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Collectif de défense des axes Sud Normandie

Interview d’un collectif d’usagers de la SNCF : les déclarations de Pépy ? « C’est de l’enfumage ! »

Rencontre et interview avec la secrétaire du collectif d'usagers et de défense des axes Sud Normandie, collectif qui a la particularité de compter dans ses rangs des usagers et des cheminots, qui luttent contre la casse du ferroviaire en Normandie et contre la politique de Hervé Morin, le président de la région.

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Comment s’est fondé votre collectif d’usagers ?

Le collectif de défense Axe Sud Normandie a été fondé à la base par la rencontre entre les Cheminots d’Argentan et les usagers de Vire. Très rapidement se sont joints des usagers de Flers, d’Argentan et de Surdon. Il a été créé officiellement le 5 février 2018. Fin Octobre 2017, la presse locale viroise publie une annonce de la fermeture du guichet de Vire au 1er Janvier 2018. Nous sommes un petit groupe à décider de nous élever contre cette mesure. Lorsque je suis arrivée en Normandie, ça me paraissait déjà comme une région bien sympathique mais très enclavée, mal desservie. Alors on lance une pétition et rapidement on atteint les 1500 signatures (aujourd’hui on en est à plus de 6000 pour une ville d’environ 11000 habitants). Tous les commerçants signent car beaucoup utilisent le train de l’axe Paris-Granville pour se rendre à leurs forums. Il y a aussi beaucoup d’étudiants et de scolaires qui empruntent cette ligne car les formations scolaires (secondaires et professionnelles) sont réparties dans différents établissements de cette zone géographique. Le réseau routier est peu avantageux : composé essentiellement de routes départementales.

On s’est dit qu’on ne pouvait pas rester isolés, qu’il ne fallait pas seulement « être contre », qu’il fallait comprendre pour aller de l’avant. Nous savions que les Cheminots d’Argentan se battaient déjà comme des enragés pour défendre cette ligne depuis des années, contre la suppression de certains trains. Évidemment, il fallait essayer de les contacter ! Par chance, nous sommes arrivés à joindre les cheminots d’Argentan via un contact que l’on nous a donné : c’était le délégué CGT des cheminots d’Argentan. Le 6 décembre 2017, nous nous rendons à un rassemblement à Argentan, jour où Jean-Baptiste Gastinne (Vice-président de la région Normandie chargé des transports) venait vendre le plan de la Région concernant le ferroviaire. Nous y rencontrons les cheminots qui venaient présenter leur point de vue à Monsieur Gastinne, qui les a en quelque sorte envoyé balader.

Le soir même nous nous mettions d’accord sur le principe de la création d’un Collectif citoyen de défense du service public ferroviaire et dans ce cadre des axes du sud Normandie, usagers et cheminots ensemble. A partir de là nous avons commencé à discuter de la SNCF, de ce qui s’annonçait ici en France, des divers accidents et défaillances en Allemagne et en Angleterre, et le constat a été fait que le travail des cheminots était complètement rendu invisible par le discours dominant, notamment le fait que leurs conditions de travail se dégradent d’année en année.

Pourquoi est-il important que les usagers se mobilisent en défense du service public ? Selon vous batailler aux côtés des cheminots est-il important ?

Nous considérons qu’en ce qui concerne les transports en commun, notamment le train, c’est d’abord l’offre qui crée la demande car les usagers organisent leurs déplacements en fonction de cette offre qui existe. A partir de là les usagers ont aussi des demandes : des trains à l’heure, de la sécurité, pas de suppressions de services... Il faut quand même le dire, le train c’est confortable, c’est sûr et convivial, on peut y travailler, y dormir ! Selon moi aucun moyen de transport ne présente autant d’avantages que le ferroviaire.

Il ne nous suffisait pas d’être seulement dans la grogne mais dans une démarche intelligente. Les cheminots, eux, contrairement à nous, ont l’expertise de l’entreprise et pour nous c’était extrêmement important, car ils peuvent nous expliquer comment les choses se passent dans l’entreprise, le fonctionnement du réseau, les aspects techniques des métiers. C’est aussi la preuve que l’on peut créer un collectif pas simplement grognon, mais qui est aussi force de propositions constructives. Et de ce point de vue, c’est presque une force que notre collectif se soit créé avant la grève, on aime le dire car il y avait déjà, avant la grève contre le pacte ferroviaire, une situation complètement hallucinante et impossible à vivre pour les usagers, de dégradation du service public.

Dans le discours que les cheminots tenaient au moment de la grève, ce n’était pas simplement comme le racontait la presse traditionnelle une histoire de statut, même si bien sûr il est normal qu’ils défendent leurs conditions de travail et leur travail ! Mais au fond le statut, c’est quoi ? C’est un contrat de travail ! N’importe qui signe un contrat de travail, même si avec les dernières réformes il ne restera pas grand-chose du contrat de travail... Mais ce contrat de travail c’est un contrat de droits et d’obligations, et donc évidemment, logiquement nous avons soutenu la grève des cheminots ! Nous avons donc été souvent présents à leurs piquets de grève et nous y avons effectué des prises de paroles, tout ça allait de soi. Notre part a été, en tant qu’usagers du collectif, d’informer les gens sur le statut des cheminots, ce que sont réellement leurs conditions de travail.

Et dans le discours des cheminots, la position et la défense des usagers est une de leurs préoccupations majeures. Or, il y a globalement une bataille idéologique qui est menée dans ce pays, dans tous les secteurs : on rend invisibles les gens qui travaillent, on rend invisibles les conditions de travail, la façon dont les gens travaillent. Pour notre part, par l’explication nous essayons de sensibiliser les usagers à ces questions. Par exemple, l’attitude des usagers a changé depuis la création de notre Collectif notamment à Vire, il y a moins d’agressivité, plus de compréhension, les cheminots nous l’ont rapidement dit ! C’est une bonne avancée on aimerait que ce soit partout pareil.

Quelles actions ont été menées à l’encontre de Hervé Morin et de sa politique de privatisation du Rail sur la région Normandie ?

C’est très simple mais compliqué à la fois. En fait, en nous battant pour le service public ferroviaire et en énonçant nos revendications, toutes nos actions aboutissent à être contre la politique d’Hervé Morin ! Il est président de Région Normandie, donc ce n’est pas n’importe qui dans le paysage ! Élu président des présidents de Régions, il a déclaré qu’il voulait faire passer dans toutes les régions sa vision du ferroviaire. Quand il est arrivé comme président de la Région Normandie, il a déclaré que l’Orne était le trou du cul du monde quand même ! Et ça, c’est pas du tout bien passé dans la population ! Tout son plan de développement de la Normandie est tourné vers Paris-Le Havre, Paris-Rouen, la Ligne Nouvelle Paris-Normandie, des refontes de lignes prévues, histoire de maximiser les profits dessus, comme créer une ligne isolée Paris-Granville par Caen, ce qui pénalise tout le sud de la Normandie. Avec ses nombreuses opérations "de séduction" auprès de la population, tout en actant la fermeture des guichets, on a tout de suite dit que derrière c’est la ligne du Paris-Granville par Argentan, Flers, Vire qui va être touchée.

Il a ensuite annoncé le remplacement de certains trains par des bus sur la ligne Caen-Granville-Rennes qui est très utilisée par les étudiants à cause des partenariats universitaires entre Caen et Rennes. Cette ligne c’est aussi l’ouverture de la région Normandie du côté de la Bretagne... Ainsi, il a également fait fermer la gare d’Avranches, une gare excentrée où les taxis ne viennent même plus, c’est un désastre ! Et la gare de Pontorson où le guichet a été fermé, fermeture qui a donné lieu à un reportage sur France 3 Normandie au moment où arrivaient des usagers complètement déboussolés. En accord avec la SNCF, il a donc une politique de fermer les guichets : les billets sont vendus en Office du Tourisme où le personnel est à peine formé pour le logiciel de vente des billets, billets qui de toute façon ne dépassent pas le cadre du territoire Normand, ce qui a comme effet néfaste d’isoler la région. Il y a aussi la ligne Caen-Le Mans-Tours qui passe par Alençon, il faut savoir que dans le cas de cette ligne, vu que ce sont des TER, c’est la région Normandie qui gère et finance les TER (y compris pour le pays de la Loire), ce qui crée des conflits entre les deux régions du fait des dysfonctionnements sur cette ligne. Cette ligne nous intéresse aussi car elle crée une connexion avec Le Mans pour le TGV sans passer par Paris vers tout le territoire national.

Par ailleurs, on décrypte les prises de paroles d’Hervé Morin dans la presse. On organise des rassemblements. Ainsi, le 18 juin, le Collectif a été à l’initiative d’un rassemblement au Havre avec les cheminots et leurs organisations syndicales. Celles-ci, CGT et Sud Rail, ont été partantes tout de suite, bien sûr. A cette occasion, il y a eu convergence avec les cheminots de Rouen, Sotteville et Le Havre pour être tous reçus par Hervé Morin au Conseil Régional ; nous étions entre 500 et 600 manifestants, il y avait également des hospitaliers. Et avec l’appui et les interventions des organisations syndicales et de certains conseillers régionaux qui nous ont soutenus, Morin a fini par nous recevoir en tant que Collectif (bon, il ne s’est pas montré particulièrement agréable avec nous). Comme nous étions en face de lui, nous lui avons demandé un changement d’horaires des cars de la ligne 14 (cars Manéo bus régionaux) pour qu’ils arrivent en gare de Vire (la gare de Vire draine la population sur une zone de 20km) avant que le train ne parte... Il nous arrive également de venir informer les usagers en gare avec des panneaux explicatifs (tarifs, etc). Nous avons également fait des actions à Villedieu sur la question de l’environnement. A Villedieu, où le guichet humain est fermé (remplacé par un visio-guichet depuis peu) le parking est plein à craquer : les gens prennent le train !

Carte du Réseau Normandie avant le pacte ferroviaire. Crédit photo : ter.sncf.com

Que pensez-vous des annonces de suppressions de guichet un peu partout en France ? Un commentaire sur la déclaration de Pepy sur RMC que la solution aux fermetures de guichet est de composer le 3635 ?

Ça mériterait un commentaire de plusieurs pages tellement que c’est de l’enfumage ! Alors premièrement il faut quand même savoir que les postes des plateformes téléphoniques ont été énormément réduits, donc on sait très bien qu’il y a de l’attente avec un appel taxé, c’est gratter encore dans le fond de poches des gens, il n’y a pas de petits profits ! C’est absolument scandaleux ! L’autre aspect c’est que dans les territoires ruraux il y a des zones blanches et où le téléphone ne passe pas du tout... C’est un mépris pour les populations ! Un jour on tractait sur un marché, on discutait avec une dame qui va régulièrement à Dax et elle était égarée en disant "mais comment je vais faire ?". Elle se disait qu’heureusement sa fille pourrait peut-être commander ses billets par internet. Il est là l’objectif : c’est internet et la digitalisation, c’est la gare de Montpellier Sud de France qui a coûté 140 millions d’euros et où les gens ne veulent plus aller. Les gens ne veulent pas de gare fantôme, ce n’est pas cette forme de société qu’ils veulent !

Selon vous est-il possible de créer un collectif d’usager national ? Avez-vous eu des liens avec d’autres régions ?

On commence à avoir des liens avec d’autres régions. On a invité des camarades Bretons pour la ligne Caen-Rennes lors d’une conférence de presse à Avranches. On a également eu des contacts avec une association sur la Région Parisienne, on a des contacts avec d’autres associations en Normandie également. Au niveau du collectif, il nous a été proposé d’adhérer à la Convergence Nationale du Rail, on l’a fait. On est apriori contre rien du moment que ça va dans le sens de la défense du service public ferroviaire et ouverts à beaucoup d’autres collectifs. Mais notre priorité c’est de rester en contact avec la population, et de ne surtout pas perdre ce lien mais au contraire le renforcer. Les réseaux sociaux nous aident aujourd’hui à diffuser notre point de vue, à entrer en contact avec d’autres. Mais le lien charnel avec les gens, là où ils vivent, là où ils prennent le train reste essentiel.

Avez-vous un message pour les cheminots qui ont lutté contre le pacte ferroviaire et ceux qui continuent de lutter ?

Je ne veux pas être trop larmoyante mais ça nous serre le cœur, ce qu’il s’est passé ça nous affecte aussi. Derrière tout ça il y a une espèce de drame qui se joue par rapport à tout l’attachement qu’ils ont vis-à-vis du service public et de leur travail. Et les drames qui vont se jouer si ce rouleau compresseur va jusqu’au bout, parce que je nourris l’espoir que ça n’aille pas jusqu’au bout, avec les négociations qui vont s’ouvrir et avec les sanctions qui tombent, c’est absolument hallucinant la remise en cause du droit de grève... C’est symbolique à quel point il y a une volonté de museler le mouvement ouvrier. Pour ceux qui continuent on espère qu’ils ont encore le punch pour ne pas lâcher ! Et puis il faut drainer des usagers parce que je reste persuadée que la capacité de drainer les usagers, au le point où on en est, je dirais que c’est l’avenir du mouvement cheminot, les deux sont indissociables...

Retrouvez le collectif de Défense Axes Sud Normandie :


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Clément Alonso

Cheminot au Technicentre de Châtillon (92), syndiqué Sud Rail

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