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Le virus du racisme ?

Coronavirus. Avec le virus se propagent aussi de nombreux préjugés racistes envers les asiatiques

S’il est une chose qui se propage au moins aussi rapidement qu’un virus, ce sont bien les préjugés racistes qui l’accompagnent.

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En l’état , compte tenu du manque de données et de la réponse relativement tardive des autorités chinoises, impossible de procéder à des généralisations et affirmations tranchées concernant l’épidémie de coronavirus qui a débuté en Chine. Néanmoins, une chose est certaine, si le risque d’épidémie globale n’est pas à écarter (bien que demeurant faible), on assiste à une réelle psychose qui est en train de s’instaurer sur fond de clichés et de préjugés racistes envers la communauté asiatique.

Comme le rapporte un article du Monde, le SAMU de Gironde a reçu nombre d’appels de personnes inquiètes après avoir été en contact avec des personnes asiatiques : « Est-il possible d’attraper la maladie après avoir commandé un livre venant de Chine sur un site de vente en ligne ? », a ainsi interrogé un appelant. Un moniteur d’auto-école s’est inquiété d’avoir donné, il y a dix jours, un cours à une jeune fille asiatique qui toussait. Le proviseur d’un collège qui accueille des correspondants chinois a voulu s’assurer qu’il pouvait autoriser une sortie scolaire… »

L’inquiétude à l’égard de l’épidémie vient ainsi alimenter toutes sortes de préjugés concernant les mœurs « archaïques », voire barbares des cultures étrangères. Ainsi, des vidéos du marché de Wuhan exposant des animaux vivants comme des chauves-souris contribuent à propager l’idée que la Chine (et les « asiatiques » en général) auraient des habitudes alimentaires, sinon peu ragoutantes, franchement dégoûtantes, pas conformes aux normes d’hygiène occidentale et vectrices de maladie. Pourtant, au-delà de ce qui est mangé en tant que tel, ce sont surtout les conditions sanitaires qui interrogent.

A ce titre, comme le note le journal en ligne Foreign Policy, le problème n’est pas culturel, mais politique, notamment à cause de cas de corruption et de fraudes qui touchent particulièrement le système politique chinois : « Et c’est là que la Chine a vraiment des problèmes. Les normes de sécurité alimentaire du pays sont mauvaises, malgré les nombreuses initiatives gouvernementales visant à les améliorer. Les scandales alimentaires sont fréquents, et les diarrhées et les intoxications alimentaires sont une expérience régulière et désolante. Les marchés, comme celui de Huanan, qui n’ont pas de permis pour les espèces vivantes en vendent néanmoins. Les travailleurs ne sont pas formés aux techniques d’hygiène de base, comme le port de gants et le lavage des mains. Des additifs dangereux sont couramment utilisés pour augmenter la production ».

Dès lors, le problème commence lorsque certains traits sont essentialisés (la culture asiatique en général), et véhiculent des préjugés négatifs. Il suffirait d’inverser le préjugé pour constater à quel point celui-ci est grotesque. Assimiler toute personne asiatique avec la Chine (et a fortiori avec l’épicentre du virus à Wuhan) reviendrait, pour une personne chinoise, à s’inquiéter d’avoir été en contact avec un norvégien au cas où un virus venait à se déclarer au Portugal ou en Espagne (tout deux des « européens »).

Plus encore, selon les dernières études, rien ne permet d’affirmer avec certitude que le premier foyer épidémique a été le marché de Wuhan. Une étude de la revue scientifique britannique Lancet relate que les premiers cas se sont probablement déclarés bien avant la date indiquée par le gouvernement chinois du 31 décembre ; et, fait surprenant, le premier patient identifié n’aurait aucun lien avec le marché de Wuhan – comme le décrit le graphique extrait de l’article scientifique.

Outre que l’emprise du comité central du Parti Communiste a pu contenir certaines informations initiales, l’étude du virus est pour l’heure balbutiante et ses causes restent non identifiées. Le site Vox, rapportant les propos d’Alexandra Phelan, membre du Centre pour la science de la santé mondiale et la sécurité à l’université de Georgetown, qui a vécu et travaillé en Chine au cours des deux dernières décennies, explique : « Il y a beaucoup de processus internes qui doivent passer par la bureaucratie en Chine pour obtenir des déclarations officielles du gouvernement central (…) Cette rigidité signifie que l’information peut sortir très, très lentement ».

Pour l’heure, l’épidémie comporte en effet plus de questions que de réponses, concernant notamment son étendue réelle, la portée des complications et sa propagation. Certes, la propagation du virus dépasse déjà en nombre de contaminations l’étendue du précédent coronavirus, qui fut particulièrement mortelle, le SRAS. L’ONU vient ainsi de déclarer une urgence de santé publique de portée internationale. La transmission se ferait par contact direct et échange de fluides, par la toux ou les éternuements ; des discussions cherchent à établir si le virus est capable de se propager dans l’air, par la suspension des particules (même si aucun cas de ce type n’a été signalé). Le taux de propagation du virus semble élevé ; dans la province de Hubei par exemple, les recherches font état d’un taux de reproduction viral (appelé r0 : le nombre de personnes infectées pour chaque personne contagieuse) de l’ordre de 2 ou 3 ; d’autres recherches indiquent encore que ce taux se situerait plus aux alentours de 5.

Pourtant, en termes épidémiologiques, l’indice de contagiosité du virus reste relativement modéré par rapport à d’autres épidémies de coronavirus ou encore d’un virus comme la grippe. Comme le rappelle le SAMU de Gironde, la grippe tue chaque année bien plus de personnes : « ‘C’est le paradoxe de la grippe qui tous les ans tue des milliers de personnes et pour laquelle la population est “habituée”, donc ne va pas se vacciner, ni mettre de masque, ne pas prendre de précautions… Alors qu’on a plus de risques de mourir de la grippe saisonnière que du coronavirus’, ajoute le professeur Combes. Pourtant, les deux médecins expliquent que les pharmacies contactent également le CHU, pour tenter d’être approvisionnées en masques, car elles ont été dévalisées. »

Sur ce graphique extrait d’un article du Monde, on peut ainsi constater que le rapport entre la contagiosité du coronavirus actuel et son taux de mortalité le laisse nettement en deçà de maladies comme la variole, et reste moins contagieux que la grippe. Aussi, les « mesures barrière », telles que le lavage de mains systématique après avoir été en contact avec des objets susceptibles de véhiculer des germes (rampes d’escalier, terminal d’ascenseur), ou de manière générale dans les lieux publics, restent les mesures les plus efficaces. Les masques en papier sont relativement peu efficaces, et pourraient même être porteurs de germe en cas d’usage prolongé – rien en tout cas ne permet de confirmer leur utilité. Si le contact d’humain à humain est bien confirmé, comme l’explique au Monde Arnaud Fontanet, responsable de l’unité d’épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur, et professeur au Conservatoire national des arts et métiers : « il faut qu’il y ait eu un contact étroit. Ont aussi été incriminées, sans qu’on ait pu le vérifier, des poignées de porte et des boutons d’ascenseur. D’où l’importance de se laver les mains et ne pas les porter à la bouche. »

Ce que cette psychose généralisée risque d’occulter, en dernière instance, c’est que l’exposition à la maladie et ses conséquences les plus fatales est déterminées par la classe sociale d’appartenance. Premièrement, il est évident que les plus exposés aux risques sanitaires restent les travailleurs eux-mêmes du marché de Wuhan, mais aussi ceux n’ayant pas les moyens de se rendre chez le médecin. « Ce ne sont pas les habitants de l’État de Washington ou de Bangkok qui sont les plus exposés au coronavirus, écrit le magazine Foreign Policy. Ce sont les pauvres de la Chine - comme dans de nombreux pays, une population gravement sous-desservie en matière de soins de santé. Ce sont les pauvres qui sont le plus susceptibles d’être en contact avec le virus, ce sont les pauvres parmi lesquels il se répandra le plus rapidement, et ce sont les pauvres qui seront probablement les principales victimes de mesures répressives lorsque le gouvernement, après des semaines de ce qui semblait être une dissimulation, passera à l’action.

Dans sa tentative d’endiguer la propagation du virus, le gouvernement chinois a en effet déclaré la mise en quarantaine de quasiment cinquante millions de personnes, une mesure inédite à l’échelle de l’humanité. La situation d’épidémie constitue à ce titre un véritable enjeu de sécurité intérieure pour Xi Jinping, qui a largement mobilisé l’armée et déploie à plein régime son appareil de propagande, comme le précise Mediapart : « L’appareil de propagande est donc présent sur tous les fronts, inondant aussi les réseaux sociaux de ses messages d’unité nationale sur le thème de « Allez Wuhan », comme il y avait eu « Allez le Sichuan » lors du séisme de 2008. Une manière de susciter une vague de nationalisme balayant les voix critiques. »

Dès lors, comme le rapporte le même article de Foreign Policy, on comprend que ces mesures de quarantaine à grande échelle serviront à accroître les mesures de répression envers les classes populaires et laborieuses chinoises, et affirmer l’emprise du pouvoir central sur l’appareil d’état et l’armée : « Les pauvres sont peut-être moins visibles pour le diagnostic et le traitement, mais ils sont plus visibles pour la répression. Alors que la quarantaine se resserre autour de Wuhan, les pauvres sont également beaucoup plus susceptibles d’être victimes de brutalités de la part des autorités. Les catastrophes provoquent souvent la panique de l’élite, qui s’en prend aux pauvres ou à des groupes extérieurs. Après le tremblement de terre de Tangshan en 1976, les milices urbaines ont battu à mort ou abattu les habitants des campagnes qui venaient en ville pour demander de l’aide, en prétendant qu’ils étaient des pilleurs. Si la peur - parmi les hommes armés qui devront appliquer la quarantaine ou parmi la population piégée à l’intérieur - se répand, ce genre d’affrontements meurtriers peut surgir, d’autant plus que les fournitures pour les traitements et les activités quotidiennes en cours dans un Wuhan fermé s’amenuisent. »

Si les causes du virus, son traitement et sa prise en charge restent encore largement indéterminés, une chose est certaine en tout cas, aucun lavage de main ou port de masque en papier ne peut prémunir des préjugés racistes et de l’effet de psychose indûment relayé par les médias.


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