affaires" ou crise économique imminente ?

Drôle de sortie d'Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie. Tradeuse avertie, la crise est pour elle l'occasion de « faire des bonnes affaires en bourse ». Un conseil bien mal avisé, tant la situation économique est tendue et le spectre de la crise plus que jamais présent.

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 Crédit photo : Capture d’écran Cnews 

Jusqu’à ce 10 mars au matin, Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, tradeuse et membre de La République en Marche (LREM), était relativement inconnue du grand public. Mais c’était avant son intervention décomplexée sur Cnews, tant elle est en adéquation avec le cynisme caractéristique de la Macronie : pour la secrétaire d’État du ministre de l’Économie, nul besoin de s’alarmer de la dégringolade des marchés à échelle mondiale, ce lundi 9 mars suite au krach pétrolier et au Coronavirus. Au contraire, en voilà une belle occasion de « faire des bonnes affaires en Bourse ».

Un « conseil » pour le moins hasardeux, tant la situation est tendue sur le terrain économique. Pour justifier sa prise de position, Pannier-Runacher affirme que « nous avons aujourd’hui un système financier qui est beaucoup plus solide que pendant la crise de 2008, parce que les banques sont plus solides, le suivi des banques a été renforcé ». Toujours selon elle, le fait que les Bourses à échelle mondiale aient connu leur pire journée depuis 2008 n’est pas un facteur alarmant : « On sait que la Bourse a des réactions parfois rapides, notamment avec les robots qui passent de manière automatique les ordres d’achat et de vente ». Un argumentaire peu convaincant.

Pourtant, la conjoncture actuelle de baisse importante des cours sur les marchés mondiaux n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. En effet, à cause de la gestion de la crise de 2008 tout au long de la décennie, les marchés et les États ont dû s’adapter à une situation post-crise inédite, celle d’une non-reprise avec croissance forte. Cette situation a forcé au maintien de plusieurs mécanismes économiques pour maintenir l’économie à flot. L’injection régulière de liquidités par les banques centrales tout au long de la décennie, « dopant » l’économie réelle, a un effet trompe-l’œil, stabilisant durant une décennie le taux de croissance américain à 2% et celui de l’Union Européenne aux alentours d’1,5%. Dans la même temps, la Chine, qui a porté sur son dos la crise mondiale de 2008 avec son taux de croissance à deux chiffres, a connu une chute de ce taux. Officiellement, le taux de croissance chinois se situe aujourd’hui autour des 5 à 6%, mais en réalité, il doit plus certainement se situer entre 2 et 3%.

De plus, une série d’événements se sont multipliés ces derniers mois, laissant planer le spectre d’une nouvelle crise financière. Fin juillet 2019, la Réserve fédérale américaine (FED) baissait ses taux d’intérêts pour la première fois en 11ans, provocant un premier mouvement de panique sur les marchés. Fin septembre, cette même FED injectait en catastrophe plusieurs centaines de milliards de dollars dans l’économie, opération visant à éviter une panne sèche du secteur financier qui aurait entraîné une crise économique d’ampleur supérieure à 2008. Enfin, fin octobre, une start-up relativement anecdotique, WeWork, faisait trembler le monde en voyant sa valorisation boursière s’effondrer de 40 milliards de dollars en Bourses, sur un modèle similaire à celui de New Century Financial, considéré comme l’un des déclencheurs de la crise de 2008. Et tout ceci sans compter les crises économiques qui ont touché une série de pays ces derniers mois, comme l’Argentine, lors des élections présidentielles, ou bien encore le Liban, durant le soulèvement populaire.

Surtout, le fond du problème est que, depuis 2008, de nouvelles bulles spéculatives se sont formées dans la sphère financière, touchant de nombreux secteurs de l’économie, et en particulier dans l’immobilier ou bien encore la hausse de l’insolvabilité des prêts étudiants aux États-Unis, qui pourrait dans un avenir proche dépasser les 50% des prêts octroyés. En d’autres termes, c’est une série de voyants rouges qui se sont allumés ces derniers mois, avec dans les sphères financières une accumulation de poudrières qui n’attendent qu’une étincelle pour exploser. Si les tensions géo-politiques entre la Chine et les États-Unis ont été et sont encore une source d’angoisse pour les marchés, le krach pétrolier de ce 9 mars s’est imposé en quelques heures comme la source d’inquiétude numéro un des marchés financiers. Une inquiétude alimentée par la baisse de 50 points de base des taux de la FED la semaine dernière, un mouvement là aussi inédit et marqueur de la gravité de la situation. Ce 10 mars, Donald Trump en personne a exhorté la FED d’augmenter la cadence, estimant « pathétique » et « lente » la politique de la Réserve fédérale et préconisant que la FED ramène son « taux au niveau de celui de [leurs] concurrents » - soit une nouvelle baisse.

Depuis plusieurs mois, même les économistes libéraux les plus optimistes n’osent pas aller jusqu’à parler de stabilisation du système économique et financier sur le moyen-terme, évoquant au mieux une situation d’entre-deux pour les mois voire les années à venir. Pour d’autres, une crise d’ampleur supérieure à 2008 serait imminente.

C’est pourquoi le « conseil » d’Agnès Pannier-Runacher apparaît comme totalement aventuriste. D’autant plus qu’actuellement, l ’économie italienne subit de plein fouet un début de crise. La Bourse de Milan a dégringolée de 11,8%, sous l’impact direct des mesures de confinements de masse pour lutter contre le Coronavirus. Et en France, ce scénario est tout sauf à exclure.

L’argumentaire de Pannier-Runacher tient, en définitive, en deux points. D’une part, il s’agit d’un réflexe de tradeuse assez symptomatique, celui de voir une « opportunité » à saisir dans l’immédiat ; faire un pari, certes risqué, mais qui peut rapporter gros et qui consiste à miser, en définitive, sur la misère que va entraîner ce krach pétrolier, en espérant qu’il soit conjoncturel pour revendre les actions à des prix bien plus élevés. D’autre part, en tant que secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, le risque réel est de voir un mouvement de panique et une vente en catastrophe de l’ensemble des actions. Un mécanisme classique dans ce genre de situation, qui pourrait avoir comme conséquence de précipiter l’éclatement des différentes bulles spéculatives et ramener brutalement le cours des marchés au niveau de l’économie réelle. Soit le scénario de 2008, à la différence près que le décalage entre la sphère financière et l’économie réelle est aujourd’hui supérieure au moment de la crise des "Subprimes", ce qui ouvre la possibilité d’une crise d’ampleur supérieure.


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