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Violences policières

Gaye Camara, tué par la police : une reconstitution remet en cause la version des policiers

Alors que la justice va très probablement confirmer le non-lieu déresponsabilisant les policiers ayant tiré sur le jeune homme dans l’affaire Gaye Camara le 21 janvier prochain, Disclose et Index après avoir reconstitué les évènements infirment la thèse de la légitime défense pour le policier auteur du tir.

Lili Krib

20 janvier 2021

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Crédit Photo : Disclose

Le 16 janvier 2018, une équipe de policiers surveille l’impasse du Baron-Saillard à Épinay-sur-Seine, où une Mercedes volée a été signalée, pour pouvoir arrêter la personne qui viendrait récupérer le véhicule. Aux alentours de minuit, un homme est déposé à l’entrée de l’impasse par une Polo Volkswagen. S’apprêtant à prendre le volant de la Mercedes, il est immédiatement interpellé. Une voiture de police fait alors barrage à la Polo Volkswagen pour empêcher la fuite de son conducteur, Gaye Camara, et de son passager, le cousin de Gaye Camara. Mais le jeune homme de 26 ans au volant redémarre, et les forces de l’ordre tirent sur son véhicule à huit reprises. Une balle l’atteint à la tête, et la Polo finit par s’encastrer dans la vitrine d’un fast-food. Le SAMU évacuera Gaye Camara, qui mourra deux jours plus tard à l’hôpital de Lariboisière à Paris. Son cousin, qui tente de prendre la fuite, est interpellé.

Refus d’accès aux images et à une reconstitution

Une enquête confiée à l’lGPN (Inspection Générale de la Police Nationale) est ouverte, et une plainte pour homicide volontaire contre l’auteur du tir est déposée le 22 janvier 2018 par la famille Camara, qui se constitue partie civile. « À plusieurs reprises, la famille Camara a demandé que soit diligentée une reconstitution des événements, en vain. » rappelle le média d’investigation Disclose. L’accès à l’intégralité des images recueillies par une caméra de surveillance sur place - et non seulement aux quelques captures d’écran fournies par la justice - demandé par l’avocat de la famille Me Yassine Bouzrou, a toujours été refusé sous prétexte que le travail de traitement des images par l’IGPN n’avait pas à être remis en cause. Par ailleurs, l’audition, non pas du seul auteur du tir ayant touché Gaye Camara à la tête, et entendu seulement en tant que témoin assisté, mais de l’ensemble des trois tireurs par la juge d’instruction a également été refusé.

Une justice fruit de l’orchestration de l’impunité policière

En juin 2019, le procureur adjoint du parquet de Bobigny déclare que les policiers ont agi en situation de légitime défense, validant l’argumentaire de l’auteur du tir qui avait affirmé que la Polo Volkswagen fonçait sur lui. En septembre de la même année, cette même conclusion portée par le juge d’instruction, permet de rendre une ordonnance de non-lieu sur l’affaire. Alors que l’avocate du fonctionnaire, Me Estelle Camus, se réjouit de la décision « mon client a toujours affirmé qu’il avait agi en situation de légitime défense, et sa version n’est pas contredite par les investigations et par les principaux témoins », la famille Camara, méprisée par la justice, fait appel. Le 15 décembre dernier la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris examinait ce recours lors d’une audience, à l’issue de laquelle Me Yassine Bouzrou s’était dit très pessimiste, anticipant la confirmation du non lieu. Le verdict du délibéré sera rendu le 21 janvier prochain.

La reconstitution des faits remet en cause la thèse de la légitime défense

Disclose rapporte que l’INPS (Institut National de Police Scientifique) « a établi les trajectoires de quatre des sept tirs qui ont atteint la Polo de Gaye Camara mais pas celle du tir qui l’a touché : La trajectoire du tir ayant impacté M. Camara ne pouvait être établie en raison de l’absence d’orifice de sortie note l’auteur du rapport ». Or lundi 18 janvier, soit trois ans après la mort de Gaye Camara, Disclose et Index -des agences d’expertises indépendante spécialisées sur les affaires de violences d’État et dont les enquêtes reposent sur l’utilisation des nouvelles technologies- ont publié une reconstitution des faits. Grâce à une modélisation 3D reposant sur les preuves recueillies au cours de l’enquête judiciaire, notamment le rapport d’autopsie, les photos de constatation prises le soir du 16 janvier 2018 et l’emplacement spatial final du véhicule, Disclose et Index parviennent à reconstituer les évènements et remettent en cause la version des faits défendue par les policiers et consacrée par la justice. Ainsi l’enquête conclue que la thèse de la légitime défense n’est pas viable, en prouvant qu’à l’instant du tir qui tuera Gaye Camara, la voiture ne fonçait pas sur le policier contrairement à ce qu’il avait toujours affirmé.

Une énième démonstration de l’impunité policière

Violences policères et racisme systémique au sein de l’institution de policière sont bien réels, et l’affaire Gaya Camara n’est pas isolée, de nombreux autres hommes racisés et/ou issus des quartiers populaires sont morts entre les mains de la police, comme Olivio Gomes, Shaoyao Liu ou encore Ibrahima Bah. Cela n’a pas empêché une évolution de la loi en faveur de l’impunité policière, puisque le 28 février 2017 était mise en place la loi relative à la sécurité publique, qui instaurait un assouplissement légal de l’usage des armes pour les forces de l’ordre, au nom de la légitime défense. Par ailleurs, l’absence de justice rendue pour ces affaires est manifeste. En mai 2017, Street Press recensait qu’« en 10 ans, au moins 47 hommes désarmés [étaient] décédés après avoir subis des violences des forces de l’ordre » et que « seules trois affaires [avaient] abouti à la condamnation d’un fonctionnaire. Jamais de prison ferme, uniquement du sursis. ». Les enquêtes ouvertes par la justice sont toujours à l’avantage des policiers. À l’inverse, les contre-expertises indépendantes commandées par les parties civiles révèlent bien souvent la responsabilité de ces derniers, comme en témoignent les affaires Adama Traoré ou Zineb Redouane pour laquelle la reconstitution des évènements par Disclose et Forensic Architecture avait également conclu à l’inconsistance de l’enquête menée par l’IGPN.

Il faudra donc être nombreux au rassemblement commémoratif pour Gaye Camara trois ans après sa mort, dimanche 7 février (11h au gymnase René Descartes de Champs-sur-Marne) pour montrer notre solidarité et notre soutien au comité Vérité et Justice pour Gaye.


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