Racisme d’État

Des révoltes de 2005 à aujourd’hui : l’urgence d’un programme d’action pour les quartiers populaires

Armand Bonneto

Léon Sidhoum

Mariana Azul

Des révoltes de 2005 à aujourd’hui : l’urgence d’un programme d’action pour les quartiers populaires

Armand Bonneto

Léon Sidhoum

Mariana Azul

Les épisodes de révolte dans les quartiers populaires qui ont rythmé les derniers mois en France – conséquence d’un confinement autoritaire qui a aggravé les conditions de vie de ses habitants et de la répression déjà quotidienne – posent de nouveau avec clarté la nécessité pour l’extrême gauche de penser un programme spécifique, à la hauteur de la situation, en direction des quartiers.

La révolte de 2005, la gestion répressive du mouvement contre la loi travail de 2016 et contre le mouvement des Gilets jaunes et la dernière grève de cet hiver offrent des pistes de réflexion sur la façon dont l’extrême gauche ainsi que l’ensemble des secteurs ayant été à la pointe de la contestation sociale et politique, au cours des dernières années, devraient aborder la question des violences policières et la question des quartiers dans une perspective révolutionnaire. Enfin, la révolte de la jeunesse et des minorités raciales aux États-Unis contre l’assassinat de Georges Floyd et la manifestation de près de 40 000 personnes réclamant justice pour Adama le 3 juin dernier donnent encore plus d’actualité à cette question.

Embrasement des banlieues

2005 est une année de tension dans les quartiers. Dès le mois de janvier, une émeute éclate dans le quartier de la Goutte-d’Or, dans le 18e arrondissement, à Paris, après qu’un jeune de 19 ans a été grièvement blessé par balles par un fonctionnaire de police. Quelques mois plus tard, un jeune homme en scooter se tue en essayant d’échapper à une patrouille de la BAC, suscitant plusieurs jours de violences urbaines à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis.

Le jeudi 27 octobre 2005, à Clichy-sous-Bois, Zyed Benna, 17 ans, Bouna Traoré, 15 ans et Muhittin Altun, 17 ans, reviennent à pied, avec plusieurs amis, du stade Marcel-Vincent de Livry-Gargan, où ils ont passé l’après-midi. En voyant une voiture de police s’arrêter et un policier descendre avec un pistolet flashball pointé sur eux, les jeunes prennent la fuite, ils ne veulent pas être en retard chez eux pour le repas de coupure du Ramadan, à 18 heures. Ils n’ont pas de papiers sur eux, ces derniers étant conservés par leurs parents, et ils savent ce que signifie un « contrôle d’identité » qui n’est jamais qu’un contrôle au faciès : passage au commissariat, appel des parents, du fait qu’ils sont mineurs. Bref, des embrouilles à n’en plus finir. Les jeunes prennent peur et s’enfuient dans plusieurs directions. Pour échapper à la BAC, Zyed, Bouna et Muhittin se réfugient dans un transformateur EDF où les deux premiers meurent, électrocutés. Muhittin, gravement brûlé par l’arc électrique, parviendra à rentrer chez lui pour alerter la population.

La nouvelle du décès des deux jeunes dans des conditions atroces va provoquer une onde de choc dans le quartier où les jeunes se révoltent dans la nuit qui suit les événements en ciblant la police. Les révoltes locales s’accentuent le 28 octobre après les premières déclarations de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement Chirac-Villepin, niant toute responsabilité de la police, et s’atténuent dans la nuit du 29 au 30 octobre après une marche silencieuse des familles, accompagnées de cinq cents habitants. Elles reprennent dans la nuit du 30 au 31 octobre 2005, après le lancer d’une grenade lacrymogène à l’entrée de la mosquée Bilal à Clichy où des dizaines de fidèles étaient réunis en période de Ramadan. Sarkozy poursuivra sa série de déclarations cyniques, sous-entendant que la grenade aurait pu être lancée par des jeunes : « Il s’agit bien d’une grenade lacrymogène en dotation des compagnies d’intervention (...) ce qui ne veut pas dire que c’est un tir fait par un policier ». C’est alors que la révolte, principalement concentrée en région parisienne, va se répandre à travers tout l’Hexagone.

C’est alors la première fois dans la courte histoire de ce que l’on appelle les « violences urbaines » et dont les premières explosions se situent dans la banlieue lyonnaise entre la fin des années 1970 et le début des années 1980 et qui donneront à la Marche pour l’égalité et contre le racisme qu’une émeute perd son caractère local ou régional et s’étend à tout le territoire national. En deux jours, plus de 80 communes sont touchées en Île-de-France, puis la révolte s’étend à plus de 200 villes. Le 8 novembre, c’est l’état d’urgence, exceptionnel pour l’époque, qui sera déclaré et prolongé pour 3 mois sur le territoire métropolitain, pour la première fois depuis la Guerre d’Algérie qu’il est rétabli. Du 27 octobre au 27 novembre, la révolte sera diffusée sur les écrans du monde entier : les banlieues françaises se sont révoltées et font une irruption soudaine et violente sur la scène politique. Expression profonde d’une révolte, non seulement contre le manque de logements, d’emploi ou de moyens pour les services publics dans les quartiers comme le répètent celles et ceux qui essaient, au moins, de comprendre ce qu’il se passe sans tomber dans le concert quasi unanime des condamnations et des appels à la répression. Les jeunes se révoltent également face à un système, celui du contrôle au faciès, des fouilles au corps humiliantes et systématiques, du racisme d’État et des discriminations de tous les jours, partout et tout le temps, même lorsqu’il n’est pas manifeste.

Pendant un peu plus d’un mois, donc, les jeunes vont courageusement se révolter contre ce quotidien insupportable et pourri plongeant au plus profond du capitalisme français, de son passé colonial et de son présent impérialiste où les banlieues constituent une sorte de semi-colonie interne à l’instar de ces périphéries dominées par un centre impérialiste où, pour partie, la population laborieuse, originaire ou issue de l’empire colonial français, passé ou actuel, est utilisée comme armée industrielle de réserve ou comme pourvoyeuse de « petites mains » invisibles, pourtant essentielles à l’économie du pays, de main-d’œuvre pour des emplois peu qualifiés et sous-payés, indépendamment des qualifications de ceux qui les exercent. Ce sont des lieux où les habitants, dans leur ensemble, sont traités, légalement ou dans les faits, comme des citoyens de seconde zone y compris du point de vue de l’accès aux droits démocratiques et en termes d’accès aux services publics et au logement. Ce sont également des lieux où la gestion de l’ordre revêt, plus qu’ailleurs encore, un caractère fortement policier, sur fond de discriminations ethno-raciales systématiques, même lorsqu’elles ne disent pas leur nom. Dans sa brutalité la plus crue, le meurtre de Zyed et Bouna n’était que la confirmation de cet état de fait.

Union sacrée de la classe politique et adaptation de la gauche

Le gouvernement Chirac-Villepin, affaibli par le résultat négatif du Référendum de 2005 sur la Constitution européenne, va se saisir de la situation pour se reconstituer une base sociale sur sa droite en réprimant durement les mobilisations des quartiers populaires qui se traduisent, sur place, par des émeutes et des affrontements entre jeunes et forces de répression. Pour ce faire, il va faire appel à une union sacrée de la classe politique à laquelle tous les partis institutionnels vont se plier, de la droite la plus extrême jusqu’au PCF, le PS n’étant, bien entendu, pas en reste.
La place du Colonel Fabien appelle, alors, à « opposer l’action démocratique et citoyenne à la violence autodestructrice ». Du côté des centrales syndicales, à l’époque, aucune voix ne s’oppose radicalement à l’instauration de l’état d’urgence ni ne prend parti, résolument, pour des jeunes, fils et filles de prolétaires lorsqu’ils n’ont pas déjà eux-mêmes fait l’expérience de l’exploitation, dans des stages, des petits boulots ou en intérim, alors qu’ils ont mille fois raison de se révolter contre cet ordre policier et raciste qu’ils subissent au quotidien. Pourtant, prendre position en faveur des jeunes et contre l’état d’urgence est une condition essentielle pour pouvoir critiquer ou proposer un débouché autre que la guérilla émeutière qui, sur le terrain, reste la modalité d’expression de ceux que Sarkozy avait qualifiés de « racailles ». Il existe, à ce niveau-là, une certaine continuité dans le positionnement des centrales syndicales par rapport à tout mouvement disruptif de lutte de classe bousculant les schémas pré-établis. C’est ce que confirme, par rapport au soulèvement des Gilets jaunes, en 2018, les prises de position de la direction de la CGT, notamment au cours de la première période.

Pour ce qui est des directions des principales organisations d’extrême gauche, en l’occurrence Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR, dont est issu l’actuel NPA), le moins que l’on puisse dire est qu’elles n’aient été à la hauteur de la situation. En termes de conditions de possibilité d’une intervention réelle, la question ne se pose pas uniquement, dans le cas d’un mouvement aussi particulier qu’une mobilisation ou d’une révolte de banlieue, en termes d’implantation. A minima, et à partir de leurs positions au sein du mouvement ouvrier organisé, à l’instar de la politique qu’a pu développer en direction du mouvement des Gilets jaunes le « Pôle Saint-Lazare », par exemple, l’extrême gauche aurait pu, à l’époque, batailler pour des prises de position et des interventions en direction des quartiers, s’opposant à l’imposition de l’état d’urgence et à l’union sacrée républicaine, y compris en bagarrant contre les directions des centrales syndicales. Le cas de Lutte Ouvrière, qualifiant le mouvement de « révolte de caïds et de barbus », lui niant toute dimension politique, renvoyant les jeunes à leurs pratiques émeutières reflétant, selon LO, un niveau zéro de conscience, représente, à nos yeux, les travers extrêmes de ce positionnement de l’extrême gauche hexagonale qui a contribué, à sa façon, ou par son inaction, à la marginalisation sociale de la révolte malgré son extension nationale et à l’impossibilité que cette dernière puisse, d’une manière ou d’une autre, trouver dans le mouvement ouvrier organisé un allié et un porte-voix qui aurait pu lui donner des perspectives. [1]

Une isolation de la contestation qui a permis une répression inouïe

Durant tout le mois de novembre 2005, isoler le mouvement a été le mot d’ordre du gouvernement pour empêcher son extension territoriale – ce qui n’a pas été possible – mais avant tout, sociale. La contention de la contestation, qui n’a pu trouver de points de jonction avec le mouvement ouvrier, du fait de la politique de ses directions, a permis au gouvernement de durement réprimer la mobilisation en implémentant de nouveaux dispositifs et doctrines de maintien de l’ordre tels que l’utilisation massive de flash-ball et de brigades d’interventions rapides dans le but d’interpeller un maximum de jeunes. Les forces de répression se serviront de ces nouvelles méthodes expérimentées dans les banlieues en 2005 pour accentuer les mesures bonapartistes sur le reste de la population, et durement réprimer les cortèges syndicaux et de jeunes à partir de 2016, notamment, puis contre les Gilets jaunes à compter de 2018.

Le mouvement finira par s’essouffler, de par cette absence d’extension aux secteurs organisés du monde du travail et des classes populaires, et en raison de la violence extrême de la répression qui s’abat sur les jeunes, arrestations et condamnations seront extrêmement nombreuses. En revanche, on peut le considérer comme l’un des prolégomènes, ou participant, a minima, du climat qui débouchera, au printemps de l’année suivante, sur le mouvement anti-CPE. Au niveau des banlieues et des quartiers, cependant, la situation restera la même, voire empirera, en termes de conditions de vie et de répression. Ce n’est pas un hasard, dans ce cadre, si dans ce qui est à l’origine de la révolte, la mort de Zyed et Bouna, comme dans le cas de l’écrasante majorité des violences et des crimes policiers, les deux fonctionnaires insculpés dans la poursuite des deux jeunes, en 2005, sont finalement relaxés, le 18 mai 2015. De son côté, en termes d’expérience, de savoir-faire répressif, de construction d’un discours pointant et stigmatisant les musulmans ou désignés comme tel, l’État tirera un certain nombre de conclusions de cette grande révolte des banlieues hexagonales.

Mouvement contre la Loi travail, Gilets jaunes et Réforme des Retraites : la répression policière hors des cités et nouvelle période de lutte des classes

Depuis les événements de 2005, la répression au sein des quartiers populaires n’a cessé de s’intensifier, davantage renforcée, encore, par le mépris et le racisme d’État que subissent leurs habitantes et habitants.
Pour autant, les coordonnées majeures de la période ont évolué avec pour point de départ la crise économique de 2008 qui a donné lieu à une polarisation de plus en plus importante de la société. En effet, les gouvernements successifs n’ont cessé de faire payer les conséquences de la crise, notamment l’augmentation de la dette due à l’injection massive d’argent public pour sauver les banques, aux classes populaires au travers de mesures d’austérité. Les conséquences de ces mesures d’austérité, véritables attaques ouvertes contre les acquis des travailleurs, par la casse des services publics et notamment de l’hôpital, ont approfondi la rupture entre les gouvernants et le reste de la population. La désertification des services publics en milieux ruraux autant que dans les zones périurbaines, les petites villes ou dans les quartiers populaires, le déclassement social, la précarisation constante des contrats de travail, la hausse du chômage, combinés à une intensification des attaques de la part des gouvernements successifs sont certains des ingrédients qui expliquent un regain des luttes sociales, au cours des dernières années.

C’est notamment à partir de 2016 et le mouvement contre la loi El Khomri, sous un exécutif socialiste, qu’une partie de la population, et notamment de la jeunesse, s’est levée contre le gouvernement d’alors et ses attaques d’envergure contre le code du travail. C’est dans ce même mouvement que le recours à une forte répression contre les mouvements sociaux apparaît avec clarté. Plus encore, c’est le mouvement des Gilets jaunes qui va inaugurer une nouvelle période de lutte des classes et d’affrontements contre la police et l’arsenal répressif jusqu’alors circonscrit aux frontières des banlieues.

Dans le cas du soulèvement des Gilets jaunes, mouvement intense d’une durée historique, les méthodes élaborées et testées durant les révoltes de 2005 telles que l’usage massif de LBD et la création d’unité de choc et de contacts ont été mis au service de la répression de la mobilisation. L’État et sa police ont alors dévoilé au grand jour leur caractère profond d’outil répressif et de domination à un ensemble de couches sociales jusqu’alors maintenues idéologiquement dans l’unité nationale qui, dans ses grandes lignes, défend « la police protège au quotidien » ou encore que « la violence policière dans les quartiers est justifiée ». Au contraire, les images et vidéos des nombreux passages à tabac, des mutilations perpétrées par les forces de répression contre des manifestants et les témoignages de blessés ont rompu l’omerta autour de l’institution policière, garante de l’ordre d’une société dirigée par et pour la grande bourgeoisie. C’est aussi au travers d’une répression juridique que s’est incarné le tournant autoritaire de l’État, entamé d’un point de vue superstructurel par la mise en place, la prolongation puis l’intégration au droit des mesures d’état d’urgence. D’un point de vue juridique, donc, on a condamné à des peines allant jusqu’à de la prison ferme des manifestants alors que l’on laissait libres la plupart des policiers ayant mutilé. La justice expéditive, elle aussi, est sortie des expériences dans les quartiers populaires.

Par suite, le mouvement contre la réforme des retraites de l’hiver 2019-2020, qui a été largement imposé par la base aux directions syndicales et qui a tenu la trêve de Noël grâce à elle (malgré le caractère timoré de la stratégie des directions bureaucratiques des syndicats) a montré au grand jour le retour d’une frange de la classe ouvrière dans la lutte, et notamment dans les secteurs des transports dont la grève fut exemplaire, issue, pour partie, des quartiers. Une fois de plus, la police a démontré son rôle de gardienne des profits, en s’attaquant physiquement aux grévistes sur les piquets de grève, notamment au sein des dépôts de bus de la RATP. Au même moment, ou presque, c’étaient les travailleurs hospitaliers qui demandaient davantage de moyens pour le système de santé, qui recevaient des coups de matraque et des tirs de gaz lacrymogène.

Cette nouvelle période de lutte des classes et d’affrontements contre l’État ouvre des perspectives importantes pour un mouvement d’ensemble contre le gouvernement et contre l’État capitaliste, autoritaire et raciste. Un mouvement dans lequel, les habitants des quartiers populaires, qui sont également, pour une bonne partie d’entre eux, des « travailleurs de première ligne », auraient un rôle à jouer, et vis-à-vis duquel les réactions populaires face aux violences policières par temps de Covid et de confinement pourraient bien être de premiers.

La gestion étatique de la crise sanitaire comme tournant autoritaire et amplificateur de la précarité dans les quartiers populaires

La crise du coronavirus qui s’est étendue au monde entier est devenue un puissant révélateur des contradictions du système capitaliste, dont les conséquences sont d’abord payées par les secteurs les plus précaires de la classe ouvrière et des classes populaires.

D’une part, la pandémie a été le déclencheur d’une crise économique de grande ampleur plongeant ses racines dans des contradictions charriées depuis 2008. Une situation dans laquelle le taux de chômage explose aux USA, et où la moitié des travailleurs en France sont placés en chômage partiel. Les premières victimes de cette crise au niveau économique sont les travailleurs précaires dont sont constitués pour partie les quartiers populaires et sans lesquels il n’y aurait eu de continuité d’un certain nombre de services essentiels en temps de confinement, qu’il s’agisse des infirmières, des aides-soignantes, des travailleurs dans les EHPAD, des agents d’entretien, des caissières dans la grande distribution, des éboueurs ou encore des livreurs, pour n’en citer que certains. Ce sont elles et eux que l’on a retrouvés en première ligne face au virus. Nombreux et nombreuses sont celles et ceux qui ont continué à travailler dans des usines ou des industries non essentielles qui n’ont pas arrêté de tourner malgré la mise en danger de la vie de ces travailleurs.

Au-delà d’être en première ligne face au virus, ces travailleurs précaires ont également subi de plein fouet les conséquences des mesures prises par le gouvernement dans le cadre de l’État d’urgence sanitaire qui renforce les mesures répressives et le racisme d’État tout en posant le cadre d’une possible nouvelle offensive patronale contre le salariat. Ce contexte d’amplification de la répression et de la misère sociale s’ajoute à la précarité déjà existante en quartier populaire où certains sont sans papiers et sans contrat, avec près de 45 % de jeunes de moins de 25 ans au chômage et 40 % de la population des quartiers vivant sous le seuil de pauvreté.

D’autre part, la gestion autoritaire de la crise par le gouvernement a consisté à renforcer les mesures répressives dont sont victimes les habitants des quartiers populaires. Dans la période de confinement, ce sont des dizaines de vidéos et de témoignages qui montrent l’accentuation de la répression en quartier populaire comme c’est le cas pour Ramatoulaye, frappée et tasée à Aubervilliers, c’est aussi le cas de ce jeune homme tabassé pour « être sorti fumer une clope » ou encore de l’évènement tragique de Villeneuve-la-Garenne où un homme à moto s’est fait fauché par la portière d’une voiture de police. Cette répression vis-à-vis des quartiers populaires est d’autant plus intolérable que les conditions de confinement étaient des plus précaires, compte tenu des conditions de vie dans les grands ensembles et des appartements souvent délaissés depuis de nombreuses années par l’État et les bailleurs sociaux, véritables vautours.

C’est face à cette situation, de dégradation des libertés et des conditions de vie des habitants de quartier populaire, que des explosions de révolte ont éclaté un peu partout en Île-de-France, mais aussi dans le quartier du Mirail de Toulouse ou encore aux Aubiers de Bordeaux. Donnant lieu à des affrontements entre jeunes de quartiers populaires, exacerbés par les contrôles systématiques et abusifs, et la police. Ces explosions doivent aussi être considérées comme partie intégrante des prémisses potentielles d’un conflit de plus grande ampleur comme d’autres luttes et bagarres, pour la fermeture de certaines productions non essentielles ou, aujourd’hui, contre les licenciements ou pour davantage de moyens, dans le cas de l’hôpital. Après un premier moment d’épisodes de violences répétées et systématiques, le gouvernement, conscient, probablement, de ces potentialités, a par ailleurs demandé aux forces de répression « d’éviter le contact, la confrontation avec les perturbateurs » pour tenter de ne pas attiser les braises de la révolte.

Par-delà les différences entre la situation actuelle et celle de 2005, il est clair que le gouvernement craint la contagion de ces explosions de basse intensité à d’autres quartiers dans le pays, mais aussi au reste de la société dans cet après-confinement ou de larges franges de la population sont déterminées à exiger des comptes au gouvernement. À rebours de ce qui a pu avoir lieu en 2005, il est donc nécessaire que les organisations du mouvement ouvrier prennent en charge les revendications des habitants de quartiers, en majorité travailleurs précaires ou privés d’emploi, pour permettre un tous ensemble victorieux face au gouvernement et face à cet État raciste et autoritaire.

Penser et déployer un programme d’action envers les quartiers populaires : une tâche stratégique des organisations du mouvement ouvrier

Les organisations politiques et syndicales du mouvement ouvrier et de la gauche ont maintenu un « confinement » politique quasi complet pendant de longues semaines et ne ressortent de leur léthargie pour nous proposer d’énièmes nouvelles moutures de l’union de la gauche. Là aussi, à rebours de ces vieilles formules qui se présentent comme des grandes nouveautés, l’extrême gauche et les secteurs combatifs du mouvement ouvrier, de jeunesse, du mouvement des femmes et LGBT, de l’antiracisme politique et des quartiers, auraient tout à gagner à avancer un programme d’ensemble pour préparer le tous ensemble souhaité.

Comme en témoigne la vigueur de la cause des quartiers et de la lutte contre les violences policières, comme l’ont montré, en France également, les manifestations en solidarité avec la révolte aux USA, en la mémoire d’Adama Traoré et de George Floyd, un volet de notre programme ne pourrait pas ne pas dire, en direction des quartiers qu’il faut une égalité dans l’accès aux formations et au travail, la titularisation des CDD et des précaires qui le souhaitent ; réduction du temps de travail sans perte de salaire et répartition du travail entre toutes et tous pour répondre aux questions de chômage qui frappent encore plus durement qu’ailleurs les quartiers populaires ; programme de construction de logements et de rénovation, sous contrôle de la population et des travailleurs, à l’opposé du replâtrage périodique que propose la bien mal-nommée « politique de la ville » ; contre la marginalisation sociale et la casse des services publics, notamment en banlieue, pour le développement des services publics totalement gratuits, au niveau de l’enfance, de l’école, de la santé et des transports, au service et sous contrôle de la population ; désarmement de la police et dissolution des corps spéciaux, dont la BAC, des polices municipales, fin des contrôles d’identité sur la voie publique, pour une sécurité assurée collectivement par les premiers intéressés, les habitants des quartiers, poursuite et condamnation des auteurs de violences policières, systématiquement acquittés jusqu’à aujourd’hui ; légalisation des stupéfiants sous contrôle de l’État au même titre que l’alcool ou le tabac, accompagnée d’une politique de prévention active, seule façon de casser les réseaux criminels et les trafics dont les habitants des quartiers sont les premières victimes ; pleins droits de citoyenneté pour toutes et tous, régularisation des « sans-papiers », droit de vote aux élections, à tous les échelons, pour l’ensemble de la population, dès 16 ans ; opposition radicale aux campagnes haineuses et à l’assignation raciste, relayées et attisées par l’État, en direction des populations des quartiers, notamment sur le terrain de l’Islam.

Un tel programme, pour les quartiers, absolument essentiel dans le cadre d’un programme d’ensemble, pourrait être porté par un grand parti révolutionnaire des travailleurs et des travailleuses auquel l’extrême gauche, en l’occurrence le NPA, Lutte Ouvrière, et l’ensemble des franges combatives du mouvement ouvrier, pourrait apporter une contribution substantielle qui serait un pas précieux pour préparer les résistances de demain et pour pouvoir gagner. Cela passe, également, par et pour les quartiers et contre la violence et l’impunité policières.

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NOTES DE BAS DE PAGE

[1Pour approfondir ce point on pourra se référer au texte publié, il y a maintenant quinze ans, comme première réaction à chaud par les événements, par la Fraction Trotskyste France qu’intégraient, à l’époque, les militantes et militantes de la Fraction Trotskyste Quatrième Internationale (FTQI) à laquelle sont liés, aujourd’hui, les camarades du NPA-Révolution Permanente. Ce texte, que l’on peut considérer comme une contribution au débat, peut se retrouver ici.
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