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George Floyd, Adama Traoré...

De Minneapolis à Paris, une nouvelle génération entre en lutte contre les violences policières

La colère provoquée par le meurtre de George Floyd a provoqué dans le monde entier des rassemblements et manifestations. En lame de fond de ces évènements, la révolte d’une partie de la jeunesse, mobilisée contre les violences policières et le racisme, pour la justice, et pour crier leur envie d’un autre monde.

Lorélia Fréjo

5 juin 2020

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 Crédits photo : O Phil Des Contrastes 

Aux Etats-Unis, la mobilisation ne faiblit pas malgré les couvres feux et les intimidations policières et militaires et continue de soulever avec elle la colère retenue pendant le confinement. Depuis Minneapolis jusqu’à Los Angeles en passant par New York, Washington et Philadelphie, dans plus de 140 villes, des manifestations ont eu lieu. Dans ces mouvements largement spontanés, la présence majoritaire de la jeunesse est un élément particulièrement notable. Sur les nombreuses photos des événements, ce sont les jeunes que l’on peut voir en première ligne, munis de pancartes ou criant « I can’t breathe », « No Justice, no Peace » ou encore « Black Lives Matter ». Au-devant de la police, à l’initiative des mobilisations, les jeunes expriment leur dégoût des crimes policiers.

En ce sens, Tatiana Cozzarelli, militante de Left Voice, média frère de RP, raconte la mobilisation à New-York : « Ce sont des mobilisations dirigées par des jeunes Noirs, radicalisés par des années de violences policières, mais c’est plus largement une jeunesse très multi-ethnique, beaucoup de Latinos qui sont également criminalisés, beaucoup de jeunes Blancs qui il y a quelques mois faisaient campagne pour Bernie Sanders et qui se mobilisent désormais dans la rue. Les mobilisations ont un caractère très juvénile. Le mot d’ordre qui prime est « Justice pour George Floyd », il y a également un fort sentiment anti-policier lié à la répression avec des également des mots d’ordre anti-policiers mais aussi anti-Trump. »

Le meurtre de George Floyd semble ainsi avoir été celui de trop pour de nombreux Africains-américains. Parmi eux, les jeunes apparaissent particulièrement actifs après avoir été frappés par le Covid-19, avoir perdu leur emploi, où vu la crise frapper leurs familles. De fait, comme l’explique un article des Echos : « Les conséquences sociales de la pandémie ont, plus largement touché les minorités, surreprésentées dans les métiers faiblement qualifiés et aux avant-postes de la crise. Ainsi, 39 % des personnes travaillant en février et vivant dans un foyer touchant moins de 40.000 dollars de revenus par an avaient déjà perdu un emploi en mars, selon une étude de la Réserve fédérale publiée mi-mai. » Depuis le début de la pandémie, 38 millions d’américains ont pointé au chômage et la précarité dans les quartiers pauvres, où vivent les populations noires, n’a fait qu’augmenter. Une précarité qui augmente dans la jeunesse, mais ne date pas d’hier alors que 30% des jeunes sont au chômage, et que beaucoup sont obligés de s’endetter et de prendre plusieurs jobs pour espérer faire des études. Des jeunes qui subissent également de manière récurrente le racisme et les violences policières.

Mais la mobilisation ne se cantonne pas aux franges précaires et aux Africains-américains, des jeunes Latinos et même des Blancs se mobilisent. Une révolte multi-ethnique, d’une jeunesse qui revendique un avenir émancipé de la violence et du racisme, et se bat contre une société du passé qui ne lui ressemble plus. Contre les inégalités raciales, ces jeunes ont décidé de prendre la rue, de ne plus se taire face aux discriminations.

Une prédominance jeune remarquée par les médias américains. Ainsi le San Diego Tribune titre : « Les jeunes mobilisés manifestent dans Balboa Park, quartier de San Diego ». Le journal Berkleyside rapporte lui comment la manifestation à Oakland a été organisée par des étudiants, et mobilisé 15 000 personnes qui ont défilé dans la ville. Le Washington Post met également le focus sur ces jeunes qui se postent devant la police et invectivent Trump près de la Maison Blanche.

Une première ligne jeune que tentent de récupérer les Démocrates, à l’image de Barack Obama qui s’est très récemment adressé aux générations futures expliquant : « Je veux m’adresser directement aux jeunes femmes et jeunes hommes de couleur de ce pays. Je veux que vous sachiez que vous comptez. Je veux que vous sachiez que vos vies comptent, que vos rêves comptent. ». Un moyen de tenter de tendre la main à un mouvement pourtant bien conscient que les « Black faces in high places », à commencer par celle d’Obama, n’ont joué aucun rôle pour mettre fin aux violences et meurtres policiers. De même, difficile de continuer à croire à une réforme du système ou au vote Biden quand ce sont déjà les Démocrates qui dirigent de nombreuses villes à forte population africaine-américaine, à commencer par Minneapolis où G. Floyd est mort. Même l’annonce des poursuites pour les quatre policiers n’a d’ailleurs pas réussi à calmer la colère de ces nouveaux manifestants

Des figures émergent de la mobilisation, comme cette une jeune femme voilée qui explique : « Ça fait trois mille ans que nous sommes maltraités, pourquoi devrait-on être patients alors qu’on perd nos frères et nos sœurs. J’ai perdu trois frères, je souffre. Je veux pouvoir marcher librement ici, comme tout le monde. Je ne vais pas m’arrêter […]. Je suis noire, j’en suis fière, je suis forte. » Pour ces jeunes, George Floyd est le mort de trop. Interviewé pour Le Monde un jeune rappelle ainsi la longue accumulation de meurtres policiers : « Ce n’est pas quelque chose de nouveau. La coupe se remplit depuis l’affaire de la mort de Trayvon Martin. Et elle se remplit encore et encore et encore. Et maintenant, cela a pris de l’ampleur. »

A Paris et dans d’autres villes des franges importantes de la jeunesse se rassemblent

Même si dans le reste du monde la mobilisation reste plus initiale on a déjà pu voir de nombreux rassemblements massifs pour dire stop aux violences policières. Notamment à Amsterdam ou Berlin, mais aussi à Londres ou Vienne. Là-encore, les jeunes apparaissent au cœur du mouvement, à l’image de cette manifestante londonienne qui explique à France 24 : « Lorsque la police arrêtera de brutaliser des Noirs innocents, nous arrêterons. […] On fait ça parce qu’on est en colère, on a l’impression qu’on ne nous écoute pas. Nos voix ne sont pas entendues, parce que ça continue malgré tout ».

A Paris et dans d’autres villes de France comme Marseille, Toulouse, Lille, Bordeaux ou Montpellier, ce sont aussi beaucoup de jeunes qui se sont mobilisés pour soutenir le comité Adama et rendre hommage à George Floyd. Pour beaucoup issus des quartiers populaires, une grande partie d’entre eux manifeste pour la première fois pour dire stop aux violences et à la discrimination raciale. Alors que le mouvement des gilets jaunes a dévoilé au grand jour les agissements de la police, avec des dizaines de mutilés par la police, et que le confinement a renforcé la colère dans les quartiers populaires face à la police, son rôle est de plus en plus clair. Après les différentes nuits de la colère pendant le confinement, c’est dans la rue que les jeunes se sont mobilisés pour George Floyd et Adama Traoré, devenus les symboles d’une colère plus profonde.

A Paris, la mobilisation a ainsi été historique, et ce malgré l’interdiction de manifester, et montre un véritable sursaut de mobilisation.. « Adama est mort il y a 4 ans et il n’y a toujours pas de justice, il faut une révolution » explique Jean Sy, 19ans, venu manifester. Pour lui « c’est un trop » et la mort de George Floyd est un déclencheur.

Assa Traoré est devenue une figure majeure pour cette génération et avec Camélia Jordana ells ont ouvert la voix à la reprise de la parole et de la rue. Après Adèle Haenel, qui avait reveille la colère des jeunes pour le 8 mars, Assa leur donne la force de se batter contre le racisme et les violences policières/ « Pour la première fois, ceux qui pensaient ne pas avoir de voix ont compris qu’ils en avaient une, et qu’elle comptait. On ne va pas s’arrêter là, il y aura d’autres événements, c’est inévitable. » félicite t’elle.

A Toulouse, de jeunes manifestantes expliquent : « On est là pour défendre nos frères, nos sœurs, on les soutient et on est avec eux maintenant ». La détermination est aussi importante pour ces jeunes femmes de Montpellier, qui se mobilisent par qu’elles en ont marre, et ne veulent plus se taire. Pour Magalie, pour qui c’est sa première mobilisation : « George Floyd est le mort de trop, c’est un déclic ».

En France, cette jeune génération se mobilise juste après Parcoursup et le stress de la sélection, au moment où l’avenir se dessine et semble de plus en plus sombre pour les plus précaires d’entre eux. Notamment dans une période où après une crise sanitaire sans précédent déroutante, arrive une crise économique qui trouble l’avenir. Entre le chômage et la sélection, il semble difficile d’y voir clair.

Les réseaux sociaux enflammés, la lutte pourrait bien continuer

Au-delà des manifestations, la colère s’est aussi exprimée sur les réseaux sociaux, avec des campagnes importantes qui montrent que la rage dépasse de loin celle que l’on voit dans la rue. Sur Instagram les profils se sont vêtus de noir pour une journée jeudi et sur Twitter les #ICantBreathe et #BlackLivesMatter sont restés en tendance plusieurs jours, cumulant des centaines de milliers de tweets. Un signe que le mouvement constitue un vecteur de politisation à large échelle, et qui laisse espérer des mobilisations encore plus massives à l’avenir.

Ces jeunes mobilisés disent vouloir se battre pour les générations futures, contre un monde dépassé et qui ne correspond plus à leurs aspirations et face à l’impunité organisée. Le confinement a révélé les inégalités qui structurent notre société, entre la répression et la précarité, les quartiers populaires et les populations pauvres sont en première ligne dans le monde entier. France, où les cas de violences policières ont été dénoncés, alors que 12 personnes sont mortes des mains de la police pendant le confinement. Si certains voudraient cantonner la mobilisation aux Etats-Unis, moquant « l’imitation » que constituerait la dynamique en France, une frange de la jeunesse répond que le mouvement ne peut qu’être international car la violence subie par les populations des quartiers populaires n’est pas une spécificité états-unienne.

Une dynamique qui n’est pas sans rappeler les années 1960, lorsque les jeunes avaient été le fer de lance de la lutte contre l’ordre capitaliste dans de nombreux pays impérialistes. Mais aussi toutes les luttes anti-racistes, notamment déjà aux Etats-Unis, avec le mouvement « Black Panthers » par exemple. Après les renouveaux de lutte autour des questions climatiques ou féministes, l’antiracisme pourrait bien être un nouveau catalyseur pour cette colère, qui ne peut que se mêler à l’opposition aux futures attaques contre la jeunesse dans le cadre de la crise économique : augmentation de la précarité, chômage de masse, compétition accrue dans les facs et sur le marché du travail.

Une dynamique dans les pays impérialistes qui vient rejoindre celle que l’on a pu voir se déployer dans la jeunesse des pays semi-coloniaux l’année dernière, de l’Algérie au Chili en passant par l’Irak ou le Liban, et qui ouvrent d’importantes perspectives pour les luttes à venir. D’ores et déjà on a pu voir se déployer des éléments de solidarité aux Etats-Unis avec d’autres secteurs, comme la communauté homosexuelle ou même le mouvement ouvrier, des chauffeurs de bus aux infirmiers. Des alliances qui, alors que le monde du travail comme la jeunesse vont devoir affronter les conséquences de la crise économique, s’avéreront déterminantes. De la dénonciation des violences policières et du racisme, le pas pourrait alors bien se faire vers la dénonciation, dans son ensemble de la société qui engendre ces inégalités meurtrières et qui ne correspond plus aux aspirations d’une nouvelle génération multi-ethnique, aspirant à l’émancipation et qui veut en finir avec les discriminations, le sexisme et la destruction avancée de la planète.

Une nouvelle frange de jeune mobilisée alors que d’autres s’éveille à la politique grâce à la lutte contre la sélection dans les universités ou encore dans les secteurs essentiels pour la prime pour tous et de meilleurs salaire. C’est l’alliance de cette nouvelle génération avec le mouvement ouvrier, et notamment sa première ligne qui a fait la démonstration de son caractère central pendant la crise épidémique, qui pourrait permettre à la jeunesse de gagner sur ses revendications et son aspiration à un avenir meilleur et un monde d’après qui soit le sien.


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