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Près de la moitié des épreuves bloquées ou perturbées

E3C : quelles perspectives pour le mouvement lycéen et la jeunesse mobilisée ?

Depuis la rentrée des classes et le début des E3C un climat de contestation règne dans les lycées. Déjà avant les vacances certains lycéens avaient décidé de s’affronter au gouvernement et de rejoindre la mobilisation contre la réforme des retraites, mais avec les premières épreuves des E3C, les lycéens ont montré leur détermination, aux côtés de leurs professeurs, contre l’avenir au rabais que leur propose Jean Michel Blanquer. Ce week-end les lycéens se sont retrouvés lors d’une Coordination nationale lycéenne pour réfléchir aux suites à donner à leur grève du bac. De fait, la question des perspectives à donner à ce mouvement reste brûlante et demande à être réfléchie.

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Alors que le ministère de l’éducation et avec lui les médias tentent de faire passer sous silence la mobilisation des professeurs et lycéens, qui se battent contre les E3C, des épreuves anticipées du bac façon locales, il s’agirait de réfléchir un plan de bataille capable de faire plier un Jean Michel Blanquer plus qu’entêté. Pour que cette mobilisation permette de le faire reculer et aux lycéens d’obtenir la suppression des réformes de sélection et du bac, comme revendiqué lors de la CNL, quelle stratégie adopter ?

Le mouvement contre les E3C, force d’une jeunesse qui a décidé de bloquer son bac

Jean Michel Blanquer annonçait mardi dernier à l’Assemblée nationale que les épreuves se seraient déroulées correctement dans 85% des lycées. Ce pro de la fake news n’hésite pas à en faire usage pour amoindrir la mobilisation des lycéens. En vérité il y aurait eu des perturbations dans un nombre record de lycées. Chaque jour les épreuves ont été soit bloquées et reportées, soit fortement perturbées. Des problèmes sont enregistrés partout, allant de la simple erreur de sujet ou du problème de scan à l’annulation complète.

Bloquer leur bac, c’est le moyen d’action qu’ont choisi les lycéens pour se battre contre le gouvernement. Après les marches pour le climat du vendredi pour certains lycéens, la jeunesse du secondaire a décidé de s’attaquer à l’institution scolaire par excellence : le bac.

L’expression d’une jeunesse déterminée, alors qu’on veut lui imposer des épreuves mal préparées et injustes. Une jeunesse qui tous les jours, pancartes et slogans à l’appui montre sa volonté d’une autre société, libérée de l’autoritarisme, plus égalitaire et qui puisse promettre autre chose que « la fin du monde » et les catastrophes climatiques.

De fait, la coordination nationale lycéenne, avec quarante lycées représentés, a été un succès. Des lycéens déterminés à se battre et à s’organiser contre Macron et son monde. Ils ont voté la convergence des luttes avec les grévistes de la RATP, avec la grève pour le climat ou encore le mouvement de l’Enseignement supérieur et de la recherche. 

Une marque de l’organisation de ces lycéens qui ne se sont arrêtés devant rien, pas même la répression la plus féroce.

Gardes à vue, lacrymos, conseils de discipline : quelle réponse face à la répression ?

Avant même la répression policière, c’est une répression administrative féroce qui s’abat sur les lycéens. Convoqués en conseils de discipline, menacés de 0 (voire carrément sanctionnés par cette note minimale), refusés de rattrapages, etc., certains lycéens ont vu leur proviseurs prendre les mesures les plus absurdes pour tenter de leur faire peur et répondre aux exigences de Blanquer.

Le gouvernement n’hésite pas à réprimer toutes les tentatives de mobilisation lycéenne, jusqu’à retenir des lycéens en garde à vue plus de vingt-quatre heures, comme ça a été le cas pour quatre lycéens de Ravel. Mais ce ne sont pas les seuls, à Arsonval un lycéen de 14 ans avait lui aussi passé vingt-quatre heures en garde à vue quand six autres bloqueurs étaient emmenés en garde à vue à Gagny et qu’au lycée Berthelot à Pantin des lycéens étaient interpellés quasiment à chaque blocage. 

Punir et intimider les lycéens mobilisés, dissuader les autres de contester, voilà la méthode du gouvernement qui, pour faire passer les épreuves du Bac, est prêt à toutes les politiques de coercition : présence de CRS devant les lycées pour forcer l’entrée aux épreuves, utilisation de gaz lacrymogène et de la matraque pour repousser les élèves mobilisés, etc. A Hélène Boucher, où les policiers sont allés jusqu’à utiliser des grenades lacrymogènes et à renter cagoulés et armés à l’intérieur du lycée les professeurs et parents se sont mobilisés contre la répression. Comme à Ravel devant le commissariat et le lundi d’après devant le lycée.

Ainsi, face à cette politique généralisée de la coercition, que le gouvernement applique à la jeunesse lycéenne pour endiguer le vent de révolte qui souffle depuis plusieurs semaines dans les établissements, un plan de bataille doit être mis en place par les lycéens et leurs professeurs. En effet, se saisir de la question de la répression et dénoncer les dérives autoritaristes de Blanquer, peut être un tremplin à la mobilisation d’une jeunesse qui se désillusionne progressivement de la démocratie macroniste.

E3C : la marche forcée vers l’individualisation des parcours et la professionnalisation

Ce nouveau Bac Blanquer est dans la droite lignée des politiques néolibérales d’un gouvernement qui cherche à détruire tous les services publics et à aller vers l’individualisation des parcours. Après la loi ORE, contre laquelle se sont battus lycéens et étudiants en 2018, cette nouvelle forme de bac permettrait d’accentuer la sélection des élèves et l’ultra spécialisation de leurs parcours. Chacun son bac, ses spécialités et son soi-disant « parcours personnalisé ».

Une soi-disant remise en question des filières qui laisserait de l’espace à ce que chacun choisisse ce qu’il souhaite faire. Mais la réalité est bien plus sombre : inégalités sur les spécialités, les lycées les moins bien classés ne donnant pas les mêmes choix pour tous, ou encore mise en concurrence des lycées et fermeture de certaines voies pour certains élèves, selon leur localité et donc leur classe sociale.

Avec ce nouveau bac l’idée est simple : permettre aux Universités et aux écoles de trier plus facilement les élèves et de leur proposer des études au rabais, une réforme qui confirme la division initiée par Parcoursup entre enseignement poubelle et enseignement d’élite.

Ainsi, Laurence de Cock, dans un article pour le Monde Diplomatique explique qu’avec les réformes Blanquer, « l’objectif de démocratisation scolaire, définie comme la volonté de compenser les inégalités sociales, culturelles ou territoriales par un système éducatif obligatoire, gratuit et laïque, y laisse place à un modèle concurrentiel, où les déterminismes sociaux se trouvent contrebalancés par des coups de pouce individualisés aux plus “méritants“ ». Elle démontre également les inégalités qui existent entre lycéens : « Sur les douze enseignements de spécialité, sept sont obligatoires et chaque établissement doit les proposer. Mais certains n’offrent que ceux-là — à l’image du lycée François-Rabelais, dans la partie populaire du 18e arrondissement de Paris ou du lycée Le Verrier à Saint-Lô — quand d’autres présentent une plus large palette avec, par exemple, les options sciences de l’ingénieur ou numérique et sciences informatiques, recommandées pour s’inscrire dans certaines formations supérieures. ».

Etudiants et lycéens, même combat contre le gouvernement

 

Comme l’expliquent Romuald Bodin et Sophie Orange dans un article pour la revue Sociologie ces nouveaux modèles reposent sur « la gestion des risques ». De fait, il est question ici de faire sortir du système scolaire au plus vite les étudiants qui « ne seraient pas aptes » à y réussir et de tenter de prédire les possibilités d’échec des jeunes.

Le déterminisme social n’en est ici que renforcé, mais il s’agit de rendre plus rentable la scolarité et d’aller vers la fermeture des places « en trop » à l’Université.

Le combat est ainsi commun et est celui contre un système éducatif toujours plus sélectif et des politiques pour rogner les budgets. Et les secteurs étudiants et lycéens ont tout à apprendre les uns des autres. De fait, alors que les lycéens ont montré leur radicalité à bloquer leur bac et que la mobilisation étudiante se construit progressivement, les deux secteurs auraient intérêt à se rejoindre et à dialoguer pour dépasser leurs limites respectives.

L’alliance entre lycéens et étudiants pourraient aussi permettre de dépasser les contradictions qui existent dans la jeunesse étudiante, prise dans le stress des partiels. Lorsqu’on voit des lycéens bloquer leur bac, casser des barrages de police ou sortir de leurs salles pour empêcher la tenue des E3C on se dit qu’il pourrait aider à radicaliser une jeunesse étudiante plus atomisée (même si elle s’organise petit à petit).

D’un autre côté, alors que les étudiants ont conservé leurs traditions d’auto-organisation, les lycéens peinent à trouver les moyens de s’organiser dans leurs lycées, de par la politique de contention opéré par certaines administrations pour empêcher que renaissent des mouvements lycéens massifs comme ce fut le cas en 2016.

Ces deux mobilisations ont également le point commun de s’être appuyée sur la mobilisation des professeurs et personnels. De fait, dans de nombreux lycées c’est l’interpro, la présence de cheminots, gilets jaunes et professeurs qui a permis de lancer la mobilisation notamment à l’appel des enseignants mobilisés. Certains lycéens se sont lancés dans le combat à l’appel de leurs professeurs et dans les facultés la grève de certains départements permet aussi d’accentuer certaines dynamiques et a ouvert la voie à la mise en branle d’une partie des étudiants.

Des premières alliances qu’il s’agit dans les deux cas d’approfondir et de pousser à leur maximum. Une mobilisation commune profs, personnels et étudiants/lycéens permettrait en effet la construction d’un mouvement massif dans les lieux d’enseignement, par la mobilisation de la jeunesse et la grève des enseignants et personnels, pour tenter de dépasser la pression scolaire et l’injonction à l’individualisme.

Construire un mouvement d’ampleur dans la jeunesse à partir du 5 mars

Comme les grévistes de la RATP et de la SNCF qui ont préparé dès le 13 septembre, la jeunesse et le secteur de l’enseignement peuvent préparer de consort la journée du 5 mars et surtout la grève reconductible dont elle pourrait être le début. Les lycéens ont déjà prévu de maintenir le cap et de continuer de bloquer leurs E3C à la rentrée mais pour gagner et imposer un rapport de force assez important face au gouvernement et les grévistes en ont fait la démonstration, seule une grève reconductible généralisée sera efficace.

Au même titre qu’en 2006, où la mobilisation dans les universités et les lycées contre le CPE s’était construite progressivement pendant des semaines avant de créer une déferlante contre les réformes de précarisation de la jeunesse et le gouvernement De Villepin, la construction du mouvement contre l’aggravation de la privatisation de l’université par les réformes Blanquer, Parcoursup, et LPPR est un enjeu central pour l’avenir de la jeunesse et doit faire l’objet d’une attention précieuse de la part des secteurs concernés. Tant au niveau des revendications qu’au niveau des cadres d’auto-organisation et des méthodes d’action, les enseignants et la jeunesse doivent œuvrer de concert à la construction d’un mouvement de masse qui rejette l’ensemble de la politique néolibérale du gouvernement. Car au-delà des E3C, c’est la perspective d’une vie de précarité, de sélection sociale et d’individualisme qu’il s’agit de rejeter.


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