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Les actionnaires euphoriques

Fusion Alstom-Siemens. « Airbus du ferroviaire » ou pas, les salariés sont en danger

La fusion entre Alstom et Siemens, tant voulue par le gouvernement de Macron, a finalement été actée et les oppositions sont grandes. La crainte des salariés aussi. Car malgré les promesses, rien ne peut assurer le maintient de la production des sites français. Les actionnaires, au contraire, sont aux anges.

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Crédits photo : SEBASTIEN BOZON / AFP

C’est la naissance d’un « Airbus du ferroviaire ». C’est au moins ce que la propagande gouvernementale voudrait faire croire. Ce mardi soir en effet la fusion entre les géants industriels français Alstom et l’allemand Siemens a été approuvée par les Conseils d’Administration des deux entreprises.

La fusion avait déjà été évoquée en 2014, sous le gouvernement de Hollande et quand Arnaud Montebourg était encore ministre. Mais celle-ci n’avait pas abouti car à l’époque Alstom avait cédé sa filiale énergie à General Electric. Le gouvernement Hollande jugeait peut-être trop risqué de procéder aussi à la fusion avec Siemens. D’ailleurs, c’est aussi en 2014 que l’État a emprunté 20 % en actions du capital de l’entreprise à Bouygues. Une façon de « démontrer » l’engagement du gouvernement du PS à l’époque avec ce « fleuron de l’industrie française » en centrant son activité sur le ferroviaire.

Cette fusion-vente d’Alstom a l’air d’un « choc » dans le paysage économique et politique français. A la différence d’autres géants industriels français qui ont été rachetés par d’autres multinationales étrangères comme Lafarge ou Alcatel, Alstom c’est une entreprise pour vanter la « grandeur de l’industrie française ». Alstom c’est le TGV, « fierté nationale ». Alstom c’est les rames de métro, les trains TER, les tramways, pour ne mentionner que les produits les plus visibles par le public. Alstom est donc une entreprise qui fait partie des piliers du capitalisme français, d’un point de vue économique et politique.

On assiste donc à un tournant. Comme c’est indiqué par le Financial Times : « cette transaction […] pourrait signaler un changement dans la politique d’intervention industrielle de la France sous le président Emmanuel Macron, en faveur de la création de ‘‘champions européens’’ – même si cela signifie vendre des actifs industriels qui étaient autrefois considérés stratégiques ».

Avec cette fusion de l’activité ferroviaire des deux entreprises, Siemens contrôlera entre 45 et 50 % du capital de la nouvelle entité. Donc aura la majorité au CA et pourra imposer ses vues et choix stratégiques. L’État français de son côté a jusqu’au 17 octobre pour rendre effective son option d’achat des actions prêtées par Bouygues, mais pour le moment cela semble être hors de question. De toute façon, avec la nouvelle capitalisation de l’entreprise fusionnée, la part détenue par l’État ne serait que de 10 % au lieu de 20 % aujourd’hui. Si le gouvernement décide de ne pas acheter ces actions, Bouygues en redeviendra le propriétaire.

Le gouvernement essaye de rassurer les critiques en disant qu’il exigera des engagements à la contrepartie allemande et en déclarant qu’il s’agit de créer un « Airbus ferroviaire ». Cependant, pour beaucoup cette fusion actera le passage de ce « fleuron de l’industrie nationale » sous contrôle des capitaux allemands. « Ne nous racontons pas d’histoire : c’est Alstom qui sera avalé par Siemens », a déclaré Xavier Bertrand (LR). « Le TGV va-t-il devenir allemand ? Pourquoi le gouvernement a-t-il accepté un tel déséquilibre ? », s’agite Eric Woerth.

Plus conciliante mais critique, Valérie Pécresse a déclaré : « Je souhaite évidemment - et je suis inquiète - que cet ‘Airbus du ferroviaire’, qui n’est pas une mauvaise idée, ne se fasse pas au détriment de la France ». Nicolas Dupont-Aignan a quant à lui été plus agressif : « c’est une immense escroquerie qui va mettre Alstom transports sous la domination complète de Siemens […] Il est insupportable qu’après Lafarge, Alcatel, Technip, on passe [Alstom] sous contrôle étranger en nous disant qu’il n’y aura pas de conséquences pour l’emploi et les savoir-faire ». Les députés de la France Insoumise disent « non à la vente à la découpe d’un fleuron industriel français » et réclament une commission d’enquête.

Même le très libéral Les Échos dans un édito de son directeur, Nicolas Barré, avance des critiques sur la fusion en demandant à l’Etat de rester actionnaire : « que valent les garanties avancées, telles que le maintien d’un siège en France ou d’un patron français ? Fondamentalement, rien. Des mots. Avec la majorité du capital, Siemens sera maître du jeu. […] L’assurance que rien ne bougera pendant quatre ans ressemble même à une manière d’endormir la proie et n’offre aucune certitude d’un ancrage durable en France. Si Français et Allemands veulent véritablement bâtir un « Airbus du ferroviaire », la seule manière de faire en l’état actuel, et faute de mieux, serait que l’Etat reprenne la part de Bouygues et devienne actionnaire de poids de ce nouvel ensemble, aux côtés de Siemens ».

Effectivement, au-delà des discours hypocrites sur « l’industrie française » et la défense de ce « fleuron industriel », le grand danger réel pèse essentiellement sur les presque 9 000 salariés du groupe Alstom en France. Selon les déclarations du gouvernement, Siemens s’engage à préserver les emplois au moins pendant quatre ans. Mais on sait très bien que les travailleurs ne peuvent faire aucune confiance aux « promesses » des patrons.

Les « inquiétudes » sur la « perte d’influence française » sont également des contes de fées pour les salariés. Quelle « influence française » a empêché des groupes bien français comme PSA, dont l’État est actionnaire, de fermer des usines en France, de licencier massivement ? Contrairement à ce qu’affirment les politiciens nationalistes, protectionnistes et souverainistes, les capitalistes français, pas plus que l’État lui-même, ne sont en rien une garantie pour la survie des postes d’emploi face aux « méchants capitalistes étrangers ».

La réalité c’est que cette fusion est aussi une opportunité d’assurer de gros profits pour le capital français : depuis cinq jours l’action Alstom a grimpé de plus de 10 %. Mais la fusion d’Alstom avec Siemens est aussi l’expression de la perte de vitesse du capitalisme français au niveau mondial, même dans les secteurs où il a toujours été un « champion » comme les infrastructures. En effet, la fusion avec Siemens a lieu dans un moment où l’autre grand concurrent du secteur, le canadien Bombardier, cherchait à se rapprocher de la multinationale allemande. Cela mettait en risque Alstom qui aurait été dans une position très mauvaise face à la concurrence internationale.

Pour le gouvernement il s’agit peut-être d’un nouveau front de mécontentement qui pourrait encore accentuer sa perte de popularité. La fusion d’Alstom pourrait en effet devenir un nouveau dossier encombrant où il pourrait y laisser des plumes.


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