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Mouvement Ouvrier

Historique : à New-York, des travailleurs créent le premier syndicat chez Amazon aux Etats-Unis

Ce vendredi, les travailleurs de l’entrepôt JFK d’Amazon de Staten Island à New York ont voté la création d’un syndicat, le premier dans l’histoire de l’entreprise aux Etats-Unis. Une victoire historique.

Tatiana Cozzarelli

2 avril 2022

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Ce vendredi 1er avril, les travailleurs de l’entrepôt JFK8 d’Amazon de Staten Island, à New York, ont voté la création d’un syndicat, le premier dans l’histoire de l’entreprise aux Etats-Unis : Amazon Labor Union (ALU).

Une victoire de cette ampleur est inédite. Amazon est le second employeur aux Etats-Unis, connu pour ses conditions de travail brutales et l’efficacité de ses campagnes de répression syndicale. L’entreprise a dépensé plus de 4 millions de dollars dans des consultants anti-syndicats tout en tirant des profits faramineux de l’exploitation de ses employés. Mais aujourd’hui, à l’entrepôt de Staten Island, les travailleurs ont infligé une défaite à Amazon.

Aux Etats-Unis, la création d’un syndicat dans une entreprise est conditionnée à un vote interne, un appareil légal antisyndical composé historiquement de concert par les républicains et les démocrates. Le décompte final du vote a donné 2 645 voix pour et 2 131 contre.

La création de ce syndicat n’a été conduite par aucun des gros syndicats nationaux, mais par des anciens employés d’Amazon, dont faisait partie Chris Smalls, licencié d’Amazon en 2020 après l’organisation d’une grève contre les conditions de travail dans son entrepôt.

Left Voice avait interviewé Smalls lors d’une grève il y a deux ans :

L’ALU est reconnu par le National Labor Relation Board (agence chargée de la législation syndicale, ndt) comme un syndicat indépendant. La victoire contre le géant Amazon a été permise grâce à des fonds collectés principalement via GoFundMe (site de financement participatif).

Amazon a engagé diverses techniques de répression syndicales afin d’empêcher cette création, dont des affichages anti-syndicat, des briseurs de mobilisation rémunérés ou encore des menaces contre les travailleurs qui tentait de s’organiser.

Tasha Jones, une des salariés du Amazon de Staten Island, explique que dans les jours qui ont précédé le vote, la direction a organisé des réunions afin de dire explicitement aux travailleurs de voter contre la création du syndicat. « Au début, ils ne nous ont pas dit de voter non, mais je dirais que lors de la dernière réunion c’était bien différent. » Cela n’a pas empêché une majorité des travailleurs de rejeter la propagande antisyndicale d’Amazon et ont voté en faveur de la création du syndicat.

Le mois dernier, un syndicaliste ainsi que deux travailleurs ont été arrêtés pour « intrusion » dans les locaux d’Amazon. Chris Smalls a été inculpé pour « intrusion, obstruction à l’administration gouvernementale, et résistance à une arrestation ». Smalls était à l’entrepôt pour distribuer de la nourriture et de la documentation pour le syndicat. Il s’agit d’une intimidation claire de la part d’une direction de plus en plus désemparée.

Les travailleurs d’Amazon sont parmi le plus exploités du pays, travaillant de longues heures à des tâches éreintantes. Comme le rapporte Francis Wallace, un travailleur chez Amazon à Bessemer dans l’Alabama interviewé par Left Voice l’année dernière : « C’est extrêmement fatiguant. Evidemment, il faut se pencher et se relever tout le temps. Il y a une échelle dans mon secteur, car je fais du stockage. Je grimpe et je descends de l’échelle, je me plie en deux pour ramasser les cartons. Quand tu fais ça pour 10 heures d’affilée, et que tu as juste trois pauses de peut-être 15 minutes, c’est vraiment éreintant. » Un autre travailleur a rapporté une chaleur suffocante dans des entrepôts non ventilés.

Plusieurs travailleurs sont morts au travail dans les entrepôts d’Amazon au cours de l’année dernière. Six d’entre eux sont morts au cours d’une tornade qui a touché la région du Midwest en décembre, et deux sont morts à Bessemer, l’un d’entre eux ayant subi une attaque cardiaque après que sa direction lui ait interdit de quitter le travail, l’autre est décédé quelques heures plus tard. « Il n’y a pas de fermeture, il n’y a pas de moment de silence, il n’y a pas de moment pour s’asseoir et se recueillir » explique Perry Connelly. « Deux personnes qui bossaient avec lui étaient vraiment bouleversées et voulaient rentrer chez elles, mais elles n’ont pas été autorisées à le faire »

Cet évènement à Amazon défie le processus habituel de constitution des syndicats, qui se base sur les gros syndicats en lien avec le Parti Démocrate, après des années de réunions individuelles et un travail de construction à rythme d’escargot. L’ALU s’est enregistré auprès du National Labor Relation Board avec uniquement 30% de l’entrepôt signant des cartes de soutien au syndicat, bien en-deçà des 80% typiquement recommandés dans les stratégies conventionnelles de créations de syndicats.

La victoire des ouvriers de Staten Island s’inscrit dans une vague plus large de créations de syndicats à l’échelle nationale. Neuf Starbucks se sont ainsi syndiqués dans les derniers mois, avec plus de 100 antennes lançant les démarches de vote. L’œuvre d’une nouvelle génération ouvrière qui sait qu’elle a besoin de syndicats. Le Washington Post explique ainsi que « de nombreux leaders de ces mouvements ont une vingtaine d’années et se reconnaissent sous le surnom de « Génération U » pour Union (syndicat). Le chiffre d’approbation en faveur des syndicats est à son plus haut depuis 1956, avec 68% d’approbation – un chiffre qui monte à 77% chez les américains de 18 à 34 ans – d’après un récent sondage Gallup ».

C’est le symptôme d’une génération de travailleurs qui refuse les règles du néolibéralisme imposées au mouvement ouvrier depuis des décennies. Une génération précaire hautement endettée qui a peu à perdre. C’est une génération très politisée qui défie le statu quo, et espère que les syndicats peuvent être un outil démocratique pour défendre leurs intérêts contre les patrons.

C’est également une génération qui a expérimenté et participé au mouvement Black Lives Matter, et beaucoup font le lien entre le combat antiraciste et le combat syndicaliste – une connexion explicitée lors de la tentative de création d’un syndicat à l’entrepôt Amazon de Bessemer. L’Amazon de Staten Island compte des employés majoritairement racisés, qui étaient à l’avant-garde du combat pour la création du syndicat.

Staten Island n’est pas le seul entrepôt Amazon dans lequel se tiendra un vote cette semaine. A Bessemer en Alabama, la National Labor Relations Board a rejeté la dernière tentative de constitution d’un syndicat en raison de l’intensivité de la politique de répression syndicale illégale menée par Amazon. Alors que le vote contre le syndicat avait été une victoire écrasante pour Amazon l’année dernière, les résultats sont très serrés cette fois-ci, avec le décompte actuel donnant 993 votes contre et 875 pour, ainsi que 416 bulletins contestés qui seront examinés lors d’une audience.

La victoire du 1er avril s’ancre également dans un contexte de mobilisations importantes chez Amazon : il y a quelques semaines, trois entrepôts se sont mis en grève. Plus de 60 employés de deux stations de livraisons du quartier du Queens à New York et d’une station de Washington se sont mis en grève pour exiger une augmentation de 3 dollars de l’heure. C’était la première grève multi Etats dans les entrepôts Amazon.

Cette victoire doit enfin être considérée comme un tournant décisif de la conscience de classe des travailleurs à la sortie de la pandémie : les travailleurs sont essentiels, ils le savent, et ils méritent d’être traités comme tels. L’hostilité largement partagé contre Jeff Bezos et les milliardaires qui profitent de l’exploitation des travailleurs est également une composante de ce contexte. Un phénomène qui s’illustre par La Grande Démission, phénomène consistant en une masse de démissions individuelles en réaction aux mauvaises conditions de travail, mais également un mois d’octobre marqué par des grèves, « striketober », avec des mobilisations à John Deere, Kellog, l’Université de Columbia, et un grand nombre de petites grèves. Les professeurs de Sacramento sont également en grève, juste après la grève des enseignants de Minneapolis, qui a pris fin la semaine dernière.

La victoire des ouvriers de Staten Island va surement inspirer d’autres employés d’Amazon nationalement et internationalement. Comme le montre la vague de syndicalisation à Starbucks, la création d’un syndicat peut en inspirer des centaines. C’est une chance immense pour la classe ouvrière.


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