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Live Révolution Permanente

Ines Rossi : "L’islamophobie est un héritage colonial, et une violence faite aux femmes"

Inès est militante féministe à Du Pain et Des Roses et au NPA-Révolution Permanente. Elle a participé au live « Conflans. Après l'horreur, refusons l'instrumentalisation », pour donner son point de vue sur ce que doit être le féminisme face à l'offensive islamophobe après le drame de Conflans. Nous avons retranscrit un extrait de son intervention.

Inès Rossi

25 octobre 2020

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Je fais partie du collectif Du Pain et Des Roses, qui est un collectif féministe et révolutionnaire qui envisage la lutte pour l’émancipation des femmes dans une perspective de lutte de classes, qui dit que l’émancipation des femmes ne peut pas se faire sous le capitalisme. Je vais commencer par une pensée pour Samuel Paty et tous ses proches, donc sa famille, ses élèves, etc. C’est un crime abominable et injustifiable, qui me touche moi tout particulièrement parce que mon père était professeur d’histoire-géographie, et que j’ai des camarades, des proches, qui sont dans l’éducation nationale.

Du Pain et Des Roses a été à l’initiative d’une tribune publiée sur Mediapart début octobre qui a rassemblé de nombreux collectifs féministes pour s’opposer à l’offensive islamophobe qui visait particulièrement les femmes voilées. Il y a eu l’affaire Imane Boum, l’affaire Maryam Pougetoux, et du coup ce qu’on voulait affirmer dans cette tribune c’est que notre féminisme- le féminisme qui se bat pour l’émancipation de toutes les femmes -, ce n’est pas le féminisme de Schiappa, de Darmanin, de Macron, qui instrumentalise la lutte pour le droit des femmes à des fins réactionnaires, racistes et islamophobes.

Nous, c’est ce qu’on définit comme du fémonationalisme, c’est-à-dire, une instrumentalisation du féminisme à des fins nationalistes et impérialistes, et donc dans le cas de la France notamment, ça se cristallise autour de la question du voile et des femmes voilées. En prétendant qu’en Occident l’égalité femmes-hommes est déjà acquise, on nous raconte que la libération des femmes ne passe plus par la lutte contre un système dans son ensemble, mais par un combat qui est individuel, notamment des femmes immigrées envers les hommes immigrés qui représenteraient le patriarcat.

C’est important car on ne peut pas parler aujourd’hui de l’islamophobie sans faire le lien avec l’histoire de l’impérialisme français. Car depuis la colonisation jusqu’à aujourd’hui, dans la politique dans les quartiers populaires et envers les musulmans ou considérés comme tels en général, c’est le même impérialisme qui s’exprime, qui a évolué, mais qui a le même objectif : ’exercer une domination sur les pays semi-coloniaux et les populations qui sont issues de l’immigration, souvent d’anciens pays colonisés par la France.

Dès le début de la colonisation en Algérie, le Maréchal Bugeaud déclarait que « les Arabes nous échappent parce qu’ils dissimulent leurs femmes à nos regards ». A l’époque les femmes colonisées voilées se dérobaient non seulement au regard masculin, mais surtout au regard des colons. Donc, en fait, ce qui se met en place c’est une humiliation systémique des femmes colonisées qui sont voilées pour mieux dominer la population colonisée en général, c’est ce qu’on appelle la campagne du dévoilement.

Frantz Fanon déclarait à ce sujet : « ayez les femmes et les autres suivront », pour pointer le mécanisme mis en place par les colons. Il y avait une affiche qui montrait une femme algérienne qui portait au départ un foulard et se dévoilait progressivement pour laisser apparaître un sourire, accompagnée du slogan : « N’êtes vous pas jolies ? Dévoilez-vous ». C’est comme cela que les colons mettaient en scène l’émancipation des femmes algériennes... Mais pendant la guerre de libération nationale en Algérie, cela s’est exprimé par des dévoilements forcés sur la place publique, qui ont servi à intimider et mater le mouvement anticolonial par des spectacles de violence et d’humiliation des femmes algériennes.

Après le mouvement de libération nationale et les luttes antiracistes dans les années 60, on a une adaptation de l’impérialisme français et de ce discours par rapport aux nouveaux rapports de forces qui se créent. A la place des différences raciales qui étaient mises en avant pour justifier la colonisation, l’impérialisme a mis en avant des différences culturelles, en expliquant que les anciens colonisés - majoritairement originaires d’Afrique ou d’Asie - étaient le produit de cultures ou de religions arriérées. Encore aujourd’hui c’est par ce biais que l’État gomme et justifie les inégalités sociales dont sont victimes les populations fraîchement immigrées en France.

Mais pour revenir aux discriminations actuelles contre les femmes voilées, il faut comprendre qu’aujourd’hui elles font partie majoritairement de la classe ouvrière. Car de par le fait qu’elles ont un signe extérieur de religiosité, que souvent ce sont des femmes racisées, elles sont moins payées, elles sont exploitées etc. On peut prendre l’exemple des grévistes d’Onet ou d’Ibis, des secteurs de la sous-traitance du nettoyage dans lesquels les femmes racisées, les femmes voilées, sont surreprésentées. Parce que sur le marché de travail, elles sont marginalisées et hyper-précarisées. C’est-à-dire que souvent elles ont des emplois qui sont invisibles ou précaires, parce qu’on leur refuse des emplois. On voit sur les réseaux sociaux des jeunes étudiantes qui sont voilées, qui ont besoin de faire un stage mais n’en trouvent pas, parce qu’elles portent le voile, on leur refuse des opportunités professionnelles. Et maintenant le gouvernement veut faire passer sa loi « contre le séparatisme », avec laquelle il prévoit d’exclure encore plus les femmes voilées du marché du travail. Jusqu’ici le port du voile était déjà interdit aux salariées du secteur public, et aujourd’hui la loi « contre le séparatisme » veut étendre cette interdiction aux travailleuses des entreprises dites délégataires du service public.

Donc ces femmes ont tout à gagner à lutter contre un système capitaliste qui les marginalise, qui les empêche d’accéder à une situation matérielle confortable qui leur permette de vivre, d’être socialement intégrées etc. En fait, le féminisme qui est proposé aujourd’hui par le gouvernement - par le patronat aussi par ailleurs - c’est un féminisme bourgeois, qui ne s’intéresse pas à l’émancipation des femmes voilées, exploitées, qui nettoient des gares comme les travailleuses d’Onet ou qui nettoie des hôtels, comme les travailleuses d’Ibis qui sont en grève en ce moment. A l’inverse c’est un féminisme qui lutte contre l’islamophobie et les attaques anti-sociales dont on a besoin et que l’on veut construire avec Du Pain et Des Roses et le NPA-Révolution Permanente.

Retrouvez l’intégralité du Live « Conflans. Après l’horreur, refusons l’instrumentalisation » ici.


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