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Crise et risque de scission du NPA. Le point de vue d’Anasse Kazib et Daniela Cobet

Le weekend des 3 et 4 octobre, l'ancienne majorité du NPA tenait une réunion nationale en vue du Congrès du parti prévu pour janvier. A l'ordre du jour, la possibilité d'une scission avec les tendances de la gauche du parti qui représentent aujourd'hui bien plus de la moitié de l'organisation. Anasse Kazib et Daniela Cobet, tous les deux membres de la direction du NPA donnent leur point de vue et réagissent à la tribune publiée dans L'Anticapitaliste à la suite de cette réunion.

Daniela Cobet


et Anasse Kazib

12 octobre 2020

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Alors que les débats s’intensifient dans le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) à la veille d’un 5ème congrès, les velléités scissionnistes des principaux dirigeants de l’ancienne majorité du NPA, regroupée dans ce qu’on appelle en interne et depuis le congrès de 2018 la « plateforme U », se confirment en grande partie au mépris de l’avis de ses propres militants dans les différents comités.

La réunion nationale tenue par ce secteur du NPA le weekend des 3 et 4 octobre 2020 qui visait à rassembler l’ensemble des militants qui se reconnaissent dans la plateforme U, avait précisément pour but de convaincre les militants qui ne sont pas dans les cadres de direction du projet de la scission et de s’homogénéiser autour d’un projet capable de rassembler les différentes sensibilités de la Plateforme U - si différentes qu’elles vivent quasiment comme des organisations séparées dans certaines régions comme celle de Toulouse.

Dans cet article nous essaierons, à partir de la tribune de compte-rendu des camarades de la plateforme U sur leur propre réunion, de mettre en lumière ce qui se cache derrière ses formules pour le moins floues, à savoir l’absence de tout bilan critique de leur activité politique depuis le dernier congrès et plus largement durant les 12 années qui nous séparent de la fondation du NPA à la suite de la dissolution de l’ex LCR.

La confirmation d’une crise profonde de l’ancienne majorité du NPA

Malgré l’enthousiasme un peu surjoué, la réunion des 3 et 4 octobre n’a en réalité pas fait le plein, voire n’a même pas fait la moitié du plein. Les dirigeants de la plateforme qui revendiquent « 130 militants présents » et une « volonté de réel dépassement » oublient de dire que cette même plateforme - qui peut compter sur une majorité de travail en comité exécutif et contrôle le porte-parolat du parti avec trois figures importantes que sont Christine Poupin, Olivier Besancenot et Philippe Poutou - avait obtenu 637 voix au dernier congrès.

Il est pour le moins étonnant de se satisfaire de ce chiffre, alors que seulement 1/5ème de ses militants s’est déplacé, à l’approche d’un congrès qu’eux-mêmes veulent décisif pour l’avenir du parti. Vraisemblablement, la préparation d’un congrès façon procès des sorcières de Salem n’attire pas plus que cela leurs propres militants qui voudraient peut-être une vraie réflexion en termes d’analyse de la situation, de stratégie, et de programme dans une période de grands bouleversements politiques et où le rôle d’une organisation révolutionnaire deviendra de plus en plus central.

Nous sommes pour notre part convaincus que la crise dans le NPA ne relève pas fondamentalement de problèmes de rapports interpersonnels, de tendances qui paralyseraient le parti ou encore d’outils qui concurrenceraient ceux du NPA (là-dessus c’est de toute évidence Révolution Permanente qui est visé, avec ses presque 2 millions d’entrées mensuelles en moyenne et son rôle reconnu auprès des acteurs et actrices des luttes dans les entreprises et au-delà, à celles et ceux qui sont réprimés, menacés de licenciement ou encore victimes de violences policières). Cependant le fait de pointer du doigt les tendances et d’en faire les responsables de tous les maux du NPA sert à dédouaner la tendance majoritaire de toute responsabilité.

En réalité, cette obsession autour des « tendances qui s’auto-construisent » est surtout un révélateur de la crise au sein de la majorité de la direction sortante du NPA, qui se refuse au moindre bilan sérieux et ne veut pas reconnaître que le vrai problème qui la préoccupe n’est pas la soi-disant « balkanisation » du NPA - un fait qui n’est pas du tout nouveau - mais le fait qu’elle-même soit devenue minoritaire au sein du NPA. Une situation que le Congrès de janvier devra acter, mais que personne ne conteste réellement au sein du parti.

La crise du NPA est pourtant bien réelle. Mais elle ne pourra se résoudre que sur le terrain du débat politique autour d’un programme et d’une stratégie et non avec recherche du bouc émissaire « entriste » ou en attribuant un droit d’aînesse pour celles et ceux qui étaient à la LCR alors même que le NPA s’est fondé précisément sur une ouverture à d’autres courants anticapitalistes et révolutionnaires.

Cela implique de mettre les questions politiques avant les discussions organisationnelles, aussi importantes soient-elles. Un vieux révolutionnaire américain, James P. Cannon, disait à propos des luttes fractionnelles qui ont pu traverser le SWP américain :

« Aussi longtemps que l’étendue réelle des débats politiques et théoriques demeure indéterminée, les propos au sujet de la question d’organisation n’ont contribué, et ne peuvent contribuer à rien, sinon à la confusion. Mais, maintenant que les problèmes politiques fondamentaux sont entièrement clarifiés, maintenant que les deux camps ont pris position selon des lignes fondamentales, il est possible et peut-être réalisable d’aborder la question d’organisation pour une discussion dans son propre cadre et à sa propre place, en tant que problème important mais subordonné ; en tant qu’expression organisationnelle de divergences politiques, mais non en tant que substitut de ces divergences. »

(« La lutte pour un parti prolétarien », 1940).

Il est donc capital que « les problèmes politiques fondamentaux » soient entièrement clarifiés pour avancer. C’est en tout cas de cette manière que nous concevons la possibilité de résoudre la crise politique au sein du NPA par en haut, et non par des menaces et un chantage permanent à la scission avant ou après congrès. Nous pensons d’ailleurs que cette attente de vrais débats dépasse notre tendance et est également souhaitée par les militants et les militantes de la plateforme U.

Derrière les formules vides, l’absence d’un projet

A la lecture de l’article des camarades de la plateforme U, impossible de ne pas rester sur sa faim si on cherche à comprendre quel est le projet autour duquel les camarades cherchent à se rassembler. D’abord parce que le texte dit d’une ligne à l’autre une chose et son contraire, sans jamais ébaucher le moindre programme pour la U alors que le congrès approche à grands pas. Comment peut-on écrire dans le même texte, par exemple que : « Nous restons convaincuEs que les coordonnées qui ont conduit à "faire parti", à la création du NPA comme rassemblement des anticapitalistes et des révolutionnaires autour d’un même projet d’émancipation dans un cadre commun, restent d’actualité » et, plus haut, « Force est de reconnaître que si notre organisation a connu quelques réussites et reste un point de référence à gauche et à l’extrême gauche, nous sommes aujourd’hui largement bloquéEs ». Par quoi ? Par qui ? Les tendances ? Comment pourraient-elles bloquer autant de choses alors que la Plateforme U, pourtant déjà pas vraiment majoritaire au Congrès de 2018, dispose de tous les outils du parti (majorité absolue en Comité Exécutif, direction du journal, de la revue, des sites internet, de la trésorerie et du porte-parolat) ?

Comment peut-on dire que cela ne va plus, mais d’un autre coté que cela « reste d’actualité ». De la même manière il est tout aussi incroyable de dire qu’il faut « regrouper les forces politiques et sociales », mais de penser que la solution serait de se débarrasser des tendances représentant plus de la moitié du parti, ainsi que les principales implantations dans le mouvement ouvrier et la jeunesse, pour y arriver.

Bien entendu, derrière le terme « bloquées », les camarades de la U ne parleront pas de la scission importante en 2012 des camarades partis pour créer Ensemble et rentrer dans le Front de gauche puis dans la France Insoumise. Ils ne parleront pas non plus du recul vertigineux du nombre de membres du NPA (plus de 80% des membres fondateurs sont partis) entre l’année de fondation et aujourd’hui.

Les camarades de la U jouent sur les mots, ils empruntent des termes flous, « vrai parti », « faire parti », « cadre commun », « rassemblement des anticapitalistes et révolutionnaires », « organisation radicale, anticapitaliste, révolutionnaire, ouverte ». Mais ouverte à qui ? à quoi ?

On se demande aussi comment le « vrai » parti, sous-entendant que le NPA est un « faux » parti, pourrait demain devenir « vrai » alors qu’on nous explique en même temps que « le NPA comme rassemblement des anticapitalistes et des révolutionnaires autour d’un même projet d’émancipation dans un cadre commun, reste d’actualité »... Il faut s’accrocher pour comprendre.

Leur manque de cohérence interne fait qu’ils sont obligés dans un article de quatre paragraphes de multiplier les formules pour satisfaire tout le monde : celui ou celle qui est pour préciser le contenu des formules stratégiques de départ du NPA, celui qui pense qu’il faut revenir au projet fondateur, sans oublier celles et ceux qui rêvent d’une candidature commune avec la France Insoumise en 2022, comme a pu le suggérer Philippe Poutou sur France Info. Une mosaïque politique telle qu’il ne faudra pas s’étonner si la plateforme U, une fois qu’elle aura scissionné d’avec « les tendances », scissionne elle-même quelques mois après en plusieurs morceaux.

C’est donc ce débat-là qui doit primer avant toute chose, sinon nous parlons dans le vent. L’ensemble des militantes et militants sont prêts à débattre, prêts à s’engager dans un projet qui permette de sortir par en haut de la crise du NPA. Mais, pour cela, il faut accepter la tenue d’un congrès malgré le risque d’y être minoritaire, ce qui pour l’heure ne semble pas être acté. D’après ses propres mots, la direction de la plateforme U « n’exclut rien et ne s’interdit rien », y compris de partir avant même la tenue du Congrès si celui-ci ne lui convient pas. Une drôle de façon de concevoir la démocratie interne et de chercher à refonder un quelconque projet émancipateur.

Un nouvel élan ne peut venir que de la lutte de classes

Les camarades de l’ancienne majorité affirment dans leur texte vouloir « Un parti utile ici et maintenant à notre camp social et à ses mobilisations, une organisation militante qui souhaite se construire dans le monde du travail, les quartiers populaires, la jeunesse ». Mais dans le contexte où les mobilisations n’ont pas vraiment manqué ces dernier temps, en France plus que dans n’importe quel autre pays au monde, il faudrait peut-être partir du bilan de l’utilité du NPA dirigé par la Plateforme U et de sa capacité à se construire dans le monde du travail, les quartiers populaires et la jeunesse dans la période écoulée. Car sinon pourquoi penser que nous réussirons mieux à l’avenir là où nous avons récemment échoué ?

La réalité est que, que ce soit face à l’émergence du mouvement des Gilets jaunes ou à la grande grève contre la réforme des retraites, la direction du NPA a échoué à interpréter correctement la situation et à avoir une intervention conséquente, traversée qu’elle était par une forme de scepticisme et par ses propres désaccords. Ainsi, une partie de la plateforme U s’est rangée pendant bien trop longtemps, et sous l’impact des positions de la gauche institutionnelle et des syndicats, derrière l’idée que les Gilets jaunes étaient majoritairement sous l’emprise de l’extrême-droite, là où une autre partie de l’organisation a vite repéré le caractère populaire et progressiste de ce mouvement et a cherché à y intervenir. Nous sommes en ce sens particulièrement fiers d’avoir été à l’origine du pôle Saint-Lazare qui a regroupé à l’initiative de l’Intergare et du Comité Adama des milliers de militants du mouvement ouvrier et des quartiers en soutien aux Gilets jaunes, et ce dès le premier décembre 2018.

Ce rendez-vous manqué de la direction du NPA (comme d’une partie considérable de l’extrême-gauche il est vrai) n’aurait pas été aussi grave si elle avait su en tirer des conclusions pour la suite : d’abord sur la nécessité impérieuse d’avoir des positions dans le mouvement ouvrier organisé pour pouvoir s’adresser efficacement à des soulèvements populaires spontanés comme celui des Gilets jaunes, puis sur le fait que ce mouvement était l’expression de la faillite des directions syndicales bureaucratiques et allait impacter le mouvement ouvrier dans son ensemble.

Cette absence de bilan l’a par la suite empêchée de voir venir la grande grève des transports qui a été le principal moteur du mouvement contre la réforme des retraites, puis lui a fait sous-estimer la nécessité de développer une politique alternative à celle de la bureaucratie syndicale, ce que nous avons tenté de faire à travers la coordination RATP-SNCF et ses liens avec d’autres secteurs stratégiques du mouvement ouvrier. Une coordination qui a été boycottée par les militants cheminots de la plateforme U.

L’avancée de certaines tendances de la gauche du parti et le changement du rapport de forces interne ne sont pas ainsi un fruit du hasard ou du fait que les tendances miseraient sur leur auto-construction. Ce sont bien plutôt le résultat de démonstrations faites sur le terrain de la lutte de classes et qui ont été capables d’attirer vers le parti des véritables référents ouvriers, à la RATP, mais aussi dans d’autres secteurs ouvriers. Une dynamique semblable existe dans la jeunesse, où les camarades de la Plateforme U ne représentent aujourd’hui qu’une infime partie des jeunes du NPA, ou encore en ce qui concerne les quartiers populaires et les secteurs racisés de notre classe.

Au lieu de voir cela comme une menace, l’ancienne majorité du NPA devrait conclure que telle est la voie pour reconstruire une organisation utile à notre classe et parier sur la construction d’un parti révolutionnaire de combat. Une organisation qui aurait pour centre de gravité la lutte de classes et serait capable d’attirer vers elle les milliers de travailleurs et de jeunes qui se sont battus dans les différentes mobilisations de ces dernières années et qui y ont acquis une certaine forme de conscience anticapitaliste, voire révolutionnaire.

Malheureusement c’est la conclusion inverse que ces camarades semblent tirer. En ce sens, la crise actuelle dans le NPA constitue une forme de réaction à l’accélération de la lutte de classes et aux pressions qu’elle exerce sur la direction historique de l’organisation qui demain risque d’être encore plus minoritaire faute d’un programme et d’une stratégie correspondant à la réalité objective de la lutte de classes en France mais également à échelle internationale.

Dans une autre situation, certes, mais qui n’est pas sans rappeler la nôtre, par ses crises, ses tensions et ses ruptures, Trotsky soulignait combien « dans les moments cruciaux de tournants historiques, la direction politique peut devenir un facteur aussi décisif que l’est celui du commandant en chef aux moments critiques de la guerre. L’histoire n’est pas un processus automatique. Autrement, pourquoi des dirigeants ? Pourquoi des partis ? Pourquoi des programmes ? Pourquoi des luttes théoriques ? » (« Classe, parti et direction », 1939) . C’est précisément tous ces problèmes que les formules vides comme « faire parti » évitent de poser.

La politique a horreur du vide

Nous avons insisté dans cet article sur l’absence de projet abouti à ce jour de la part des camarades de la majorité sortante du NPA. Néanmoins, nous savons tous que « la politique a horreur du vide », et à force de ne pas parier sur une construction liée à la lutte de classes et de chercher à se séparer des principaux référents ouvriers de l’organisation, ce vide finira par se remplir par la recherche d’une construction par d’autres voies, celles des raccourcis électoraux, des regroupement mélangeant les programmes de réformistes et révolutionnaires.

C’est d’ores et déjà ce qu’exprime Philippe Poutou lorsqu’il explique au journal La Tribune à propos de l’expérience de la liste Bordeaux en Lutte que « Nous montrons comment travailler ensemble et sortir du sectarisme, en s’alliant avec la France Insoumise, en travaillant entre militants de plusieurs formations politiques. Nous sommes très contents du résultat. Nous ne pensions pas avoir des élus et pourtant ça a marché. C’est le début d’une expérience avec la France Insoumise » pour rajouter ensuite sur le risque d’une scission du NPA : « Alors se séparer, je ne vois pas trop les problèmes que ça pose. Avec la France Insoumise nous avons tenté quelque chose à Bordeaux, nous sommes passé à l’action, et maintenant il faut voir comment construire à partir de ça. »

Construire donc une alternative dans la durée avec des camarades qui affirment haut et fort que leur stratégie est celle de la révolution par les urnes, n’a rien de très nouveau. Ce type de projet a déjà été tenté et soldé par des échecs dans de nombreux pays par le courant politique international incarné en France par la Plateforme U. Plus encore, il a systématiquement conduit à un affaiblissement des forces révolutionnaires par rapport à celles des réformistes, voire à des compromissions inacceptables pour tout militant révolutionnaire comme la participation à des gouvernements bourgeois menant des politiques contraires aux intérêts des travailleurs. Le cas le plus récent est celui de Podemos en Espagne, impulsé au départ par les militants du courant Anticapitalistas et aujourd’hui à la tête d’un gouvernement de coalition avec le PSOE.

C’est à ce type de projet que le NPA – Révolution Permanente oppose le pari d’un grand parti révolutionnaire regroupant des militants issus de différentes traditions sur la base d’un débat stratégique et programmatique permettant de répondre aux défis posés par la situation actuelle et de donner un véritable nouvel élan au mouvement révolutionnaire, par l’intégration à celui-ci des meilleurs combattants de notre classe, de la jeunesse et de l’ensemble des exploités et des opprimés.


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