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Répression et bouche cousue

Calais. Des réfugiés se cousent la bouche dans l’espoir de se faire entendre

Démunis face à l'inévitable destruction de leur campement à Calais, huit réfugiés ont décidé, mercredi, de manifester leur profonde détresse en se cousant les lèvres avec du fil et des aiguilles chauffées. Jeudi, ce sont neuf autres migrants iraniens qui réitèrent l'opération, marchant devant caméras et CRS, dans l'espoir d'être enfin entendu par l'ensemble de la communauté internationale. Paul Carson-Saher

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Calais : capitale de la douleur

Suite à l’arrêté préfectoral du 25 février 2016, avalisé par le tribunal administratif de Lille, l’évacuation, le démantèlement de la zone sud de la « Jungle » calaisienne continue. Ce chantier, désormais sous haute protection policière, avait pourtant été contesté par de nombreuses associations et personnalités, qui avaient saisi ledit tribunal pour condamner cette décision. En vain.

Aujourd’hui, pour la quatrième journée consécutive, bulldozers et tractopelles poursuivent donc la destruction méthodique des tentes, cabanes, baraquements et lieux de vie collectifs, sous les yeux impuissants de familles entières de migrants. Au début, certains réfugiés, visiblement apeurés par l’arrivée matinale et massive des CRS, grimpaient sur les toits en signe de protestation. Des tensions apparaissaient et s’intensifiaient très rapidement. Quelques départs d’incendie se déclaraient même aléatoirement dans le campement et le risque d’explosion était significativement redoublé par la présence de bouteilles de gaz. Faisant preuve d’une infinie bienveillance, les CRS n’hésitaient pas non plus à sortir les matraques, les canons à eau et le gaz lacrymogène.

Des mesures de relogement hautement contestables

Côté Préfecture, l’optimisme nauséabond règne pourtant. Lors d’une conférence de presse, le sous-préfet de Calais, Vincent Berton, se veut rassurant : « Aujourd’hui, le démantèlement s’est passé de manière satisfaisante. Certains migrants demandent plus de temps : nous respectons leur souhait et nous ne démolissons qu’une fois leurs affaires retirées. » « On ne souhaite pas aller particulièrement vite, on souhaite faire les choses correctement. […] C’est l’engagement pris par Bernard Cazeneuve, ça prendra le temps nécessaire. » Un vrai gentleman.

Quant à la préfète de région Fabienne Buccio, dont le discours ne souffre d’aucune nuance, le bilan de l’action préfectorale lui semble même irréprochable : « Je suis satisfaite de l’avancée des travaux et puis je suis surtout contente de voir des départs en centre d’accueil et d’orientation qui rencontrent vraiment un vif succès, parce que, cet après-midi encore, un bus complet est parti avec des migrants à l’intérieur, qui donc dormiront ce soir au chaud, à l’abri et en dehors des manipulations des activistes No Border et surtout des passeurs. » Un discours profondément mensonger, bien éloigné des réelles préoccupations et conditions de vie des migrants. Le problème, c’est que le fameux dispositif instauré pour reloger les migrants est, la plupart du temps, complètement défaillant ou inadapté : les occupants ont une heure pour évacuer la zone et accepter, sans trop comprendre, les solutions proposées à la cantonade. Ce qui les attend, ce sont généralement des conteneurs pour dormir non-loin du campement, sans intimité ni espace dédiée à la vie sociale (lieux de consommations, etc.), ou bien un aller simple vers d’autres Centres d’Accueil et d’Orientation (CAO) répartis dans toute la France, visant avant tout à isoler les migrants et ainsi invisibiliser leur cas… voire les expulser plus facilement.

En clair, sous couvert d’un intérêt faussement humaniste, on leur propose de choisir entre un nouveau mode de vie davantage déshumanisant et une destination totalement incertaine et inconnue. Bref, choisir la peste ou le choléra, et avec le sourire s’il vous plaît. Par ailleurs, ceux qui acceptent malgré tout ces mesures sont priés de donner leurs empreintes et de se faire ficher comme du vulgaire bétail. On comprend aisément pourquoi une grande majorité de ces réfugiés préféreraient quitter au plus vite le territoire français pour rejoindre l’Angleterre… Bien qu’outre manche, c’est aussi la répression qui sera également la seule réponse apportée.

Réponse désespérée pour situation désespérée

En derniers recours, face à cette situation déplorable, certains migrants ont donc décidé de coudre leurs lèvres en signe de protestation symbolique. En novembre dernier, cinq migrants avaient déjà exprimé leur détresse de la même manière devant la frontière gréco-macédonienne, restée totalement hermétique. Par cet acte spectaculaire, les migrants à Calais, eux, entendent dénoncer la brutalité et l’inhumanité de ces expulsions musclées, la partialité de ce démantèlement et, en définitive, la politique xénophobe orchestrée par l’exécutif socialiste. Ces auto-mutilations, résultat d’un profond désespoir, s’accompagnaient également d’une brève manifestation dans l’une des allées du campement, où les migrants exhibaient des pancartes sur lesquelles nous pouvions lire « We are humans » ou « Where is your démocracy ? Where is our freedom ? ». Bonnes questions…

Selon L’Humanité, les réfugiés expliquent qu’ils ont quitté leur pays dans l’espoir de vivre en Europe plus librement. Une liberté qui s’est fracassée sur le mur de la répression, avec notamment la destruction de leurs propres cabanes.

En réalité, ces exemples d’auto-mutilation font un peu plus tomber le masque de la nature même de la société, érigée en exemple des droits humains par nos « responsables » politiques. Le cynisme et le pragmatisme de certains suffisent à nous glacer le sang. Pour exemple, citons Emmanuel Macron qui, plein de tact et d’empathie, agite sans vergogne le problème calaisien sous le nez de l’Angleterre en guise de chantage. Dans une interview accordée au Financial Times, le ministre de l’économie n’hésite pas à menacer Londres de ne « plus retenir les migrants à Calais » si le Brexit était sérieusement envisagé. Une déclaration totalement opportuniste et qui, pour le coup, aurait sans doute mérité du fil et une aiguille supplémentaire pour le ministre français…

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