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10 ans après

Fukushima : les travailleurs et les habitants payent encore le prix des décisions de grands industriels

Le jeudi 11 mars marquait les 10 ans de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Le séisme et le tsunami en résultant ont fait des milliers de morts dans la ville, et les conséquences de l’accident nucléaire se font encore sentir aujourd’hui.

Inès Rossi

11 mars 2021

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Crédits photo : Charly Triballeau / AFP

Le 11 mars 2011 à 14h46 heure locale a lieu le séisme le plus violent de l’histoire du Japon. D’une magnitude de 9,1, soit l’échelon maximal de l’échelle de Richter, il est suivi d’un tsunami dévastateur. Des vagues dépassant parfois les 30 mètres de hauteur s’abattent sur les côtes nippones. À Fukushima, ville côtière abritant une des plus grandes centrales nucléaires au monde, ces deux événements provoquent un de niveau 7, le plus élevé sur l’échelle internationale des événements nucléaires (ISNE) des accidents nucléaires et radiologiques. En tout, la catastrophe fait 18 079 morts et disparus dans le pays et engendre une destruction considérable. Le raz-de-marée est à l’origine de 90 % des victimes.

L’accident marque à jamais les consciences. L’UE décide de passer en revue tout son parc nucléaire. Le Japon aussi. Un mois après la catastrophe, l’Allemagne annonce même sortir du nucléaire.

Le séisme et le tsunami endommagent irrémédiablement les réacteurs de la centrale nucléaire. Sur 4 réacteurs, 3 explosent, et un incendie se déclenche dans la centrale. Tout ceci provoque des émissions de produits radioactifs dans l’air, menaçant directement les habitants d’une ville déjà sinistrée. 140 000 personnes habitant dans un rayon de 20 km de la centrale sont évacuées. Ils sont tout de même exposés à de faibles niveaux de radiation.

Dix an après, le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (Unscear), chargé d’évaluer les effets de ces radiations sur les habitants, rend la conclusion suivante : « aucun décès ni aucun effet néfaste sur la santé des résidents de la préfecture de Fukushima directement attribuable à l’exposition aux rayonnements n’ont été documentés, et il est peu probable qu’un effet futur sur la santé soit perceptible ».

Si l’on ne peut que se réjouir d’une telle conclusion, n’oublions pas que des cancers peuvent se déclencher très tard en cas de radiation minime. De plus, cette étude rassurante a eu tendance à faire oublier, dans la presse, les bien plus fortes doses de radiation auxquelles ont été exposés les travailleurs de la centrale nucléaire, et ceux engagés pour déblayer et décontaminer les lieux après l’explosion. En plus des radiations, ils travaillent dans des conditions déplorables, sont mal-nourris, mal-logés, privés de leurs familles. Certains souffrent même de brûlures dues à un contact prolongé avec de l’eau fortement radioactive, élément connu de l’opérateur qui n’a pas jugé bon de les prévenir. Les cadences de travail sont infernales, au point qu’un travailleur épuisé meurt d’une crise cardiaque suite à une surcharge de travail sur le chantier. À ce jour, le gouvernement japonais ne reconnait que six cas de cancer lié aux radiations reçues sur le chantier.

N’oublions pas non plus que si le raz-de-marée a été dévastateur, tout accident sur une centrale nucléaire peut avoir des conséquences dramatiques, qui doivent être prises en compte par les gestionnaires des centrales. Or, en octobre 2012, la compagnie d’électricité japonaise Tepco, qui exploitait la centrale nucléaire de Fukushima, a admis qu’elle avait volontairement minimisé le risque de tsunami pour ne pas à avoir à fermer la centrale pour la sécuriser davantage. L’entreprise cache également l’existence de fissures dans des cuves de réacteurs. Avant même la construction de la centrale, des sismologues tentent d’alerter sur la forte probabilité de séismes dans cette zone, en vain.

Les travailleurs et les habitants de Fukushima paieront le prix des décisions de ces grands industriels : en plus des risques sanitaires, les populations évacuées souffrent également de leurs conditions d’évacuation. Sur les 300 000 personnes ayant quitté la préfecture de Fukushima entre l’accident et août 2013, environ 1 600 morts seraient attribuables aux conditions d’évacuation. Ainsi, en comptant les maladies contractées en raison du mal logement, les conditions d’hébergement dans les abris de réfugiés, l’épuisement, la détresse psychologique menant aux addictions et aux suicides, etc. on arrive à un chiffre équivalent au nombre de morts pendant le tsunami et le séisme. Une grande partie de la zone est encore inhabitable, et le sera encore pendant des années au vu de la pollution aux particules radioactives, qui affectera l’écosystème local pour des centaines d’années.

Les catastrophes naturelles ne peuvent être évitées. En revanche, la prise en charge des victimes, la gestion des risques nucléaires, etc. sont des décisions prises par des États et des grandes entreprises. La ville de Fukushima en est un symbole : la gestion d’une centrale nucléaire par des capitalistes, qui l’ont construite en zone à risque et sont sciemment passés outre les normes de sécurité pour ne pas avoir à débourser plus de sous a causé la mort d’autant de personnes qu’une catastrophe naturelle contre laquelle les humains sont impuissants. De tels risques sanitaires ne peuvent pas être gérés par des capitalistes, qui ne subiront jamais les conséquences des accidents, contrairement aux travailleurs qu’ils envoient déblayer les débris. C’est aux travailleurs et aux habitants, dont la santé est en jeu, de prendre les décisions concernant ces lieux.


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