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Lutte de classes aux Etats-Unis

Comment les travailleurs de la santé affrontent la pandémie à New-York

Le capitalisme a donné naissance à un cauchemar. Près de deux millions de personnes dans le monde sont tombées malades à la suite de la pandémie de coronavirus. Les hôpitaux de New York, comme le nôtre, ont été complètement débordés par le flot de patients. Les corps des morts sont mis dans des camions frigorifiques. Ceux qui ne peuvent être identifiés sont enterrés dans des fosses communes. Le chômage pourrait déjà atteindre 13 % aux États-Unis.

Mike Pappas


et Tre Kwon

20 avril 2020

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Nous reproduisons un article publié par le journal Left Voice, qui fait partie du réseau international regroupant notamment Révolution Permanente. Ses auteurs sont travailleurs et travailleuses dans le secteur de la santé dans la ville de New-York.

Cette situation pouvait s’anticiper

Pendant plus d’un mois, Trump a minimisé l’importance de la menace associée à la pandémie mondiale. Et alors que ses conseilleurs l’avaient averti du risque de perte de plus de 1,2 millions de vies rien qu’aux Etats-Unis, il avait déclaré à plusieurs reprises que nous étions à l’abri de tels dommages. Son déni nous a laissé totalement démunis face à l’explosion de cas du COVID-19 quelques jours plus tard.

Encore le 24 mars, Trump demandait aux entreprises étasuniennes de rouvrir pour Pâques, démontrant son mépris total pour la santé et la sécurité des travailleurs. Son unique préoccupation et depuis le début a été que les profits continuent d’affluer dans les coffres des entreprises américaines. Il faisait référence à cela quand il a déclaré « le remède ne peut pas être pire que le problème ». Il ne mettrait pas en péril les profits des capitalistes en fermant les entreprises, même si cela signifiait que des centaines de milliers de travailleurs, voire plus, doivent mourir. Ce qui se passe actuellement est le résultat de sa négligence criminelle. Ceux qui souffrent le plus sont les ouvriers qui vivent dans les quartiers les plus pauvres. 62% des décès dus au COVID-19 à New York sont parmi les populations noires et latinos américaines.

La criminalité et l’insensibilité de l’administration de Trump ne s’arrêtent pas là. Nous devons également prendre en compte les conséquences des actions de son gouvernement au niveau international. Les Etats-Unis continuent à imposer un embargo sur l’Iran, empêchent l’entrée de médicaments, matériaux et aliments dans le pays. Ce sont avant tout les actions de Trump qui sont responsables de la crise humanitaire en Iran, où plus de 4000 personnes sont mortes, représentant le chiffre le plus haut de tout le Moyen-Orient. Au milieu du mois de mars, quand les cas de CoVid-19 dépassaient déjà le chiffre de dizaines de milliers de personnes à l’échelle de la planète, le gouvernement lançait des bombardements contre l’Irak. Quel autre terme utiliser si ce n’est celui de barbarie ?

Cependant, Trump n’est pas le seul responsable du carnage. Les démocrates comme Adrew Cuomo (gouverneur de New-York) ont joué un rôle important ces dernières années, en supervisant les fermetures et fusions d’hôpitaux, en supprimant les services de protection sociale et en ouvrant la voie aux promoteurs immobiliers. Tous ces agissements ont sévèrement fragilisé le système de santé à New-York et encouragé le non-recours à la consultation médicale pour beaucoup, tout en augmentant le coût de la vie. Ceci obligeant les ouvriers et les pauvres à vivre dans des maisons et appartements toujours plus petits et surpeuplés. Ceci fut le combustible pour que le virus se propage à une vitesse grand V dans l’ensemble de la ville et de ses banlieues.

Cuomo et les démocrates, de la même manière que Trump, ont agi selon leurs intérêts de classe capitaliste et au détriment de notre santé. Les médias ont insisté sur le « leadership » et la « fermeté » de Cuomo durant la crise. Mais ils ont oublié que le gouverneur faisait pression pour que les entreprises new-yorkaises restent ouvertes à la mi-mars. « Il n’y aura pas de confinement, personne ne t’enfermera dans ta maison, personne ne te dira « tu ne peux pas sortir de la ville »… Ceci ne va pas arriver  ». Son imprudence met en danger la vie de dizaines de milliers de personnes.

La classe capitaliste et les médias ont tenté de présenter la pandémie comme quelque chose qui pouvait se combattre grâce à des actions individuelles : lave-toi les mains, pratique la distanciation sociale, reste à la maison ! Mais cette crise n’a pas été causée par l’irresponsabilité individuelle. Son émergence est due à l’anarchie inhérente au système capitaliste. A l’industrie de la santé aux Etats-Unis, au sein de laquelle il n’importe pas le moins du monde de sauver des vies si cela n’est pas rentable. Pour cette raison, on ne prête pas attention à la prévention des maladies infectieuses, alors que le développement de vaccins pour ces maladies pourrait sauver la vie de millions de personnes dans le monde chaque année. Comme le note David Harvey : «  Les grands laboratoires investissent peu dans la prévention. Ils ont peu d’intérêts à investir dans ce domaine, ce qui permettrait d’être prêt à affronter une crise sanitaire. Ils adorent mettre au point des traitements. Car plus on est malade, plus cela leur rapporte. La prévention ne rapporte pas à l’actionnaire.  »
Aujourd’hui encore, les entreprises de soins de santé font fortune grâce à l’urgence. Les hôpitaux, compagnies d’assurance et pharmaceutiques et de matériel médical vont recevoir un généreux paiement pour leurs services, pendant que des milliers de personnes meurent et des centaines de milliers de personnes sont malades. Trump a fait son show en invoquant la Loi sur la Production de Défense pour obliger Generals Motors à produire des respirateurs. Mais la compagnie a reçu un demi-milliard de dollars pour le faire.

De la lutte pour les conditions de travail à la nationalisation du système de santé

Dans tout le pays, nous rencontrons une pénurie de masques et d’équipements de protection personnelle dans les hôpitaux. Dans notre hôpital, tous les jours nous faisons l’expérience de cette angoisse de ne pas avoir de matériel de protection en quantité suffisante et de la conscience des risques élevés de contamination. Tous les infirmiers et travailleurs des hôpitaux avec qui nous avons pu dialoguer nous ont informé d’une situation similaire dans leurs établissements. Les professionnels de la santé se voient obligés de réutiliser les masques, contre les protocoles de sécurité ou travailler directement sans. Cela ne met pas en danger que leurs propres vies, mais aussi celle de leurs patients, les proches et toutes les personnes avec qui ils entrent en contact.

Les multinationales comme 3M obtiennent des contrats de plusieurs millions de dollars pour la production de masques N95, mais malgré cela ils ne produiront pas la quantité suffisante pour l’ensemble des travailleurs en première ligne qui en ont besoin. Il n’est pas nécessaire que cela se passe de la sorte. La production de masques et de protections serait une tache relativement facile, si la volonté de le faire existait, ou si les relations de productions adéquates étaient en place. Toutes les grandes usines étasuniennes capables de convertir leur production pour produire des masques et des dispositifs médicaux efficaces devraient être saisies immédiatement et forcées à le faire avec des travailleurs entièrement indemnisés et bénéficiant de protections nécessaires. Les travailleurs comme ceux de l’usine General Electric de Lynn, dans le Massachusetts, le réclament déjà. En outre, un tel effort pourrait garantir l’emploi de millions de personnes à travers le pays, notamment ceux qui ont perdu leur emploi dans les derniers mois.

Planifier cela à l’échelle nationale, et encore moins à l’échelle internationale, est impossible pour le capitalisme. Comme le signale l’infirmière de Washington DC, Shreya Mahajan, aujourd’hui, il y a des milliers d’infirmières dans tout le pays qui non seulement ne sont pas mises en service pour soigner les patients du COVID-19 mais les hôpitaux réduisent leurs heures de travail pour pouvoir récupérer les coûts de l’annulation des procédures lucratives. Le système est rongé par l’inefficacité.
L’unique manière de surmonter cette irrationalité est de nationaliser tout le système de santé sous contrôle des travailleurs et des bénéficiaires. Les travailleurs, médecins et infirmiers comme le personnel technique, sont ceux qui font fonctionner et administrent l’hôpital tous les jours. Nous sommes ceux qui avons le plus de connaissances sur les traitements et la manière de prendre en charge nos patients. Les entreprises parasites de soins médicaux et leurs cadres n’ont rien à offrir à la société. Nous avons besoin d’un système de santé unifié, gratuit et public dans lequel ceux qui prennent les décisions sont les plus qualifiés pour le faire, c’est-à-dire les travailleurs. Cela va plus loin que l’assurance maladie Medicare pour tous. La demande de Medicare pour tous est progressiste et nous devons l’appuyer, mais elle maintient et ne s’attaquent pas aux hôpitaux privés, et aux entreprises pharmaceutiques ainsi qu’à celles de matériel médical.

Joe Biden a commenté de manière cynique la situation en Italie en affirmant que « ce n’est pas parce que l’Italie a un système de santé public qu’ils n’ont pas connu une des pires épidémies du monde ». Mais cela est dû, à ce qu’en Italie comme aux Etats-Unis, la classe capitaliste a été à l’initiative de coupes budgétaires dévastatrices pour le système, incluant la fermeture de centaines d’hôpitaux dans les décennies précédentes. Ce n’est pas dû au fait que le système de santé publique de fonctionne pas là-bas comme Biden l’affirme. Le néolibéralisme a corrodé les fondements du système de santé publique au point que l’épidémie a provoqué son effondrement complet. Les mêmes schémas se répètent aux Etats-Unis avec les résultats similaires. Depuis les années 2000, vingt hôpitaux ont fermé. Pas étonnant que le système hospitalier soit maintenant dangereusement sous-préparé, avec trop peu de lits, trop peu de personnel et trop peu d’équipements pour faire face à cette pandémie.

Travailleurs utiles et lutte des classes

Nous avons créé le groupe des Travailleurs en première ligne du COVID-19 dans notre hôpital pour être une voix pour les travailleurs qui risquent leur vie durant cette épidémie. Les travailleurs en première ligne n’incluent pas seulement ceux du secteur de la santé. Il s’agit aussi de ceux qui travaillent dans la logistique comme les employés d’Amazon, UPS et FEDEX, ils travaillent dans les supermarchés, sont conducteurs de bus et de métros. Dans la ville de New-York, 41 employés de la MTA (entreprise de transports publics de la ville de New-York) sont morts du fait que le gouverneur de la ville n’a pas garanti les tests et les protections adaptées. 1500 autres ont été contaminés. La seule réponse a été de couper le service, ce qui a bien sûr conduit à des wagons de métro bondés, un piège mortel pour les employés et les passagers de la classe ouvrière qui sont obligés de continuer à utiliser le métro. Et c’est une ville dirigée par l’administration soi-disant "progressiste" de Bill DeBlasio.
Nous luttons pour un système de santé publique différent de celui que nous avons vu dans le pays le siècle dernier. C’est pour cela, que par l’intermédiaire de Left Voice, nous avons présenté un programme d’intervention en 10 points incluant la fermeture automatique des entreprises non-essentielles, avec des revenus garantis pour les employés durant tout le confinement. En même temps, tous les fabricants à grande échelle Ford, GM, General Electric doivent convertir leur production pour la fabrication de masques, respirateurs et autres équipements sanitaires. Nous avons également besoin de tests pour toutes les personnes qui présentent des symptômes du COVID-19 et toutes les personnes qui risquent de contracter la maladie, comme les travailleurs dans le métro, les travailleurs de supermarchés et les travailleurs de la santé.

Le mouvement ouvrier et la nécessité de représentation politique

Bien que cette crise ait apporté d’immenses difficultés à la classe des travailleurs, des signes de colère émergent avec des expériences d’organisation et de lutte qui fleurissent dans tout le pays. Les travailleurs de Whole Foods et Instacart ont abandonné leurs postes de travail pour exiger plus de sécurité. Les travailleurs de McDonalds ont fait une grève dans diverses villes pour exiger des congés payés. Les employés de General Electrics se sont levés pour exiger la conversion de leurs chaines de production pour fabriquer des respirateurs.

Le chômage ayant atteint son niveau le plus élevé depuis la Grande Dépression, des organisations de chômeurs pourraient également voir le jour. Il existe une opportunité sans précédent pour nous, socialistes, de nous joindre à ces luttes et de diriger l’organisation du mouvement ouvrier dans une perspective de lutte de classe combative.

C’est un combat qui nécessite non seulement une organisation sur le lieu de travail, mais aussi une représentation politique. Depuis un an ou plus, les millions de jeunes qui ont soutenu la campagne de Bernie Sanders ont montré leur aspiration à une société meilleure. Mais en soutenant Biden, comme il l’a fait pour Clinton en 2016, Sanders a montré sa réticence à véritablement défier le Parti démocrate, un parti centenaire de la classe capitaliste. C’est ce même parti qui a mis en œuvre des plans d’austérité et des coupes dans le système de soins de santé et les filets de sécurité sociale tout en s’assurant que les entreprises privées de soins de santé continuent à faire des milliards de profits. Il est temps que la classe ouvrière, qu’elle soit employée ou au chômage, ait son propre parti, un Parti des travailleurs qui défendra nos intérêts et pas seulement pendant la période électorale.
Nous avons besoin d’un parti indépendant qui intervienne dans chaque flambée de lutte des classes dans le pays. Des organisations comme le DSA (Democratic Socialists of America) devraient commencer à travailler à la création d’un tel parti avec les syndicats et d’autres organisations de travailleurs. Les capitalistes feront en sorte que ce soit la classe ouvrière qui souffre le plus de cette pandémie. Par conséquent, nous devons commencer à nous organiser, quels que soient nos oppresseurs, pour nos propres intérêts, notre propre santé, nos propres vies.


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Mike Pappas

rédacteur du journal Left Voice

Tre Kwon

rédactrice du journal Left Voice

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