"Miracle coréen" ?

Corée du Sud. "Des mesures efficaces mais des sacrifices pour les travailleurs"

Yeon-Hong

Corée du Sud. "Des mesures efficaces mais des sacrifices pour les travailleurs"

Yeon-Hong

La Corée du Sud fait figure d’exception dans la gestion de la crise sanitaire mondiale liée au Covid-19. Dépistages massifs, contention de la maladie, faible taux de mortalité… Certains médias français parlent d’un « miracle coréen ». RP Dimanche a interviewé Yeon-Hong, militant de Solidarité militante pour la liberté des travailleurs (NoHeTu) et directeur de publication de leur journal.

RP Dimanche : L’OMS et de nombreux analystes pointent la réponse des autorités coréennes, qui ont mis en œuvre des campagnes de tests massives et agressives, en la citant comme un modèle pour lutter efficacement contre l’épidémie de Covid-19. La mise en œuvre de tests massifs semble avoir été une mesure sérieuse pour contenir et combattre le virus mais aussi pour éviter une mise en quarantaine massive et autoritaire. Peux-tu nous expliquer quelle était exactement cette mesure ?

Yeon-Hong Quand la crise du Covid-19 a commencé, le gouvernement a appelé à une réponse agressive. L’administration de Moon est bien consciente que de nombreuses personnes sont sensibles aux questions de sécurité après l’incident du ferry de Sewo dans l’administration précédente. De nombreuses personnes se sont battues pour que le précédent président Park soit condamné. Le président Moon devait paraître différent de ses prédécesseurs pour maintenir la légitimité de son administration. C’est l’arrière-plan de cette campagne de tests agressive menée par l’administration de Moon.

Je pense que ce genre de politique est nécessaire pour lutter contre le Covid-19 et qu’elle a permis de réduire le taux de mortalité du virus en Corée du Sud. À l’inverse, le gouvernement japonais refuse de généraliser les tests et fait le choix de dissimuler la situation. De nombreuses personnes meurent sans même savoir si elles sont infectées par le Coronavirus. Mais l’administration de Moon mène cette politique d’une manière bourgeoise, c’est-à-dire d’une façon qui ne fait reposer les difficultés de la crise que sur les travailleurs. Je sais que certaines personnes utilisent le cas de la Corée du Sud comme un « modèle » à suivre mais il faudrait voir ce qu’il y a derrière ce modèle. Comme vous le savez, le nombre de tests effectués en Corée du Sud est immense. Nous devons nous demander qui réalise ces tests. Ce sont des travailleurs. Ils font leur travail durant de longues heures et avec peu de repos. Nous nous inquiétons du fait qu’ils pourraient mourir d’épuisement, pas du virus. En réalité, il y a des cas dans lesquels des fonctionnaires publics sont morts de surmenage. La Corée du Sud est connue pour ses longues journées de travail et de nombreux travailleurs en meurent. Dans le cas de la crise sanitaire liée au coronavirus, c’est le même problème. Voilà la réalité derrière le « modèle » sud-coréen.

Peux-tu en dire un peu plus à propos de l’affaire du Ferry Sewol ?

Y-H : Le 16 avril 2014, un bateau (nommé Sewol) transportant des étudiants et des enseignants dans le cadre d’un voyage scolaire a échoué en mer. 304 personnes ont trouvé la mort dans cet accident. Davantage de personnes auraient pu être sauvées mais le gouvernement à cette époque n’était pas très actif dans ses efforts pour sauver des vies. La police a sauvé le capitaine et son équipage qui s’étaient échappé les premiers. Ils ont ordonné aux étudiants de rester tranquilles (« Ne bougez pas »). Les étudiants ont obéi aux ordres et c’est pour ça qu’ils n’ont pas réussi à s’échapper et qu’ils sont morts. La cause du naufrage n’est toujours pas claire à l’heure actuelle mais il est évident que le risque a été augmenté par le fait de garder un vieux bateau en opération dans le seul but de réduire les coûts et de transporter une charge trop importante pour faire plus de profit. Il y a eu des grèves pour réclamer la vérité à propos du naufrage et demander à ce que les responsables soient punis. Ces grèves ont été suivies d’une répression sévère de l’administration Park. Cet incident a intensifié la méfiance sociale envers le président Park et a soulevé publiquement des questions sur « qu’est-ce que l’Etat ? ». D’un côté, l’autorité de l’Etat s’est affaiblie et de l’autre, l’idée de devoir vivre par ses propres moyens sans attendre des ordres ou du soutien (« Personne ne t’aidera ») est devenue plus forte.

Où en est la situation actuelle en Corée du Sud par rapport à l’épidémie de Coronavirus ?

Y-H :Le 13 février, le président Moon a annoncé que cette situation prendrait bientôt fin. Mais depuis, le nombre d’infections a fortement augmenté. Il y a maintenant plus de 8 000 personnes infectées et le bilan des décès est de 100 personnes. La propagation semble avoir un peu ralenti, mais personne ne peut être rassuré. Tout le monde porte des masques quand ils prennent le bus ou le métro. Et on voit quotidiennement de longues queues devant les pharmacies pour l’achat de masques.

De nombreux magasins et petits commerces ont été fermés. Les travailleurs ont donc perdu leur emploi ou sont forcés de prendre un congé non payé. Il y a une montée du racisme. Certains coréens expriment un sentiment raciste envers la population chinoise. Mais en même temps, les coréens souffrent de discrimination raciale aux Etats-Unis et en Europe. L’anxiété et la peur se répandent un peu partout.

Que peux-tu dire à propos des plus précaires et de l’épidémie ? Et comment fonctionne le système de santé en Corée du Sud ?

Y-H : Le Covid-19 révèle l’état réel de la société sud-coréenne. Les personnes handicapées qui ont été confinées dans un hôpital de soins ont été collectivement infectées par le virus. Elles n’ont pas été traitées correctement et il y a donc eu un certain nombre de morts. L’aide du gouvernement en faveur des personnes handicapées est très insuffisante.

Il en est de même pour les travailleurs immigrés. Les droits des travailleurs immigrés sont très faibles en Corée du Sud. Puisqu’ils doivent souvent travailler illégalement, il est particulièrement difficile pour eux d’avoir des masques (il faut une carte d’identité pour acheter des masques en pharmacie). C’est en réalité le cas pour tous les travailleurs en sous-traitance. Les capitalistes, qui veulent toujours diviser les travailleurs, discriminent également les travailleurs en sous-traitance en fournissant des masques de bonne qualité et en quantité suffisante aux travailleurs à temps plein (réguliers), mais pour les sous-traitants, ils fournissent des masques de mauvaise qualité ou en quantité insuffisante et ils n’appliquent pas les mesures de quarantaine, telle que la stérilisation.

Je pense que le système de santé en Corée du Sud est moins cher et meilleur qu’aux Etats-Unis qui est le pays le plus capitaliste. Mais en raison des bas salaires, se rendre à l’hôpital est encore un lourd fardeau pour les travailleurs coréens. Le plus contradictoire est que d’innombrables travailleurs meurent dans des accidents industriels sur leur lieu de travail donc quel est l’intérêt dans ces conditions d’un bon système de santé ?

En France, sous le gouvernement du président Macron, plus de 17 000 lits d’hôpital ont été supprimés. Les derniers gouvernements sud-coréens ont-ils imposé de telles mesures d’austérité dans le système de santé ?

Y-H : Oui, les administrations précédentes ont voulu imposer des mesures d’austérité dans le système de santé. Par exemple, l’ancien gouvernement a fermé un hôpital public dans la ville provinciale de Jinju. La raison qu’ils ont donné était que cet hôpital était déficitaire et inefficace. C’était en 2013. Ainsi, quand le MERS-Cov s’est propagé en 2015, et même maintenant avec le Covid-19, il y a eu beaucoup de dégâts dans cette région.

Est-ce que le gouvernement actuel est différent ? Non. Le président Moon a promis de renforcer le système de santé avant de devenir président mais après, rien n’a été fait. En Corée du Sud, les hôpitaux publics ne représentent que 5,4 % du total des infrastructures de santé. C’est le pire chiffre parmi les pays de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques). Cependant, l’administration du président Moon semble ne pas être différente des administrations précédentes, c’est à dire qu’elle pousse à la déréglementation au lieu de renforcer le système de santé publique.

Peux-tu comparer l’épidémie de Covid-19 avec celle du SARS en 2003 ou celle du MERS en 2015 ?

Y-H : Quand le SARS s’est propagé en 2003, la Corée du Sud n’a pas été très affectée et, par chance, il y a eu peu de cas. Le MERS a frappé durement en 2015. À l’époque, le gouvernement n’a pas communiqué de façon transparente et les hôpitaux n’étaient pas préparés à devoir traiter des maladies infectieuses. Il y a eu des situations d’explosion des infections dans les meilleurs hôpitaux de Corée. L’épidémie de MERS a permis de réaliser l’importance de répondre à l’émergence de nouvelles maladies infectieuses. Grâce à cette expérience, l’importance d’une divulgation transparente des informations et d’une réponse précoce et active a été reconnue. En conséquence, la capacité de réponse à ce genre d’événement est aujourd’hui meilleure que par le passé. Cependant, il manque quand même un plan de développement du système de santé public pour gérer efficacement ce genre de situations.

Peux-tu nous donner quelques détails sur la politique agressive menée contre le Covid-19 ? Quel type de mesures ont été prises par le gouvernement ?

Y-H : L’administration de Moon a publié les informations de façon transparente à mesure qu’elle répondait à la crise du Covid-19. Quand une personne infectée est diagnostiquée à un endroit, l’information est communiquée aux citoyens par textos (sur les smartphones). L’itinéraire des déplacements de la personne infectée et les endroits qu’elle a visités sont divulgués. Certaines critiques ont été faites considérant que cela revenait à violer les droits des personnes infectées. Comme nous l’avons déjà dit, le test est rapide et généralisé et dès qu’une personne est diagnostiquée, tous ceux qui ont été en contact avec elle sont testés à leur tour.

Nous n’avons pas à nous inquiéter du prix car le test est gratuit si nous l’effectuons à la demande d’un médecin (le test coûte 160,000 won [environ 120 130 dollars] si vous le faîtes par vous-même sans ordonnance du médecin). Sans attendre que les patients aillent à l’hôpital, le gouvernement est parti à la recherche des personnes infectées et de celles avec lesquelles elles avaient été en contact, ce qui a eu un impact positif sur la baisse du taux de mortalité. Les bureaux, bâtiments et autres dans lesquels des malades sont diagnostiqués sont fermés. Autrement dit, le gouvernement n’a pas complètement fermé les frontières, fermé la ville ou fermé les magasins mais a seulement fermé les endroits où des personnes infectées étaient diagnostiquées et a effectué une stérilisation. Un travail intense de désinfection a aussi été effectué dans les endroits où de nombreuses personnes circulent, dont les aéroports, les gares ferroviaires et les stations de métro etc... Bien sûr, ce processus s’accompagne de sacrifices faits par les travailleurs.

Quelle sont les réactions des travailleurs et des organisations de travailleurs face à cette situation ?

Y-H : De façon générale, les travailleurs sud-coréens ne sont pas dans de très bonnes conditions morales donc des grèves pour réclamer des mesures de sécurité, comme c’est le cas en Italie par exemple, n’émergent pas aujourd’hui. Certains syndicats organisent des conférences de presse, d’autres négocient avec les entreprises en demandant des mesures de sécurité telles que l’approvisionnement de masques. Et certains militants écrivent et distribuent des tracts sur leur lieu de travail.

Mais il y a quelques jours, les dirigeants des deux principaux syndicats (KCTU et FKTU) se sont réunis avec le président Moon. L’administration Moon veut faire un nouvel accord social et les bureaucraties syndicales semblent prêtes à coopérer avec les plans du gouvernement. Nous sommes prudents à propos de cela.

Quelle est la position de votre organisation par rapport au Covid-19 ?

Y-H : Le Covid-19 montre exactement comment fonctionne le capitalisme et il en accentue la crise. Les capitalistes font payer leurs pertes économiques à la classe ouvrière, et cela risque de s’empirer à l’avenir. Le coût de la crise devrait être payé par les capitalistes.

Y a-t-il quelque chose que tu voudrais ajouter ?

Y-H : Le plus important est que les travailleurs se fassent leur propre voix et s’engagent dans cette lutte qui est la leur. En ce sens, voir les travailleurs européens lutter pour se défendre eux-même contre la crise du Covid-19 est une énorme inspiration pour nous. Puisque ce nouveau virus est un problème international, la lutte des travailleurs devrait être également internationale. Le Covid-19 ne nous montre pas seulement l’essence du capitalisme, il nous rappelle aussi la valeur de l’internationalisme des travailleurs.

(Crédit photo : AFP)
propos recueillis par Philippe Alcoy et traduits par Noti Ness

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