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Journée internationale des infirmières : applaudir ne suffit pas, organisons la colère

Le 12 mai, nous fêtions la journée internationale de l’infirmière, en hommage à Florence Nightingale, première femme qui a posé les bases de la professionnalisation de l’infirmerie. Aujourd’hui plus que jamais, soutenons leurs revendications et organisons la colère.

Homa de la Bahía

14 mai 2020

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Crédits illustration : Mar Ned

Aujourd’hui, ces travailleuses ainsi que les autres soignants sont envoyées au front sans arme et applaudis quotidiennement pour leur travail. Un secteur précarisé depuis plusieurs décennies par les attaques néolibérales au système de santé et qui aujourd’hui est à l’avant-garde de la dénonciation de la gestion catastrophique par les gouvernements de la crise sanitaire.

Précarité et féminisation des “premières lignes” à l’hôpital

Depuis le début de la pandémie, qui continue à bouleverser de nombreux pays de la planète, les infirmières sont en première ligne de la “guerre contre le coronavirus”. Leur travail, indispensable, et leur lutte pour de meilleures conditions de travail ont été plus visibles que jamais. Ces derniers mois, elles sont devenues la voix qui dénonce les politiques criminelles du gouvernement qui ont détruit l’hôpital public et qui font, qu’aujourd’hui, les hôpitaux débordent face au virus. Des hôpitaux qui tournent jour et nuit grâce aux médecins, aux infirmières, aux aides-soignantes mais aussi au personnel du nettoyage, aux cuisiniers, etc., et en dépit des plans d’austérité et des coupures budgétaires successifs des depuis les années 1990. 

Lorsque Macron a déclaré maintes fois “nous sommes en guerre” il n’a pas signalé qu’une des différences de cette guerre avec les guerres conventionnelles, comme le signale la féministe Andrea D’Atri, c’est le fait que les femmes, qui prennent majoritairement en charge le travail reproductif dans leurs foyers, représentent la majorité de ce qu’on appelle la “première ligne” : les soignants, le personnel dans les EHPAD, les agents de nettoyage. En effet, la pandémie a mis en évidence que cette “première ligne”, c’est-à-dire, tous ces secteurs qui contribuent à la reproduction sociale et au maintien de la vie, est composée majoritairement de femmes. Selon l’OMS, les femmes représentent près de 74% des travailleurs de l’ensemble du secteur de la santé dans le monde. En France, ce chiffre est aussi aux alentours des 70%, mais parmi les infirmières et sages-femmes, il s’élève à 88 % et à 90,4 % chez les aides soignantes. 

Comme nous l’avons montré d’autres fois, la précarité a un visage féminin et ceci s’illustre aussi dans le secteur de la santé, de plus en plus précaire à cause des attaques néolibérales des dernières décennies. Pour donner un exemple, en France, 64 000 lits d’hospitalisation ont été supprimés entre 2003 et 2016, et le budget de 2020 de la Sécurité Sociale prévoit une réduction des dépenses de 800 millions d’euros. “La charge de travail augmente alors que les effectifs ne cessent de diminuer, s’ajoute à cela le défi actuel du coronavirus”, affirme un hospitalier du CHU de Pellegrin. En effet, les longues journées de travail, les bas salaires, les burn-out et le manque de moyens sont le quotidien des hôpitaux depuis plusieurs années, ce à quoi s’ajoute la surcharge de travail actuelle à cause de la pandémie et les conditions de sécurité sanitaire et hygiénique nulles ou insuffisantes dans les hôpitaux. Comme le signalait une infirmière argentine face aux caméras d’un journal télévisé, le personnel soignant est, depuis près de trois mois, envoyé au front “sans armes”. Ce qui peut s’illustrer par les blouses qui se déchirent sitôt sorties de leur emballage comme on peut le voir dans une vidéo prise par des infirmières de Marseille

Mais la rage, transformée en dénonciation et en révolte du personnel soignant, est latente partout dans le monde. Au Royaume-Uni, en France, au Pérou, en Argentine, aux États-Unis, etc., les soignantes dénoncent l’irrationalité de ce système fait primer les profits sur les vies et à la santé de la majorité de la population. Avec le mot d’ordre “Nos vies sont aussi essentielles”, les infirmières des États-Unis, pays le plus touché par la pandémie, dénonçaient la gestion catastrophique de Trump et le fait que la majorité des contaminés par le virus soient des immigrés, des afro-américains ou des latinos (60% à New York, foyer du virus), qui n’ont pas les moyens d’accéder au système de santé. À New York, les soignants de l’Hôpital Mont Sinaï, s’organisent dans un “Groupe de travail des travailleurs en première ligne contre le Covid-19”. Partout dans le monde, de nombreux soignants dénoncent la casse du service public et exigent plus de moyens. En France la situation est similaire. Par exemple, les soignants de SUD Santé Sociaux en Charente-Maritime ont adressée une lettre à leur direction où ils dénoncent la politique criminelle du gouvernement et son application par leur direction et déclarent “qu’ils ne seront pas complices de leur politique”

Mais ce n’est pas la première fois que ce secteur se mobilise. De nombreux soignants ont été partie prenante du mouvement des Gilets jaunes qui a fait trembler Macron et qui était majoritairement composé de travailleuses et travailleurs précaires se battant pour une vie digne. Mais ces travailleurs ont aussi été les protagonistes des grèves et des mobilisations dans leurs hôpitaux et autres lieux de travail. “Cela fait plusieurs années que le personnel hospitalier alerte sur les conditions de travail et les conditions d’accès aux soins des patients. Avec le #balancetonhosto en 2018, on a pu lire ainsi plusieurs témoignages de médecins, d’infirmiers ou d’infirmières et d’aide-soignant.e.s sur le délabrement des hôpitaux, le manque de matériel et l’incapacité de tous et toutes à faire leur travail correctement.”. De plus, ces mobilisations ont étés réprimées par le même gouvernement qui aujourd’hui les qualifie de “héros en blouses blanches” et qui a contrôlé à coup de matraque le confinement… et leurs mobilisations antérieures.

La question centrale de l’unité entre travailleurs, de l’usine à l’hôpital

Cette pandémie a mis en évidence le caractère indispensable des travailleuses et travailleurs de la reproduction sociale (personnel soignant, personnel du nettoyage, cuisinières, etc.), mais aussi unes des contradictions les plus flagrantes du système capitaliste : “la manière brutale et effrontée dont le système capitaliste subordonne la reproduction sociale à l’incessante et massive production de marchandises.”. En effet, ces travailleurs, dans la majorité des femmes, ont toujours été les “oubliées” des États, et paradoxalement, aujourd’hui, elles sont “essentielles” face à cette crise.

La pandémie a montré que pour que ces soignantes “essentielles” puissent exercer leur travail, il doit y avoir des travailleurs et travailleuses derrière qui fabriquent du matériel sanitaire et le transportent, des travailleuses qui nettoient, d’autres qui cuisinent, etc. Une infirmière en Île-de-France dépend du travail des ouvrières textile de Chine qui produisent les masques et les blouses nécessaires à son travail. Cette dépendance s’élargit aussi à tous les travailleurs de la logistique et du transport qui permettent que le matériel sanitaire arrive depuis les ports chinois aux mains des soignantes franciliennes. Pour qu’une infirmière du CHU de Bordeaux travaille, les blanchisseries sont indispensables. “Nous travaillons pour subvenir aux besoins des patients et des soignants”, témoignait une travailleuse de la blanchisserie du CHU de Bordeaux qui dénonce l’absence de moyens de protection sanitaire et hygiénique pour les travailleurs qui traitent les linges sales des patients et qui même nettoient les sur-blouses des soignants à usage unique. De plus, les “invisibles” du système de santé sont tout aussi essentielles que les infirmières. À Barcelone par exemple, les soignantes d’un hôpital leur ont rendu hommage :

Mais comme le montre Andrea d’Atri dans son article « Féminisme et Coronavirus : Que faire maintenant ? », la crise sanitaire internationale « a montré que le secteur de la santé […] n’a pas à lui seul, la force d’imposer ses demandes élémentaires, du fait du rôle qui lui est assigné dans ce système ». Confronté à la lourde responsabilité de sauver des vies, les difficultés à se mobiliser sont instrumentalisés par les capitalistes pour précariser toujours plus leur travail. C’est pourquoi, pour pouvoir faire face à la crise sanitaire, l’unité des travailleurs de la production et de la reproduction est indispensable. C’est ce que les infirmières italiennes ont montré le 25 mars lors de la grève générale des secteurs non-essentiels pour exiger leur fermeture. 400 infirmières ont lancé un communiqué où elles demandaient aux travailleurs des secteurs non-essentiels de faire grève pour elles. Dans la même ligne, Tre Kwon exigeait à New York, la nationalisation de l’industrie sous contrôle ouvrier pour pouvoir produire du matériel sanitaire nécessaire face à la pandémie, pour qu’elle puisse faire son travail. Pour elle « c’est la seule manière rationnelle de faire face à cette crise ».

L’unité des travailleurs de la reproduction sociale et des travailleurs de la production est indispensable pour pouvoir mettre en place un programme rationnel pour faire face à la crise sanitaire, mais cette unité est tout aussi indispensable pour mettre fin à tout un système économique et social irrationnel. C’est une arme essentielle pour faire face au capitalisme. Comme le montrent les infirmières italiennes, il va falloir que les soignantes unissent leurs forces avec les camarades d’autres secteurs pour pouvoir vaincre et mettre à bas les gouvernements au service des capitalistes et leur système qui a montré que peu importent les vies de millions de personnes tant que les profits des capitalistes sont garantis. Cette union doit s’accompagner d’une lutte dure contre les bureaucraties syndicales qui garantissent l’atomisation et la division de la classe ouvrière et qui aujourd’hui sont en train de demander à leurs bases d’accepter les licenciements, des conditions de travail plus précaires et des plans d’austérité face à la crise économique pour éviter une “situation pire”.

Applaudir ne suffira pas, organisons la colère

Les applaudissements, bien mérités, et l’héroïsation des soignantes dans les médias et par le gouvernement, porte le risque de “romantiser” et de normaliser la situation de précarité dans laquelle se trouvent ces travailleuses. Ces applaudissements, si ils sont le symptôme positif d’une reconnaissance à une échelle de masse, ne suffiront malheureusement à faire changer la réalité.

Ces femmes soignantes, infirmières, ne doivent pas uniquement être en première ligne de la pandémie mais aussi en première ligne de la lutte politique, en première ligne de la lutte de classe qui ne va pas tarder à s’accentuer. Elles doivent être en première ligne, en alliance avec d’autres secteurs de la classe ouvrière, avec un programme indépendant. Un programme qui combatte les attaques contre le droit du travail sous couvert d’état d’urgence sanitaire, qui exige une revalorisation des salaires avec réduction du temps de travail, et non pas une prime ridicule de 1 500€ que Macron veut leur donner alors qu’il a garanti 300 milliards pour les prêts bancaires des entreprises. Un programme qui exige aussi la création de commissions de sécurité et d’hygiène gérées par les travailleurs dans tous les hôpitaux et lieux de travail mais également la nationalisation sans rachat de la santé privée sous contrôle des soignants et de toute l’industrie pharmaceutique pour garantir la distribution gratuite de tout ce qui est nécessaire à la prévention et la détection précoce de l’infection. Des kits de sécurité sanitaire et hygiénique (gel et masques) gratuits et des tests pour le personnel soignant et la population pour dépister gratuitement et massivement, surtout en vue d’une deuxième vague de l’épidémie à cause de la reprise des écoles, du retour au travail de nombreux de travailleurs et de la surcharge des transports publics. Parce que notre santé ne peut pas rester dans les mains des gouvernements criminels au service du patronat.

Les soignantes du monde entier ont gagné la reconnaissance, bien méritée, de la population. Aujourd’hui elles ont plus que jamais la capacité de faire appel aux travailleurs d’autres secteurs pour qu’ils participent à la résolution de la crise sanitaire. Mais cette capacité ne doit pas servir uniquement à la résolution de la crise sanitaire, elle doit être mise au service de la lutte acharnée contre ce système qui a prouvé encore une fois son irrationalité et sa barbarie. Une lutte acharnée pour résister aux attaques contre les travailleurs à venir, pour l’amélioration des conditions de travail et pour qu’en fin de compte, les capitalistes payent la crise qu’ils ont eux même engendrée. Plus que jamais, soutenons les revendications et l’organisation des soignantes, dans la rue, dans les hôpitaux et dans leurs lieux de travail. Pas uniquement un jour dans l’année, pas seulement quelques minutes à la fenêtre, mais au quotidien dans la lutte pour construire un monde nouveau, dans les mains de ceux qui le font tourner.


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