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Crise au Royaume-Uni

Le Premier ministre perd le contrôle du Brexit : quelle suite pour la crise ?

Le Premier ministre Boris Johnson a perdu le contrôle du Brexit. La Chambre des Communes (chambre basse), par le biais d'une alliance entre le Parti travailliste, les Verts, les Libéraux Démocrates et les Conservateurs dits « rebelles », a fermé la voie au « Brexit dur », c'est-à-dire à la rupture unilatérale du Royaume-Uni avec l'Union européenne (UE). Reste à voir si la Chambre des Lords (Chambre haute) approuvera finalement cette loi et si la reine l'adoptera. Mais dans l'instance parlementaire, qui dans le système britannique est celle qui exprime la « souveraineté populaire » électorale, Johnson vient de subir une défaite qui pourrait conduire à de nouvelles élections anticipées. Il s’agirait alors de la troisième élection générale en quatre ans.

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Le compte à rebours jusqu’au 31 octobre, date d’expiration du dernier délai fixé par l’UE pour le Brexit, a joué un rôle d’accélérateur. C’est aussi un grand révélateur de la profonde crise politique et étatique, c’est-à-dire organique, qui menace non seulement le statut géopolitique et les relations commerciales de cette vieille puissance impérialiste en déclin, mais aussi sa propre continuité comme entité étatique.

Le « Brexit dur » agité par l’actuel premier ministre conservateur Boris Johnson est l’équivalent d’une option nucléaire.

Il pourrait dynamiter l’accord du Vendredi Saint de 1998 qui a mis fin au conflit en Irlande du Nord en maintenant une frontière ouverte avec la République d’Irlande.

Cela déclencherait presque certainement un second référendum en Écosse - qui est profondément pro-européen - pour obtenir, cette fois, son indépendance.

Et cela ferait perdre aux grands capitalistes britanniques une relation privilégiée avec le bloc européen, vers lequel une grande partie de leurs exportations est dirigée, sans parler de la City de Londres, qui a servi de principale place financière de l’UE. Ceci en échange d’un accord de libre-échange incertain avec les États-Unis, dont la seule garantie est la faible promesse de Donald Trump.

De toute évidence, trop de contradictions pour être absorbées par un Premier ministre dont la seule base de légitimité est les 92 000 membres du parti conservateur qui l’ont élu.

Ceux qui suivent de près la politique britannique ont deux hypothèses. La première est celle selon laquelle Johnson est bel et bien un eurosceptique furieux qui considère que le Royaume-Uni doit retrouver sa souveraineté. La seconde est qu’il s’agirait d’une tactique de négociation dure pour obtenir de Bruxelles des concessions qui permettraient d’améliorer l’accord conclu par May. Plus précisément, l’élimination ou l’assouplissement de ce qu’il est convenu d’appeler le « backstop », une sorte de garde-fou qui permettrait de maintenir ouverte la frontière entre les deux Irlande en l’absence d’accord.

Selon les calculs de Johnson, l’UE serait prête à payer un certain prix pour éviter le Brexit dans une situation marquée par la récession imminente en Allemagne, la guerre commerciale avec les États-Unis et les crises politiques, comme celle de l’Italie, précipitées par des courants populistes et eurosceptiques. Mais jusqu’à présent, cette hypothèse n’a pas été corroborée et l’UE n’a pas montré de signes de souplesse, notamment sur la question de l’Irlande qui est l’une des lignes rouges que Bruxelles ne veut pas franchir.

A en juger par l’évolution des événements, la stratégie de pression in extremis s’est avérée dangereuse.

Les événements de ces dernières semaines montrent à eux seuls la profondeur de la crise, qui s’est exprimée sur un terrain superstructurel -et donc déformé-, dans la lutte acharnée entre le Parlement et l’exécutif. Mais elle trouve ses racines dans la fracture sociale résultant des contre-réformes néolibérales et des décennies de mondialisation.

La tentative bonapartiste de Johnson de suspendre le Parlement pendant cinq semaines, qui lui a été accordée par la reine Elizabeth II en dépit de la neutralité supposée de la couronne dans les affaires politiques, a fini par se retourner contre lui.

Il a fait descendre des dizaines de milliers de personnes dans la rue pour protester contre ce qu’elles ont considéré comme une sorte de « coup d’Etat ». Et il a facilité l’alliance multipartite qui a engendré, pour le Premier ministre, trois défaites consécutives en une seule journée : il a d’abord perdu la majorité, puis l’ordre du jour et enfin le contrôle du Brexit.

Cette longue guerre d’usure qui dure depuis quatre ans a dévoré deux ministres. D’abord le gouvernement de David Cameron, le conservateur qui a agi comme apprenti sorcier avec l’appel à un référendum en 2016 dans lequel le « leave » (sortie de l’UE) a été imposé de manière inattendue avec une faible majorité. Puis, son successeur, Theresa May en a également fait les frais, en titillant d’abord l’aile la plus eurosceptique, puis en tentant sans succès de voter pour un divorce négocié avec l’UE, ce qui, pour les brexiters du palais noir, revenait à maintenir le Royaume-Uni comme « vassal » du bloc européen. Boris Johnson est sur le point d’être le prochain à être avalé par ce trou noir.

Cependant, la grande préoccupation pour la stabilité bourgeoise est que la principale victime du Brexit a été le parti conservateur, l’instrument politique le plus direct des grands capitalistes. Les tories ont déjà été divisés en d’autres occasions, mais il semble aujourd’hui que se soit déclenchée une guerre civile sans merci.

Johnson a expulsé les 21 conservateurs « rebelles » qui se sont joints à l’opposition et ont été les acteurs de sa défaite, y compris de fidèles serviteurs de la classe dirigeante tels que le petit-fils de Churchill ou les anciens ministres du Trésor Philip Hammond et Kenneth Clarke.

Sous sa direction, il est devenu le « parti du Brexit », c’est-à-dire un parti populiste et eurosceptique semblable aux formations d’extrême-droite qui fleurissent des deux côtés de l’Atlantique. Dans un sens, cette transformation est similaire à celle du Parti républicain américain sous Trump.

S’il y avait des élections anticipées, Johnson poursuivrai probablement la stratégie consistant à opposer le « peuple » qui aspire prétendument au Brexit et l’ « élite » qui se rend à l’UE. Johnson reste en partie confiant parce qu’il perçoit un affaiblissement du parti travailliste l’usure relative de son leader, Jeremy Corbyn.

Parier sur la polarisation peut être une stratégie utile pour gagner des élections. Mais comme le montrent les gouvernements de Trump, Bolsonaro ou Boris Johnson lui-même, la difficulté pour la classe dirigeante réside dans le fait de devoir compter sur des gouvernements avec une base sociale étroite, c’est-à-dire sans hégémonie, pour répondre aux aspirations des exploités.

Jusqu’à présent, la bourgeoisie britannique a bénéficié de l’attitude du Parti travailliste, qui, sous la direction de l’aile gauche de Jeremy Corbyn, a joué un rôle plutôt modérateur face à la crise du Brexit.

Cependant, les grands capitalistes voient avec méfiance la possibilité que Corbyn devienne Premier ministre, non pas parce qu’il a une stratégie différente de la collaboration de classe traditionnelle du Parti travailliste, mais parce que son programme, qui comprend des renationalisations et certaines mesures de réformisme tiède, mais de réformisme tout de même, éveille l’enthousiasme de larges secteurs de la jeunesse qui se réjouissent de la perspective d’en finir avec des décennies d’austérité et de néolibéralisme et qui se sont mobilisés par dizaines ou centaines de milliers. En dernière instance, il s’agit de la peur éternelle de la bourgeoisie : que la combinaison catastrophique entre la crise de ceux qui gouvernent et les espoirs qu’ils peuvent susciter ne finisse par alimenter la lutte de classe.


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Claudia Cinatti

Dirigeante du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS) d’Argentine, membre du comité de rédaction de la revue Estrategia internacional, écrit également pour les rubriques internationales de La Izquierda Diario et Ideas de Izquierda.

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