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Droit à l'avortement

États-Unis. Le droit à l’IVG a protégé les démocrates mais les démocrates ne protégeront pas le droit à l’IVG

Les élections de mi-mandat ont montré que les Américains se soucient profondément des droits reproductifs. Les Démocrates ont réussi à se positionner comme les défenseurs de l'avortement, mais refusent de le protéger.

Tatiana Cozzarelli


et Molly Rosenzweig

18 novembre 2022

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Cet article est une traduction d’un article initialement paru sur LeftVoice, le journal frère de Révolution Permanente aux États-Unis.

Ces élections de mi-mandat étaient censées être un “tsunami rouge”. Mais, en grande partie à cause de la colère suscitée par l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade [l’arrêt qui rendait de facto l’accès à l’avortement légal nationalement - NDT] et du soutien aux droits reproductifs, il n’y a pratiquement pas eu de vague rouge. Les Républicains vont probablement remporter la Chambre des représentants avec une marge minime, et les Démocrates vont conserver - ou peut-être même étendre - leur majorité au Sénat. Les démocrates ont réussi à se positionner comme un vote en faveur des droits reproductifs qui, comme ces élections l’ont montré, sont au cœur des préoccupations de nombreuses personnes. Dans tout le pays, y compris dans les États rouges, les initiatives de vote indiquaient un soutien à l’avortement et, après l’inflation, l’avortement était indiqué comme la principale motivation dans les urnes.

Malgré leur inaction en matière de droits reproductifs, la stratégie du parti Démocrate consistant à assimiler un vote pour eux à un vote pour le droit à l’avortement a bien fonctionné pour les candidats démocrates. Mais d’ores et déjà, il est clair que cette stratégie ne fonctionnera pas pour les droits reproductifs, Biden ayant déclaré qu’il n’y a toujours pas assez de votes pour faire rentrer Roe dans la loi.

Ces midterms ont mis en lumière la volonté de lutter pour le droit à l’avortement chez des millions de personnes. Ils ont également mis en lumière la manière dont cette volonté de lutte est canalisée de manière opportuniste vers un parti qui n’a rien fait pour mériter le vote en faveur de la justice reproductive et qui refuse toujours de protéger le droit à l’avortement.

L’avortement et les Midterms

En Californie, au Michigan et au Vermont, les électeurs ont inscrit le droit à l’avortement dans la constitution de leur État. Dans le Kentucky, un État profondément rouge, ainsi que dans le Montana, les électeurs ont rejeté les mesures anti-avortement, reflétant les résultats obtenus au Kansas au cours de l’été.

Un nombre historique de personnes ont voté, en particulier les électeurs de moins de 30 ans, et le taux de participation a été nettement plus élevé dans les États clés. Les jeunes électeurs ont préféré les Démocrates par une marge de 28 points, avec un soutien plus fort chez les jeunes racisés. En Pennsylvanie, par exemple, les jeunes électeurs ont soutenu le candidat au Sénat John Fetterman par 42 points.

Les sondages réalisés à la sortie des bureaux de vote indiquent que l’avortement est arrivé juste après l’inflation dans les motivations qui ont poussé les électeurs à se rendre aux urnes.

Dans des États clés comme le Michigan et la Pennsylvanie, l’avortement a dépassé l’inflation en tant que question numéro un qui a motivé la décision des électeurs dans les bureaux de vote. Dans le Michigan, cela s’est traduit par une victoire à deux chiffres pour Gretchen Whitmer. En Pennsylvanie, cela signifie que malgré une performance désastreuse au débat, Fetterman a fait basculer un siège au Sénat avec une marge confortable.

Ces résultats soulignent une fois de plus la nature antidémocratique de la Cour Suprême. Ils montrent qu’en effet, dans les États rouges, violets et bleus, la population est d’accord pour que l’avortement soit légal. Les neuf dirigeants non élus de la Cour Suprême ont, d’un seul coup, supprimé ce droit.

Cela vaut même pour les Républicains encartés, comme cette électrice de Pennsylvanie qui a déclaré qu’elle aurait voté républicain s’il n’y avait pas eu la décision Dobbs, et qui a fini par voter directement démocrate. Comme le dit Tamarra Wieder, directrice d’État pour Kentucky Planned Parenthood Alliance Advocates, "l’avortement transcende les limites des partis." Elle a mentionné que son équipe rencontrait fréquemment des électeurs républicains qui prévoyaient de voter démocrate au moment du scrutin.

L’avortement n’a pas seulement été sur le devant de la scène en tant que mesure proposée au vote sur le bulletin dans plusieurs Etats, mais il a aussi été un facteur déterminant dans le choix des candidats. Les jeunes électeurs ont également joué un rôle énorme, en particulier les jeunes femmes ; un sondage a révélé que 24 % des femmes citent le droit à l’avortement comme une question clé. Beaucoup plus de femmes se sont inscrites comme nouveaux électeurs après la décision Dobbs.

Cela ne signifie pas, cependant, que les républicains anti-avortement ont été rabroués dans tout le pays. C’est loin d’être le cas. Des leaders de l’extrême-droite comme Ron DeSantis et JD Vance ont gagné par des marges massives, soulignant que l’extrême droite continue de gagner des sièges au gouvernement.

Pourtant, il est également important de noter que nos droits ne devraient pas être soumis à des votes ; le droit à l’avortement est un droit humain fondamental. Il ne devrait pas être soumis à un vote - il devrait être garanti comme faisant partie de nos droits fondamentaux. Cela dit, ces initiatives de vote indiquent que la plupart des gens sont d’accord sur un sujet : le droit à l’avortement est fondamental.

Oui, c’était l’avortement

Dans les jours qui ont précédé les élections de mi-mandat, on a pu entendre un secteur du parti Démocrate, de Bernie Sanders à Barack Obama, demander que les démocrates réorientent leur message vers des demandes sur "le pain et de beurre" et des questions relatives à la "classe ouvrière". Le magazine Jacobin est allé jusqu’à dire : "C’est l’économie, espèce de crétin absolu" - affirmant que des campagnes sur les droits reproductifs seraient une stratégie perdante.

Il est clair que l’économie et l’inflation sont des questions centrales dans ces élections. On ne peut le nier. Lorsque vous payez 2 dollars pour des œufs et que vous en payez maintenant 7, il est impossible que l’économie ne soit pas au premier plan des préoccupations des gens.

Mais la vérité est que les gens - en fait, la classe ouvrière - se soucient vraiment du droit à l’avortement. Et cela s’est exprimé dans les cinq mesures de vote autour des droits reproductifs, et cela s’est exprimé dans les pertes républicaines tout au long des midterms. Jacobin, Bernie Sanders et consorts ont sous-estimé les électeurs de la classe ouvrière : ils et elles savent qu’il s’agit d’une attaque historique, et ils veulent faire quelque chose pour la changer.

Étonnamment, la synthèse des leçons tirées des élections de mi-mandat par le magazine Jacobin mentionne à peine l’avortement, ce qui va à l’encontre de tous les sondages de sortie des urnes et de l’analyse de presque tous les experts politiques. Depuis lors, Jacobin a ajusté sa ligne politique pour donner plus de poids à l’avortement. Mais il convient à nouveau de souligner que l’insistance de Jacobin sur le fait que la classe ouvrière ne se préoccupe que des questions de pain et d’argent l’a conduit à sous-estimer le rôle que l’avortement jouerait dans les élections et, plus important encore, à appeler les socialistes à se concentrer sur ces questions de pain et d’argent au lieu d’unir les revendications autour des droits reproductifs et de l’économie.

La crise économique et l’inflation sont des questions liées aux droits reproductifs ; dans un pays où il n’existe pas de services publics de garde d’enfants ni de congé parental, où les prix augmentent alors que les salaires restent les mêmes, la question de savoir qui paie la crise économique est une question liée aux droits reproductifs.

Pourtant, ni les Républicains ni les Démocrates n’ont de véritable réponse à la crise ; ils sont tous deux d’accord pour dire que la classe ouvrière paiera pour la crise. Il n’est pas étonnant que la nomination du président de la Réserve Fédérale des Etats-Unis [la banque centrale du pays - NDT], Jerome Powell, soit l’expression d’un accord bipartisan - nommé à la fois par Trump et Biden. Il est également clair que les Républicains ont tiré parti de la crise pour tenter de gagner le vote de ceux qui sont préoccupés par l’économie - et ils y sont parvenus à une majorité écrasante. C’est précisément la raison pour laquelle la rhétorique du droit à l’avortement et le populisme "les travailleurs d’abord" de Tim Ryan sont des mensonges cyniques provenant du parti démocrate.

Le rôle des socialistes doit être de s’appuyer sur ce sentiment très progressiste parmi des millions de personnes de la classe ouvrière : nous devons faire quelque chose à propos du droit à l’avortement. Le rôle des socialistes doit être de souligner que les luttes pour les droits reproductifs et la lutte contre l’inflation se chevauchent, qu’aucun des deux partis institutionnels n’a de solution, et que nous devons nous organiser pour combattre toutes les attaques faites contre la classe ouvrière et les opprimés.

L’utilisation cynique de nos droits

Les Démocrates ont tenté de centrer les primaires sur le droit à l’avortement ; ils ont dépensé des millions de dollars pour se positionner comme les défenseurs des droits reproductifs et pour mettre en évidence la vision réactionnaire du parti Républicain sur l’avortement - et ils ont effectivement une vision réactionnaire. Par exemple, le candidat du parti Républicain au poste de gouverneur en Pennsylvanie, Doug Mastriano (qui a perdu), s’oppose à l’avortement sans aucune exception. Dans une interview de 2019, lorsqu’on lui a demandé si les personnes qui avortent devraient être accusées de meurtre, il a répondu oui.

Les Démocrates ont essayé de faire de ces midterms un référendum sur l’avortement, se positionnant comme un vote pour les droits reproductifs. Ce n’est pas le cas. Les Démocrates, qui ont la majorité au Congrès, pourraient faire passer le droit à l’avortement aujourd’hui s’ils le voulaient. Biden a cyniquement promis que les Démocrates codifieraient Roe s’ils obtenaient la majorité au Congrès - comme s’ils n’avaient pas la majorité à l’heure actuelle. De plus, les Démocrates ont eu des supermajorités dans le passé, comme au début du mandat d’Obama, et n’ont toujours pas codifié Roe.

Il est faux de dire qu’un vote pour les démocrates est un vote pour les droits reproductifs.

Et c’est encore plus vrai lorsque nous voyons que les droits reproductifs et la justice reproductive, dans l’héritage de SisterSong [une organisation historique de femmes racisées qui se battent pour les droits reproductifs aux Etats-Unis - NDT], incluent la lutte contre la police, les prisons, les frontières et les centres de détention de l’ICE, qui séparent les familles et refusent aux gens le droit d’être parents. Comme les Démocrates ont mené une campagne sur l’axe “law and order” (“la loi et l’ordre”, un slogan sécuritaire étasunien), ainsi que sur la "protection de la frontière", ils ne défendent pas les droits reproductifs, et encore moins la justice reproductive. Les droits reproductifs signifient également que la classe ouvrière ne doit pas payer pour la crise économique.

Mais il ne fait aucun doute que des millions de personnes ont perçu les Démocrates comme les défenseurs des droits reproductifs et ont voté en conséquence. La réalité est que les bureaucraties des ONG qui disposent de millions de dollars et de millions d’adeptes ont canalisé la colère suscitée par l’annulation de l’arrêt Roe vers le parti démocrate. Lorsque la Women’s March, l’une des plus grosses organisations féministes aux Etats-Unis, a organisé une conférence nationale, c’était avant tout pour inciter les gens à se rendre aux urnes. Et le week-end des 8 et 9 octobre, la Women’s March a appelé à un week-end d’action - en liant explicitement ces actions aux bureaux de vote.

Nous ne devons pas considérer l’absence d’action politique au cours de l’été comme une erreur politique de ces grandes ONG. Nous devrions plutôt comprendre qu’elles travaillent en étroite collaboration avec le parti Démocrate pour canaliser toute la colère vers ce parti.

Et ça a marché pour les Démocrates. Mais ce n’est pas une stratégie gagnante pour les droits reproductifs. L’avortement est toujours interdit dans tout le pays, et malgré le tour de piste de Biden, il ne semble pas que cela soit sur le point de changer. Les Démocrates ne parlent même pas de codifier Roe avant que les républicains ne prennent la Chambre en janvier. La réalité de l’avortement est que dans les États où il est légal, l’amendement Hyde, bipartisan, garantit que les personnes à faibles revenus auront du mal à accéder à l’avortement.

Encore et encore, élection après élection, les gens ont voté pour protéger les droits reproductifs. Cela montre à quel point les gens croient qu’il s’agit d’un droit humain fondamental. Mais cela montre aussi à quel point il s’agit d’une stratégie perdante.

Mener le combat dans la rue

Il est clair que la plupart des habitants des États rouges et bleus pensent que les gens devraient avoir accès à l’avortement. Il est clair que les gens veulent faire quelque chose à ce sujet - c’est pourquoi ils ont fait la queue pendant des heures pour voter, avec l’avortement en tête. Mais nous ne pouvons pas compter sur les Démocrates pour protéger les droits reproductifs, et nous ne pouvons pas non plus compter sur le vote. Cette stratégie au coup par coup est utile pour les élections du parti Démocrate, mais pas pour s’assurer que chaque personne dans le pays a accès à un avortement libre, sûr et légal.

Nous devons également souligner le lien entre la lutte pour les droits reproductifs et la lutte contre l’inflation, contre les prisons, les frontières et la police. Ce sont tous des problèmes liés aux droits reproductifs, et nous devons nous organiser et les combattre tous. C’est aux socialistes de faire ces liens, et c’est aux socialistes de souligner que les deux partis ne nous offrirons rien en échange de nos votes.

Nous devons nous inspirer des exemples de l’Argentine, du Mexique, de l’Irlande et du Chili, où le droit à l’avortement a été gagné dans la rue. Alors que les directions des mouvements comme la Women’s March vont traîner les pieds pour organiser un mouvement, les socialistes peuvent et doivent jouer un rôle de premier plan dans la lutte dans les rues, et non pas semer des illusions que voter pour les Démocrates protégera nos droits.


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