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Etat policier

Italie : le bilan d’une gestion de la pandémie surtout policière est accablant

En Italie se multiplient les témoignages critiques de la gestion de la pandémie et des chiffres officiels : avec sans 4 fois plus de morts qu'annoncés officiellement. Avec une gestion plus militaro-policière que sanitaire. Premier bilan de Salvatore Palidda, publié initialement sur Médiapart.

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Avec l’accord de l’auteur, nous republions cet article paru sur le blog Mediapart de Salvatore Palidda

1) Il est désormais connu que le virus a commencé à se répandre en Lombardie dès les premiers jours de janvier 2020 peut être même en décembre (voir la recherche signée par 24 médecins dirigeants de cette région publiée en anglais avec le titre : “The early phase of Covid19 outbreack in Lombardy”, sur arxiv.org et citée par Sylvestre Huet dans Le Monde : ainsi que par nombre d’autres médias et revues scientifiques).

2) Comme tout le monde sait la gestion sanitaire, sociale et politique de la pandémie a commencé à se mettre en route lentement, avec nombre de maladresse et hésitations à la fin de février, presque deux mois après le début de la diffusion du virus.

3) Dans ce laps de temps les occasions de moments et lieux de grande diffusion n’ont pas manqué dans les moyens de transport maison-travail, maison-écoles, lors de matches de football, dans les églises etc. etc.

4) La santé publique italienne n’était pas de tout à la hauteur du défi : des structures réduites à moins de l’indispensable, un personnel diminué et sans les compétences nécessaires, tout cela après des années de coupures budgétaires, de scandales, d’asservissement au privé parfois aux mains de la mafia (notamment en Sicile -voir Santino du Centre Impastato de Palerme).

5) Bref une santé publique qu’inévitablement non seulement ne pouvait pas faire face à une telle urgence mais que à la fois ne pouvait que l’aggraver à cause de l’ignorance de nombre de travailleurs de la santé et même médecins qui ont été contaminés et sont contaminé d’autres (10% du total des contaminés et des centaines de morts parmi lesquels presque 80 médecins).

6) Selon les chiffres officiels du 2 Avril, à l’échelle nationale italienne il y aurait une courbe épidémique en ralentissement pour ce qui est de l’augmentation des cas jour après jour. Mais cela relève du fait que les hospitalisations ont été ralenties soit parce qu’il n’y a plus de lits ni pour les cas sous observation ni pour la thérapie intensive. Comme témoignent même des gens des familles des malades et aussi des travailleurs des ambulances, depuis longtemps on a laissé les contaminés chez eux et cela notamment même dans les maisons de repos ou résidences ou Ehpad (RSA en Italie) au point que dans certains Ehpad on a eu des dizaines et dizaines de morts et les cercueils ou juste les corps sont restés quelques jours sur les lits.

Le 3 Avril les chiffres officiels comptent un total de 119.827 cas, 85.388 infectés recensé à ce jour, 19.758 guérisons et 14.681 décès. Les patients hospitalisés en thérapie intensive sont 4.068 (juste 15 plus que le jour précèdent) ; les hospitalisés avec des symptômes sont 28.74i (juste + 0,7% par rapport au jour précèdent) et ceux en isolement à domicile sont 52.579 (à preuve que les hôpitaux ne prennent presque plus des patients !!!). Comme disent nombre de témoignages des mêmes médecins, le manque de place est tel qu’ils ont été obligés à trier et de facto laisser mourir des gens, notamment les plus âgés, les plus graves, ceux qui avaient plusieurs pathologies et même les handicapés. Un triage terrible qu’a été pratiqué partout dans les structures sanitaires des régions les plus touchées par la pandémie. On sait que ce fait est commun à tous les pays tout comme l’abandon des malades des Ehpad. Ainsi, selon les statistiques officielles les morts sous les 60 ans sont en nombre très très limité ; ensuite on a 11,5% de 60-69 ans, 33,8 de 70-79 ans, 40% de 80-89 ans et 9,7 % avec plus de 90 ans (voir ici). De fait, les morts ce sont ce qu’on considère la "population à perdre" ... (ceux que Bauman appelle waste lives).

Alzano Lombardo est l’un des villages de la province de Bergame le plus touché par la pandémie et où l’hôpital publique avait été supprimé par les restructurations libéristes d’il y a quelques années ; le maire constate que dans la même période de 2019 on y a eu 25 décès, maintenant 145 mais les données officielles disent qu’il y a eu que 30 morts pour Covid19. De même le maire de Bergame affirme que les chiffres officiels ne comprennent pas le grand nombre de morts à la maison souvent à l’insu de test et d’observation sanitaire mais que de toute évidence selon les témoignages de gens de la famille sont des décès dus à la pandémie. Parmi ces nombreux témoignages signalons ceux des médecins de Bergame, ceux cités dans le reportage signé par Jason Horowitz et publié dans le New York Times et encore d’autres qui apparaissent de plus en plus sur les médias et les blogs italiens parfois par les filles ou fils de décédés qui défoulent ainsi leur chagrin face à un fléau que auquel ils ont dû faire face sans aucun aide parfois devenant fous n’arrivant pas à trouver des bonbonnes d’oxygène et voyant la mère ou le père s’étendre sans pouvoir les sauver.

7) Le gouvernement n’a pas arrêté de produire des décrets visant d’un côté des mesures de confinement apparemment de plus en plus strictes et de l’autre côté des mesures économiques qui de tout évidence sont assez insuffisants et de loin moins importantes que celles adoptées par les autres pays. De fait on peut dire que les autorités politiques ont choisi une gestion policière plutôt qu’une gestion sanitaire efficace et appropriée. Autrement dit, la sécurité sanitaire a été remplacée par une sécurité militaro-policière qui cependant s’est empressée à garantir la demande du patronat, à savoir le fonctionnement de la plupart des activités y compris celles pas de tout indispensables. L’exemple le plus scandaleux est celui de la production militaire. Comme le souligne l’un des plus qualifiés experts de production d’armements, Giorgio Beretta, Leonardo-Finmeccanica n’a pas cessé de produire armements et a meme d’avoir une nouvelle commission d’un milliard d’euros pour la fabrication de sous-marins. De même la très connu industrie Beretta a continué à produire armements ainsi que d’autres industries des marchandises pas de tout indispensables. Et c’est juste au Nord de l’Italie et en particulier dans les régions les plus touchées par la pandémie -notamment la Lombardi, l’Emilie-Romagne, le Piémont, la région de Venise et la Toscane- que toutes sortes d’activités productives et de service ont continué à fonctionner. Ainsi, des centaines de milliers de travailleurs ont été contraints à sortir tous les jours pour aller au travail avec donc un risque très élevé de contagion et de devenir porteurs de virus. C’est alors qu’on a vu éclater des grèves très suivies car les travailleurs se sont révoltés contre la logique de privilégier l’économie aux dépens de la santé leur, de leurs familles et de tout le monde (sur ces grèves voir ici).

8) Cependant en Italie on n’a pas encore eu comme en France des plaintes en justice contre le gouvernement ni des mises en garde de la CNIL italienne à propos de la violation de la Privacy à travers le monitorage télématique des déplacements des personnes. Dans quelques blogs on peut lire des textes qui dénoncent l’état de siège, les quelques abus de la part de militaires et policiers dans le contrôle des rues, mais on n’a pas encore vu des juristes et intellectuels prendre la parole pour dénoncer cette gestion militaro-policière plutôt qu’un gestion sanitaire. Il est pourtant évident que dans un Etat effectivement démocratique la sécurité sanitaire ainsi que celle environnementale devrait être confié à un seul ministère et ne devrait avoir rien à partager avec les forces armées et les polices.

9) Au cours de cette dernière semaine la révolte des pauvres qui à Palerme ont tenté l’assaut aux supermarchés et ensuite les grèves des travailleurs ont accru la peur des autorités pour des désordres sociaux qui pourraient monter de plus ne plus. Le gouvernement a essayé de tamponner le mécontentement populaire adoptant ou annonçant des nouvelles mesures d’aides aux chômeurs et aux gens qui ont perdu leur revenu. Mais encore une fois ces mesures sont apparues insuffisantes. La promesse de donner un aide même à ceux qui travaillaient au noir ne reste que le propos d’un sous-secrétaire par ailleurs stigmatisé par les bienpensants. De même, la promesse d’un “revenu d’urgence” reste encore vague et surtout selon la ministre du travail ne touchera que 3 millions de personnes, un nombre bien au-dessous de ce qu’on estime la population qui oscille entre travail précaire, semi-précaire et noir, plus les TVA “pauvres”, voir environ huit million de personnes. En réalité jusqu’à maintenant le gouvernement italien n’a aucun courage d’oser adopter les mesures d’économie sociale indispensables mais se limite à garantir le patronat et les banques tout en restant à la merci des oscillations de la parte des autorités européennes et sous la crainte des choix allemands.

10) A cela s’ajoute la scandaleuse gestion de la crise dans les prisons. Juste le 1 Avril on a pris connaissance qu’un premier prisonnier vient de mourir à cause du Covid19. C’est depuis la révolte qui a couté la mort de 13 prisonniers il y a trois semaines que le gouvernement patauge, n’a donné les noms de morts que deux semaines après et n’a pas rendu publique les résultats de l’enquête laissant circuler des informations infâmes contre les prisonniers (genre ils sont morts d’overdose de méthadone volé dans l’infirmerie de la prison). Encore aujourd’hui on promet la mise en liberté d’environ 3 mille prisonniers alors que même des magistrats ont dit qu’en on pourrait faire sortir six mille, un nombre toujours insuffisant pour arriver à ne pas avoir super peuplement et des espaces de sécurité sanitaires suffisants.

Il apparait assez difficile que les autorités italiennes changent la conduite adoptée jusqu’à présent. Le choix d’une gestion militaro-policière plutôt que d’une gestion sanitaire et d’économie sociale risque fort de conduire à une mobilisation populaire très dure. Et cela vaut aussi pour toutes les autorités européennes qui sont en train de jour avec le feu risquant d’être renversées et même mises de côté à cause de leur total faillite politique.


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