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Musique

Disparition. Nikolaus Harnoncourt ou la musique comme absolu

Pierre Reip Le chef d’orchestre Nikolaus Harnoncourt s’est éteint samedi à l’âge de 86 ans. Prévenant, il avait fait ses adieux à son « liebes Publikum » le 5 décembre 2015, dans une touchante lettre manuscrite. Dévoué avec la plus infinie exigence à l’art d’interpréter, il a rompu avec la grande tradition musicale héritée du XIXe pour mieux ressusciter la musique baroque. Cessant d’interpréter, il cessa de vivre.

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Harnoncourt c’était d’abord Bach. Un tempo, celui des Suites pour violoncelles. L’épure, préférée aux emportements d’une virtuosité trop hâtive, laissait soudain chaque note prendre sens. Les Cantates, dont il enregistra sur vingt ans l’intégrale avec l’organiste Gustav Leonardt. Un Ensemble, le Concentus Musicus de Vienne, qu’il fonda en 1953 avec son épouse, la violoniste Alice Harnoncourt. Les passions. La Passion selon Saint Jean, avec le ténor Kurt Equiluz, chœurs d’enfants et instruments d’époque. Les affres abyssales du chœur « Herr unser Herrscher ». La violence expressive de la foule du « Lasset uns den nicht zerteilen ». Le métaphysique et déroutant aria « es ist vollbracht ». Le choral élégiaque « Ach Herr, laß dein lieb Engelein ». Bach était transfiguré, libéré du poids des siècles, présent.

Révolutionnaire, ce descendant d’une famille de la noblesse autrichienne aux lointains ancêtres lorrains. C’est en écoutant à la radio la septième de Beethoven qu’il avait décidé en 1947 de faire de la musique son métier. Celliste à l’orchestre symphonique de Vienne, il se rebelle contre la tradition interprétative romantique et décide de prendre la baguette à quarante ans. Il devient pour le public l’anti-Karajan et la référence d’une nouvelle façon de lire les œuvres. Mouché, le grand chef de l’Orchestre Philarmonique de Berlin, le déclare persona non grata au festival de Salzburg.

Présenté en vain par ses détracteurs comme un adepte rigoriste de l’ « historische Aufführungspraxis », l’interprétation historiquement informée, il rappelait toujours, et contre tous les dogmes, que les instruments ne sont que des outils et qu’un bon instrument récent est toujours préférable à un mauvais instrument d’époque. Amoureux de la vérité, poursuivant sans relâche sa quête d’authenticité, il a élevé l’art d’interpréter à des sommets d’exigence, cherchant à rendre raison même aux défaillances des compositeurs que le temps avait cherché à « corriger ».

S’il préférait les promenades en montagne aux yachts sur la côte d’Azur, il refusait d’être réduit à un anti-Karajan. Plus encore que contre une tradition interprétative, c’était contre la musique comme divertissement qu’il s’élevait. Son interprétation de Mozart laissait transparaître ce souci constant. Comme il l’affirmait dans une interview pour Die Zeit en 2008, « La musique n’est pas là pour se délasser, du moins pas la musique que nous jouons. Le sens de la musique est d’ébranler et de transformer les hommes. Quand quelque chose est composé pour dépeindre l’affrontement avec la souffrance et la mort, alors cela aide les hommes. Si tout est poli sur les angles, on peut juste dire après : maintenant, je me sens mieux et je suis prêt pour ma nouvelle journée de travail ».

Les Suites pour violoncelle, Bach, Harnoncourt

La Passion selon Saint Jean de Bach, Harnoncourt, Concentus Musicus


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