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Nouvelle génération ouvrière

Des violences policières à la répression au travail : entretien avec Rudy, gréviste SNCF à Paris Nord

Rudy, 25 ans, originaire de Sevran, est agent de maintenance SNCF à l’infrapôle Paris Nord. Depuis plus de 2 mois, il est en grève avec ses collègues pour ses conditions de travail et la sécurité des usagers. Avec ses collègues, il fait face à la répression de sa direction. Portrait d'un jeune de quartier populaire devenu militant de la grève.

Gabriel Ichen

29 mars 2021

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Crédit photo : LouizArt

Soutenez les grévistes de l’Infrapôle Paris Nord en lutte depuis le 18 janvier en donnant à la caisse de grève !

Nous avons interviewé Rudy lors de la journée de solidarité contre la précarité étudiante organisée par plusieurs organisations étudiantes le 24 mars dernier place de la Sorbonne à Paris. Rudy était présent avec ses collègues de l’infrapôle Paris Nord, aux côtés de travailleurs d’autres secteurs, pour afficher leur soutien aux étudiants et parler de leur combat pour les conditions de travail et la sécurité des usagers.

« J’ai grandi dans un quartier, j’ai fait un bac pro. D’où je viens, quand j’ai signé à la SNCF, c’est comme si j’avais gagné au loto »

J’ai 25 ans, j’habite dans le XIXème arrondissement de Paris, je suis né à Sevran dans le 93. J’ai eu mon bac et j’ai fait différents métiers jusqu’à entrer à la SNCF à 21 ans. Ça fait 4 ans que je travaille à la SNCF. Tous les métiers que j’ai fait étaient assez dur.

Quand je suis rentré fin 2017, j’ai trouvé une équipe avec tous les profils : des campagnards, des banlieusards, des jeunes mais aussi des plus vieux. Tout de suite l’équipe m’a super bien accueilli, c’est une équipe très soudée. Moi je viens d’un quartier à la base, dans les quartiers on est aussi soudés parce qu’on est dans la même galère, et c’est ce que j’ai retrouvé dans l’équipe. Les gars de la brigade sont avec moi dans mes galères même en dehors du boulot, je sais que je peux compter sur eux.

J’ai grandi dans un quartier, j’ai fait un bac pro. D’où je viens, quand j’ai signé à la SNCF, c’est comme si j’avais gagné au loto. Mais après tu te rends compte de la réalité du métier, un boulot pas facile avec un salaire qui n’est pas à la hauteur du travail que tu fais. Du coup forcément tu te poses des questions, tu commences par essayer de discuter avec la direction, de dialoguer, de négocier. Moi au début je pensais que c’est ce qu’il fallait faire. On a invité le directeur à ce qu’il vienne voir les conditions difficiles dans lesquelles on travaille. Je pensais qu’il allait se rendre compte. Mais en fait il nous a sorti sa flûte et son blabla, il a fait semblant de nous écouter en nous promettant une prime qu’on n’a jamais vu. Du coup c’est là que tu décides de te soulever, de te mettre en grève et tu comprends qu’il y a que ça qui marche.

Avant la grève j’étais pas du tout syndiqué, je savais pas ce que c’était le syndicalisme. Des syndicats étaient déjà venus nous voir, comme la CGT ou autre. Mais jamais de la manière dont Anasse Kazib de Sud Rail a pu le faire. La manière dont Anasse nous a expliqué ce qu’était le syndicalisme je me suis senti tout de suite concerné, il nous parlait de choses que je vivais tous les jours.

« La répression et les menaces ça ne nous intimide pas. On était prêt à ça, on s’est préparé »

La direction a fait tomber son masque, en réprimant des pères de famille. Pour une pauvre photo ils sont prêts à détruire des vies pour se débarrasser des gars qui relèvent la tête. Parce qu’ils savent que si on relève tous la tête, ils sont dans la merde, donc là ils essayent de couper des têtes.

Mais la grève n’a fait que renforcer notre solidarité et notre unité, surtout face à la répression de la direction. La première attaque de la direction qu’il y a eu contre un collègue, c’était comme si c’était moi qui était attaqué. La répression et les menaces ça ne nous intimide pas. On était prêt à ça, on s’est préparé. On était prêt à tout, au moment de partir en grève. Personnellement je ne pensais pas que la direction allait me réprimer et aller jusqu’à un entretien disciplinaire sous prétexte d’une simple photo. Mais je suis prêt à tout. Avec Anasse et la brigade on s’est préparé à la répression, on a compris que ça pouvait aller loin, jusqu’à des histoires avec la police mais on est prêt, on ne va pas plier.

Bien sûr, au début tu as peur, tu te dis que tu peux te faire virer, que ta vie peut basculer du jour au lendemain. Mais quand tu vois que t’es pas seul, que tout le monde est dans le même bain, tu n’as plus peur. Quand tu vois la solidarité qu’il y a derrière nous, les soutiens qu’on a, quand tu vois tout le monde derrière nous, au-delà de la brigade et même au-delà de la SNCF, tu n’as plus peur. Moi j’ai été très surpris de cette solidarité que les étudiants nous ont apportée, mais aussi les raffineurs de Total, les gars de la RATP. J’étais prêt face à la répression, mais là où j’étais pas prêt c’était de voir toute cette solidarité et tout le soutien qu’on a.

Ça leur fait peur de voir qu’on est pas tout seul dans notre grève face à la répression. Il y a même des étudiants qui nous ont dit « je serai là je viendrai vous soutenir ». C’est ça le message qu’il faut faire passer à la direction : tu touches à un membre de la brigade, tu touches à tout le monde qu’il y a derrière. C’est pour ça qu’on est confiant pour aller jusqu’à la victoire.

Notre combat dépasse largement les frontières de la brigade et de la SNCF

Au début je comprenais pas tout ce soutien. Je me demandais « pourquoi les étudiants viennent nous soutenir ? ». J’ai compris qu’ils étaient venus nous soutenir, nous donner de la force aussi parce que ce sont eux qui seront à ma place plus tard. Voir des étudiants qui se sentent concernés à ce point-là par ce qu’il se passe dans le monde du travail, ça donne de la force et de l’espoir. C’est aussi pour ça qu’on lâchera pas, par rapport à tout le monde qu’il y a derrière nous, tous ceux qui croient en nous, on ne peut pas lâcher. Mais c’est aussi pour ceux qui ont perdu espoir, ceux qui ont peur qu’on se bat. Et il n’y a qu’avec la victoire qu’on pourra leur montrer qu’il faut qu’on relève la tête.

Notre combat dépasse largement les frontières de la brigade et de la SNCF. Pendant la grève on a vu le film documentaire sur la grève des ONET, ces femmes qui travaillent dans le nettoyage et qui ont fait une grève exemplaire et victorieuse face à une multinationale. On a été très ému. Moi j’ai un petit cousin qui vit dans un quartier, je suis comme son grand frère. Sa mère travaille chez ONET et a fait la grève. Lui il me dit « j’ai vu ma mère se battre, être réprimée, bousculée par la police, ne pas dormir à la maison. J’ai 15 ans je vois ma mère travailler honnêtement et se battre pour ses conditions de travail et après l’État et les patrons la répriment, tu penses que je vais aller faire quoi ? Je vais pas aller me lever tôt, me casser le dos pour tout ça ». Moi je lui fais comprendre qu’en réalité il est pas seul et qu’il faut se battre. Je suis comme son grand frère je lui dis « regarde le combat que je mène, regarde ta mère qui s’est battu avec dignité et qui a gagné, si ça te révolte comme moi, bats-toi avec moi, on va se battre pour tous ceux qui sont en colère contre toutes ces injustices ». Ce combat qu’on mène il va loin.

Tout le monde doit se sentir concerné les violences policières, que ce soit le jeune de quartier qui se fait soulever par la police dans son quartier mais aussi celui qui se fait réprimer parce qu’il est en grève

Moi je viens de quartier, quand Adama Traoré est mort mais ça aurait pu être mon frère, ça aurait pu être moi. Le fait que les jeunes soient descendus dans la rue l’été dernier pour exprimer leur colère face aux violences policières, ça m’a impacté, je pense que c’est ça qu’il faut faire. Mes amis du XIXème à Paris ont manifesté contre les violences policières et le racisme. Tout le monde doit se sentir concerné par ce combat, que ce soit le jeune de quartier qui se fait soulever par la police dans son quartier mais aussi celui qui se fait réprimer parce qu’il est en grève et qui se bat pour son travail. Mais pour ça il faut s’organiser, ceux qui travaillent avec les jeunes, les vieux, tout le monde. On doit s’unir face à ça sinon ils vont nous déchirer de l’intérieur.

« Maintenant on veut que notre lutte elle impacte les autres brigades, que ça impacte même au-delà de la SNCF »

Maintenant on veut que notre lutte elle impacte les autres brigades, que ça impacte même au-delà de la SNCF. Nous on a fait le tour des brigades, on a manifesté avec des travailleurs menacés de licenciements, on s’est rassemblé en soutien aux étudiants. Aujourd’hui il faut se soulever ensemble, on n’est pas des esclaves des temps modernes.

Pendant la grève on a manifesté aux côtés d’autres secteurs, moi c’était mes premières manifs. Je me suis rendu compte qu’on était des milliers dans la même situation que moi, voir pire pour ceux qui sont menacés de licenciement. Désormais je suis un militant Sud Rail, je n’hésite pas à donner de la force à toutes celles et ceux qui sont dans la galère, comme les étudiants par exemple. C’est pour ça que je suis venu à la journée de solidarité pour les étudiants. C’est nous qui faisons tourner les pays, et les étudiants ce sont les futurs travailleurs de ce pays. C’est nous le monde de demain.


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