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La chute de Zhou Youngkang

Chine. Quelque chose est pourri dans la Cité Interdite

Juan Chingo La chute de l'intouchable ancien chef de la sécurité chinoise, condamné à la prison à vie, est la victoire la plus importante de la campagne contre la corruption menée par l'actuel président chinois Xi Ping, mais ouvre une boîte de Pandore au sein de l'élite gouvernante.

Juan Chingo

16 juin 2015

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Le 11 juin, le Tribunal populaire intermédiaire de Tianjin a annoncé que Zhou Yongkang, ancien membre du tout puissant Comité permanent du Bureau politique du Parti communiste chinois et ancien chef de l’appareil de sécurité interne du régime, avait été condamné à la prison à vie pour recel de corruption, abus de pouvoir et révélation intentionnelle de secrets d’État. Le tout dans le cadre d’un procès fermé et totalement archaïque.

Les images télévisées du verdict montrent la scène comme une farce, un véritable simulacre des procès staliniens qui avaient cours dans les pays dits « communistes » par le passé.

Retraçons la scène : « Comprenez-vous bien, prévenu Zhou Yongkang, la sentence ? », tonne le juge. « Oui » répond l’intéressé en baissant la tête, à l’épaisse chevelure argentée. « Prévenu Zhou Yongkang, avez-vous quelque chose à dire à la cour ? ». « J’accepte le jugement et ne ferai pas appel. Je reconnais la réalité de mes crimes et j’ai à maintes reprises violé les lois et les règles du parti, ce qui a entraîné un dommage important pour le parti et a eu un effet négatif grave sur la société. Je plaide coupable et je me repens » répond M. Zhou, d’une voix posée.

Tandis que les chefs d’inculpation étaient potentiellement passibles de la peine de mort, Zhou, 72 ans, a reçu une peine plus clémente après avoir confessé, montré ses regrets et demandé aux membres de sa famille de remettre la plupart de leurs gains mal acquis.

Zhou Yongkang est l’homme politique de plus haut rang à se retrouver devant le tribunal depuis le procès pour trahison de l’épouse de Mao Zedong et d’autres membres de la « Bande des Quatre » qui ont persécuté les opposants politiques pendant la Révolution culturelle entre 1966 et 1976.

Une victoire immédiate...

En mettant en place une campagne féroce contre la corruption, mais aussi contre la dissidence pro-occidentale, Xi Jinping a réussi à consolider son pouvoir au sein du parti et à gagner une certaine sympathie parmi la population qu’il entend utiliser pour renforcer le régime et le parti, qui constitue la structure fondamentale sur laquelle il s’appuie.

La chute du chef de la sécurité s’inscrit dans une purge importante d’un certain nombre de dirigeants autrefois considérés comme intouchables en Chine, y compris certains généraux de très haut grade de l’Armée de libération du peuple. Avec des milliers de fonctionnaires du parti faisant actuellement l’objet d’une enquête ou incarcérés ces deux dernières années, plus personne ne doute de la main de fer de Xi.

D’après certains spécialistes, le jugement de Zhou représente à son tour un pas important dans la campagne menée par Xi depuis deux ans pour démanteler la faction politique établie par l’ancien chef du Parti communiste Jiang Zemin. Bien qu’officiellement en poste seulement entre 1989 et 2002, Jiang et ses acolytes (y compris Zhou) ont maintenu leur emprise politique et économique sur le Parti et la nation pendant plus d’une décennie après que Jiang se soit retiré de son poste. En particulier, la défenestration de Zhou et d’un vaste réseau de patronage qui couvrait toute la province sud-occidentale de Sichuan, où ce dernier avait l’habitude d’être le chef du parti dans le secteur étatique du pétrole, a permis à Xi de faire face à une importante restructuration dans l’industrie stratégique du pétrole en nommant de nouveaux présidents dans les entreprises pétrolières d’État. Cela relevait d’une importance centrale pour Xi, notamment dans le contexte de l’évolution du marché mondial et des réformes de l’industrie.

...mais avec d’énormes risques stratégiques

Cependant, à plus long terme, sa stratégie peut renforcer l’instabilité. L’origine du régime chinois actuel remonte à la Révolution culturelle qui a constitué une période chaotique pour la bureaucratie gouvernante. Ce mouvement, une confrontation de tendances au sommet de l’État et dans les différents secteurs de la bureaucratie à partir de laquelle la fraction dirigée par Mao appelait les masses à mettre la pression sur l’appareil étatique et le parti, est devenu un conflit extrêmement aigu qui a mobilisé des secteurs fondamentaux de la société chinoise – les étudiants, la paysannerie – dans une moindre mesure – et, fondamentalement, à son pic, les travailleurs. Du point de vue de la bureaucratie, c’était un fait extrêmement traumatisant qui a brisé le monolithisme de l’État et du PCC et presque remis en cause sa domination.

Après le meurtre du Grand Timonier (Mao) et le bref interrègne de confusion qui s’en est suivi, avec l’ascension de Deng Xiaoping, le vrai père des réformes, la bureaucratie est parvenue à un nouveau consensus consistant à considérer que la seule manière de sortir de cette période turbulente et d’assurer sa domination était le maintien de la croissance comme base de la stabilité politique. Ce consensus d’après-Révolution culturelle, qui se maintient avec des hauts et des bas jusqu’à présent, est ce qui a permis la mise en place et l’approfondissement des réformes pro-capitalistes.

Au niveau de la direction supérieure, cela se reflète par l’établissement d’une direction communiste collégiale et consensuelle. L’actuel renforcement unipersonnel de Xi Ping rompt avec cette règle et lui permet de mener cette campagne dans l’opacité totale. Exemple extrême dans ce cas, le procès de Zhou s’est tenu à huis clos après le scandale public qu’avait constitué la chute de Bo Xilai, l’ancien patron de la ville de Chongqing, tombé lui aussi en disgrâce et dont le procès en 2013 a permis de connaître des détails juteux sur le mode de vie des personnages les plus puissants du régime.

Pas moins important, le président chinois a brisé un autre tabou consistant à ne pas s’en prendre à un ancien membre de la « Commission permanente », la direction effective du parti et du pays. La condamnation de Zhou Yongkang démontre bien que plus personne au sein de l’élite du pays n’est à l’abri. Même l’actuel numéro un du pays. Ce n’est pas un hasard si la presse commence à affirmer que Xi est toujours hanté par la peur de se faire assassiner. Ainsi, début mars, ayant peur pour sa sécurité, Xi a remplacé de manière abrupte les hauts fonctionnaires de l’Office central de Sécurité du Parti Communiste et du Bureau municipal de la Sécurité publique de Pékin, tous les deux responsables de la protection de Xi et d’autres dirigeants.

Les péripéties et la lutte littéralement jusqu’à la mort entre les différentes fractions du PCC relatées dans le roman Le Chinois par le maître du roman policier nordique, Henning Mankell, seraient-elles devenues réalité ?

Autrement dit, tout cela ne se passe pas sans implications pour la stabilité du mode de transfert du pouvoir au sein du régime chinois. Et, stratégiquement, ce qui se passe au sommet du régime est crucial : si le consensus réactionnaire parmi l’élite est rompu ou fragmenté, les majeures contradictions du processus restaurationniste peuvent éclater au grand jour à la vue de tous, suivant ainsi la règle de l’histoire contemporaine chinoise selon laquelle les mouvements des masses éclatent suite aux luttes d’en haut parce que les dirigeants font appel – ouvertement ou implicitement – à la population pour les soutenir.

Seulement la pointe de l’iceberg

La tentative de Xi, risquée et « maoïste », de relégitimer le Parti communiste chinois est une expression des signes majeurs de la décomposition du PCC, lesquels lui font perdre une partie considérable de sa légitimité parmi les masses. Cela pourrait même conduire à la remise en question de la domination de la bureaucratie restaurationniste.

Malgré la campagne sans relâche contre la corruption menée par Xi, celle-ci reste largement superficielle. La grande partie de tous ceux qui ont accumulé des richesses privées par des moyens douteux reste à l’abri. Aucun des « princes rouges » n’est tombé. Ces secteurs liés « par le sang ou le mariage » à des dirigeants haut placés dans le parti et l’État ont profité du secret bancaire pour créer des entreprises off-shore ou placer leurs biens mal acquis.

Le niveau des fortunes de ce secteur bureaucratique en cours de transformation en bourgeoisie est gigantesque. Il s’agit de membres de famille de l’actuel président Xi Jinping, de son prédécesseur Hu Jintao, des anciens Premiers ministres Wen Jiabao et Li Peng, mais aussi au moins quinze des plus grandes fortunes du pays sont membres de l’Assemblée nationale, des généraux, et ainsi de suite.

Au niveau des masses, la chute d’un personnage aussi puissant que Zhou a stimulé de fortes attentes dans une frange de la population, alors que d’autres secteurs restent dans une indifférence totale liée au discrédit qui frappe le PCC. Ainsi, Liu, un enseignant du secondaire à Kashgar, dans la région nord-ouest du Xinjiang, a pu déclarer, exprimant un sentiment plus général : « Nous, les gens de tous les jours, voulons que le pays continue à attraper ’tigres’ et ’mouches’ pour que tous les fonctionnaires mettent de côté l’illusion qu’ils peuvent abuser de leur pouvoir sans conséquences ».

Ces illusions se heurtent à la réalité qu’incarne la condamnation de Zhou Yongkang, c’est-à-dire la fin de la phase la plus aiguë de la campagne anti-corruption : la modération s’impose désormais afin d’apaiser la vie politique et calmer les craintes des fonctionnaires qui souhaitent plus sauver leur peau qu’appliquer les réformes urgentes du modèle chinois dans une transition encore incertaine.

La tentative de Xi d’imposer des changements par en haut, sous le contrôle d’un parti épuré, discipliné et renforcé dans une économie et une société complexes qui passent par des moments difficiles – malgré l’image triomphaliste – pourrait générer des forces incontrôlables tant au niveau des masses que des élites. Des réactions qui iraient bien au-delà des projets actuels de Xi. Si la bureaucratie prête beaucoup d’attention en ce moment à la période de la chute de Gorbachov afin d’éviter le même sort ou au livre célèbre d’Alexis de Tocqueville, L’ancien régime et la Révolution, étude de la société française à la vieille de la Révolution de 1789, cela montre, au-delà des apparences, quelles sont ses véritables préoccupations et que, derrière la puissance indéniable de la Chine, se cachent bien des faiblesses.


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