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Grenades de fabrication française au Liban : les fruits de l’impérialisme

Emmanuel Macron se met en scène comme le leader de la coopération internationale pour le Liban. Derrière les discours de façade sur le lien entre les deux pays qui justifierait un soutien désintéressé, apparaissent les intérêts historiques et très actuels de l’impérialisme français.

Nathan Deas

13 août 2020

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Crédit photo : Anadolu Agency via AFP

Une semaine après la double explosion, Beyrouth se révolte. Selon le dernier bilan du ministère de la santé la double déflagration a fait 171 morts et plus de 6000 blessés, près de 300 000 sans-abris et a accouché sur la démission du gouvernement. Hier des centaines de personnes se sont rassemblées, dans la continuité des mobilisations massives de la semaine dernière et d’un mouvement social en cours depuis octobre dernier, pour rendre hommage aux disparus, crier leur colère et exiger le départ d’une classe politique jugée corrompue et responsable du drame. Dans un contexte de crise sanitaire et économique terrible, de risque de pénurie alimentaire c’est l’ensemble du régime qui pourrait tomber au Liban et avec lui, sur place, son plus fidèle allié impérialiste : la France.

Depuis le drame du 4 août la France apparaît comme un acteur central de la « coopération internationale » pour le Liban, à l’initiative de la « Conférence internationale de soutien et d’appui à Beyrouth et au peuple libanais » du 9 août. Emmanuel Macron s’est également rendu à Beyrouth dès le 6 août pour rappeler le lien qui unit la France au Liban : « Nos destins sont noués indéfectiblement par les liens du temps, de l’esprit, de la culture, des rêves [ …] Parce que c’est vous, parce que c’est nous ».

A propos de l’élan de solidarité internationale revendiqué par les puissances impérialistes nous écrivions ces mots dans nos colonnes, le mercredi 5 août :« Dans les heures qui ont suivi le drame, les pays du monde entier ont fait preuve de solidarité envers le Liban. De Paris, à Téhéran en passant par Washington, la Russie, l’Allemagne, le Koweït, etc. les promesses d’aides se sont succédés. La France a envoyé deux avions militaires transportant des tonnes de matériel médical et un détachement de la sécurité civile de 55 personnes, ainsi que des personnels urgentistes ». Le porte-hélicoptère, « Le Tonnerre » avec 450 militaires, des rations de combat, de la farine et des engins du génie pour aider au déblaiement et à la reconstruction devrait suivre et arriver dans la nuit de jeudi à vendredi. « Angela Merkel a promis un « soutien au Liban » emboîtant le pas au Royaume-Uni ou encore au Canada.

Les puissances impérialistes semblent donc vouloir répondre présent, dans un contexte de crispations économiques, alors qu’il y a quelques jours encore elles exigeaient des réformes drastiques. Début juillet, Jean-Yves le Drian, en voyage au Liban, exhortait en effet les autorités du pays qui traverse une profonde crise économique à engager des réformes afin d’obtenir le soutien de la communauté internationale et affirmait que les aides ne seraient pas versées en l’absence d’un accord entre le Liban et le FMI (notamment les 11 milliards de dollars promis à la conférence CEDRE en 2018). De fait, les négociations patinent avec le FMI, l’institution ayant, à l’image du GIS (Groupe international de soutien au Liban), un agglomérat de pays arabes et européens sous la houlette de la France, conditionné ses aides à une série de réformes. [ …]Le risque pour le Liban, déjà gangréné par les influences internationales, serait que la compétition internationale occidentale, impérialiste ou confessionnelle, se rejoue sur les aides à venir, et ce aux dépens d’un pays déjà accablé par les ingérences extérieures.

Le soutien que la communauté internationale et la France en tête prétendent apporter au Liban ne correspondent pas aux intérêts de son peuple, mais à ceux de l’impérialisme occidental. Voilà l’intérêt principal que trouve Macron au Liban : un poitn d’appui stratégique au Moyen-Orient, et un contrôle sur ses ressources et richesses avec la complicité de la bourgeoisie nationale et de son système corrompu. Depuis une semaine contre ce régime les manifestations se succèdent. Elles sont réprimées par les gaz de l’armée libanaise, vendu au Liban … par la France.

Le Liban : un pays né des mains de l’impérialisme français

L’histoire entre la France et le Liban se forge dans la protection promise par la monarchie aux chrétiens maronites du Mont Liban. Suivant cette tradition, le Second Empire rappellera son rôle de protecteur, aux côtés d’autres puissances européennes, en envoyant, en 1860, des troupes au Liban au nom de la défense des maronites chrétiens massacrés par les Druzes musulmans, pour aider l’Empire Ottoman à rétablir l’ordre. L’opération accouche de la signature d’un accord avec Constantinople qui institue pour la première fois l’autonomie partielle du Mont Liban.
A la suite de la Première guerre mondiale, le territoire de l’Empire Ottoman, allié vaincu de l’Allemagne, est partagé entre la France et la Grande-Bretagne. Le Mont Liban se retrouve sous administration directe française, et sous la direction d’Henri Gouraud, général de l’armée de terre, acteur sanglant de la colonisation française. Celui-ci proclame en 1920, la création du « Grand Liban » dont les frontières sont équivalentes à celles du Liban d’aujourd’hui. Sous mandant de la Société des Nations, la Frange agit, de facto, comme s’il s’agissait d’un protectorat.

C’est en 1943 que le Liban proclame son indépendance, mais l’ingérence française y reste extrêmement forte. Ainsi depuis 1982 l’armée française y est présente en permanence. Aujourd’hui 700 soldats sont sur place dans le cadre de l’opération Daman.

Michel Aoun : un président au service de l’influence française

De par son histoire personnelle, l’actuel président libanais, depuis 2016 est profondément lié aux intérêts impérialistes français. L’accession du général à la présidence a permis à Paris de renforcer son influence dans les affaires internes du Liban. Dans l’histoire des interventions françaises au Liban, Michael Aoun occupe un rôle clef. En 1989, alors président du Conseil, et pour consolider son pouvoir face à l’autre gouvernement libanais pro-syrien, Michael Aoun offre une occasion à la France de faire son retour officiel dans les affaires internes en appelant Paris à intervenir militairement pour protéger les « zones chrétiennes ». En pleine guerre du Golfe, le général est chassé du pouvoir par l’armée syrienne et se retrouve en exil forcé pendant 15 ans … en France.

Après le départ, appuyé notamment par la France, des troupes syriennes du Liban, Michael Aoun met fin à son exil. A la faveur de la guerre civile syrienne, qui va polariser la vie politique libanaise entre les anti et les pro régime syrien, Aoun parvient à s’imposer comme garant du fragile équilibre politique libanais et accède à la présidence de la République libanaise, avec la bénédiction des chancelleries occidentales, Paris en tête. Macron, qui a promis de défendre les intérêts des entreprises françaises à l’international pendant la campagne présidentielle, ne s’est pas trompé en choisissant le président libanais comme première visite d’un chef d’Etat étranger, le 25 septembre 2017. 
 

Le Liban : un terrain privilégié de l’impérialisme français

Ce n’est pas un hasard si Macron se fait aujourd’hui l’interlocuteur privilégié des autorités libanaises. Il s’agit pour lui de pérenniser une porte d’entrée historique pour l’impérialisme français, et d’imposer ses vues par le chantage de la dette et des prêts conditionnés à des réformes économiques qui seraient dévastatrices pour les classes populaires.

Une situation renouvelée par la crise du coronavirus qui a aggravé la situation économique. La valeur de la livre libanaise a chuté de près de 80 % depuis septembre, dans le même temps les prix des biens courants de consommation ont explosé, avec une inflation de près de 90%. L’effondrement financier qui en a résulté a paralysé l’économie du pays, provoqué une flambée de l’inflation, du chômage et de la pauvreté. Près d’un libanais sur deux vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, alors que la classe moyenne libanaise était il y a peu considérée comme l’une des plus riches au monde. Ainsi, les 252 millions d’euros récoltés ce dimanche par la conférence internationale de soutien présidée par Emmanuel Macron sont un moyen pour l’impérialisme de faire du chantage pour exiger encore plus d’austérité au peuple libanais.

Pour Macron l’aide accordée par la France au Liban se fait sous l’égide d’intérêts économiques. Ainsi lorsqu’il entend faire se renouveler le secteur de l’énergie, à l’origine de 40 % de la dette du pays il prétend s’appuyer sur l’aide des « organismes privés et des entreprises françaises » (conférence de presse donnée à Beyrouth le 6 août). Les réformes qu’il propose répondent à un double objectif, celui de privatiser le secteur et d’autre part faire en sorte que ces investissements privés et leurs profits soient français.

Un objectif facilité par le « Contrat d’aide » qu’il a annoncé mettre en place entre le Liban et la France comme principal partenaire, avec la coopération des Nations Unies, de la Banque Mondiale, du FMI. Contre des prêts le Liban devra mener la réforme des « marchés publics » et leur privatisation, faisant ainsi payer le coût de la dette contractée auprès de la France aux travailleurs libanais, par la réduction de leurs salaires, l’augmentation de leurs temps de travail, …
Si l’impérialisme français conditionne son aide au Liban, c’est pour mieux en tirer profit ensuite, notamment en se garantissant de pouvoir disposer des marchés publics pour la reconstruction du port par les grandes entreprises françaises du BTP.

La France un des principaux vendeurs d’armes dans la région est complice des politiques criminelles menées au Proche et Moyen-Orient

En 2018 le gouvernement se félicitait d’ « excellents résultats » en ayant vendu pour 9,1 milliards d’euros de matériels militaires à l’étranger. Ce qui fait de l’hexagone le troisième plus gros exportateur d’armes au monde. 50 % des commandes venaient du Moyen-Orient. En deuxième place des clients de la France sur la dernière décennie, figure l’Arabie Saoudite, la troisième place est occupée par le Qatar.

Des armes qui servent directement aux massacres perpétrés au cours de la guerre du Yemen, qui sont fournis à des pays comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite, qui ont longtemps été des mécènes de Daesh. Selon un rapport élaboré par l’Institut des recherches d’armement et des conflits publié en 2020, un tiers des armes de l’organisation terroriste seraient fabriquées au sein de l’Union européenne. Ces armes sont également au cœur de la répression interne dans les pays du Moyen-Orient comme l’ont encore une fois prouvé les images de grenades « made in France » ramassées par les manifestants au Liban.

Sur ces cinq dernières années, l’ensemble de la contribution française à la « sécurité » du Liban s’élève à un demi-milliards, notamment pour l’achat de lance-missiles. Des achats qui auront permis aux classes dirigeantes libanaises de réprimer sévèrement le mouvement social entamé le 17 octobre dernier. Ainsi les grenades lacrymogènes libanaises sont fabriquées par Alsetex, une entreprise française spécialiste du secteur. Les lanceurs de grenade utilisés par la police libanaise ressemblent étrangement au modèle Cougar dont disposent les forces de l’ordre françaises. De plus les « gazeuses » libanaises viennent également de France. Des douilles signées SAPL ( société d’application des procédés Lefèbvre) ont également été retrouvées lors des dernières manifestations. Selon le site de l’entreprise, ces « balles en caoutchouc » peuvent provoquer de « graves blessures » lorsqu’elles sont tirées à moins de dix mètres, quand la munition noire « peut entraîner des blessures mortelles » lorsqu’elle touche une personne à moins de 35 mètres. Enfin selon Libération, au moins un blindé français, fabriqué par Renault Truck Defense) aurait été déployé lors des manifestations.

Les pays impérialistes, et la France en premier lieu, ne peuvent donc pas être une alternative pour les masses populaires, d’autant plus lorsque les armes qui servent à réprimer proviennent directement de France comme c’est le cas des grenades lacrymogènes employées à Beyrouth. Le système corrompu contre lequel luttent les classes populaires libanaises tient par l’appui des puissances impérialistes. Il s’agit de lutter contre leur ingérence, déguisée en période de crise aiguë sous forme d’aide internationale. Le salut des classes populaires, des travailleurs et des travailleuses du Liban, face à la crise économique, politique et sociale, passera par en bas dans la continuité des mobilisations en cours, en construisant une organisation de combat pour leurs intérêts et qui leur permette de déjouer les manœuvre et du régime et des impérialistes.


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