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Crise politique

Haïti. Assassinat du président Moïse et situation de crise

L'assassinat du président d'Haïti a choqué le monde. Dans cet article, nous analysons ce qui s'est passé à la lumière des événements de ces dernières années en Haïti.

Omar Floyd

8 juillet 2021

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Crédit Photo : CHANDAN KHANNA / AFP

Cet article est une traduction d’un article paru dans La Izquierda Diario, journal frère de Révolution Permanente en Argentine.

Que s’est-il passé en Haïti ?

Dans la nuit de mardi à mercredi, le président de facto d’Haïti, Jovenel Moïse, a été abattu dans sa résidence vers 1 heure du matin, alors qu’il se tenait à côté de la première dame Martine Moïse, qui reste dans un état grave. Le magnat du commerce de la banane, qui a accédé à la présidence du pays après avoir obtenu 55,6 % aux élections controversées de 2016 en représentant le parti libéral Tet Kale (fondé par son prédécesseur et mentor Michel Martelly), dirigeait l’un des gouvernements les plus instables d’Amérique latine. Son gouvernement s’est vu opposer plusieurs mobilisations contre les plans d’austérité féroces appliqués par son administration, dans l’un des pays les plus appauvris du monde.

Depuis 2018, les protestations et les accusations de corruption n’ont cessé de croître, et l’augmentation du prix des carburants en 2019 a provoqué un déchaînement social qui a remis en cause le peu d’autorité dont disposait encore le gouvernement, maintenu en fonction uniquement grâce aux actions criminelles de l’appareil répressif de l’État, au contrôle territorial des gangs mafieux armés et protégés par le gouvernement, aux hommes d’affaires et commerçants locaux et au soutien sans limite de l’impérialisme américain et de l’OEA [Organization of American States] à ses politiques d’ajustement structurel et de répression.

Dans ces conditions, et en pleine pandémie de Covid 19, le président Moïse a décidé de ne pas quitter le pouvoir à la fin de son mandat en février de cette année et de s’y maintenir de facto. Durant cette période, de nombreux massacres ont été perpétrés contre des figures des mouvements sociaux et contre des journalistes. De leur côté, l’opposition politique et les secteurs d’affaires ennemis de Moïse ont formé un gouvernement intérimaire d’opposition à la dictature, dirigé par le juge Joseph Mécène âgé de 72 ans, et formé après une résolution du Haut Conseil de la Justice qui a mis fin au mandat du chef de l’État le 7 février 2021. Le dictateur qui vient d’être assassiné avait proposé un nouveau calendrier électoral, avec la tenue d’élections législatives en septembre, d’élections présidentielles en novembre, et d’une réforme constitutionnelle visant à créer le poste de vice-président, à supprimer celui de Premier ministre, à mettre en place un système législatif monocaméral et à permettre aux Haïtiens vivant à l’étranger d’élire et d’être élus.

Qui était Jovenel Moïse ?

Fils d’un commerçant et d’une couturière, Moïse est né le 26 juin 1968 à Trou-du-Nord, une zone rurale du département du Nord-Est d’Haïti. Il a étudié les sciences de l’éducation à l’université Quisqueya de Port-au-Prince. Son engagement public n’était pas associé à la politique, mais d’abord au monde des affaires. Dans les années 1990, il a commencé son ascension fulgurante et improbable en tant que modeste vendeur de voitures, ayant rapidement étendu ses activités à la culture et à l’exportation de bananes.

En moins d’une décennie, il devient secrétaire général de la Chambre de commerce et d’industrie haïtienne et devient l’un des hommes les plus puissants du pays. Proche du président Martelly, il a établi des réseaux clientélistes dans le monde agricole largement délaissé par l’État, et développé des initiatives liées aux biocarburants, à l’énergie éolienne et solaire. Avec l’ambition de poursuivre l’orientation libérale de son prédécesseur et de promouvoir des programmes qui permettent l’accès à l’électricité et à l’eau potable aux secteurs ruraux les plus pauvres (la plupart dans des conditions d’extrême pauvreté), sa figure a été projetée politiquement et a obtenu le soutien nécessaire pour présenter sa candidature. Il avait alors battu Jude Célestin, lors d’une élection marquée par des accusations de fraude en 2015. Celles-ci ont été annulées et tenues à nouveau en 2016, lorsqu’il a finalement pu accéder à la présidence, la première fonction publique de sa vie, dans un climat toujours délicat.

La spirale de la violence et la crise humanitaire en Haïti

Avec vingt gouvernements au cours des 35 dernières années, Haïti est le pays de la région qui a eu le plus de gouvernements dans la période la plus courte depuis la fin du 20e siècle. Moïse a pris en charge l’administration d’un pays en situation d’urgence humanitaire, alimentaire et sanitaire chronique. Celle-ci s’est terriblement accentuée depuis le tremblement de terre de 2010, qui a tué près de 300 000 personnes et détruit les infrastructures précaires qui fournissaient l’eau et l’énergie à des millions d’Haïtiens et qui n’ont jamais été entièrement reconstruites.

Ses politiques manquaient totalement d’autonomie, ne profitaient qu’aux secteurs économiques auxquels il était lui-même attaché, et étaient dictées selon les besoins des États-Unis. N’oublions pas que l’impérialisme américain contrôle les principaux leviers économiques et institutionnels du pays depuis son intervention en 2004, contre le gouvernement de Jean Beltrand Aristide (qui avait déjà été renversé dès son premier mandat par une invasion américaine en 1993). Ceci avec le soutien d’une « force de maintien de la paix » multilatérale formée par l’ONU, appelée Minustah, et composée de contingents de pays comme la France, le Brésil, le Chili et l’Argentine, entre autres.
Le pays caribéen souffre également d’une augmentation constante de la violence et du gangstérisme de la part des mafias, couvertes par les grandes entreprises et le gouvernement, qui sont actuellement le seul facteur de pouvoir stable dans la majeure partie du territoire. Le phénomène des bandes criminelles, regroupées en confréries qui agissent en toute impunité, comme le G9, est ouvertement soutenu par le pouvoir en place. Cela a donné naissance à une économie de la violence fondée sur l’exploitation par la traite, le trafic, l’extorsion et l’enlèvement comme pratiques quotidiennes.

Ces groupes ont la capacité d’étendre leurs ramifications aux communautés haïtiennes de Miami, de Montréal et du Chili, et contrôlent une grande partie des transferts de fonds qui entrent dans le pays. Leurs membres disposent d’un arsenal d’armes de guerre supérieur à celui de la police et de l’armée (qu’ils contrôlent en fait de l’intérieur) et obligent les fonctionnaires et les hommes d’affaires à payer des sommes élevées pour leur « protection ». On a trouvé en leur possession des armes appartenant au ministère de l’Intérieur avec lesquelles ils ont perpétré des massacres tels que celui de La Saline, au cours duquel soixante personnes, dont des femmes et des enfants, ont été exécutées.

Tout indique que le crime de Moïse s’inscrit dans le cadre d’une profonde crise politique, économique et sociale avec des niveaux élevés de violence structurelle (répression étatique, gangs paramilitaires, extrême pauvreté, éléments de désintégration de l’État, etc.) qui s’est accentuée sous son administration, mais qui est latente depuis des années. Le gouvernement est resté entre les mains du Premier ministre par intérim Claude Joseph, qui, fait remarquable, avait été évincé hier par le gouvernement de facto, ayant nommé Ariel Henry qui n’a pas pu prendre ses fonctions. Joseph a décrété l’état de siège dans tout le pays, a fermé les aéroports et a déclaré que les premières indications sont qu’ « un groupe non identifié de criminels étrangers » est responsable de l’assassinat, une hypothèse pour laquelle aucune preuve n’a été fournie pour le moment.


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